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Sexy Cyborg: «La communauté maker est réservée aux privilégiés blancs»

Naomi Wu, alias Sexy Cyborg, en visite à la Maker Faire de Shenzhen en octobre 2016. © Naomi Wu

Ventre plat et cerveau bien rempli, Naomi Wu, makeuse chinoise de 23 ans, plus connue sous le pseudo de «Sexy Cyborg», fabrique des mini-jupes infinies et des «blinkinis». Interview d’une figure rebelle du mouvement.

Chacun ses armes. Pour faire la promotion de la culture maker, en particulier auprès des jeunes filles, Noami Wu, aka Sexy Cyborg, joue de ses vêtements provoc’ et de ses créations badass. A coups de mini-jupes infinies, de chaussures plateformes à poche ou de blinkinis translucides, Sexy Cyborg, 23 ans, s’attire de plus en plus de fans… et quelques détracteurs. Car Wu n’est pas au goût de tous. Si elle a été conviée les 21 et 22 janvier derniers à la Mini Maker Faire de Bangkok, en Thaïlande, les organisateurs de la Maker Faire dans sa propre ville, Shenzhen, en octobre 2016, ont préféré faire sans elle  – à son grand dam. Enervée et énergique, Naomi Wu répond à nos questions.

A la Mini Maker Faire de Bangkok, Naomi Wu porte au poignet un étui à mini drone DiY, dans ses cheveux des élastiques à LEDs et dans ses chaussures, un rétroprojecteur. © Naomi Wu

Naomi Wu est-il votre vrai nom?

C’est mon nom anglais et celui par lequel mes amis me connaissent. J’ai un nom chinois bien sûr, mais je ne l’utilise pas beaucoup. En Chine, il est facile d’obtenir beaucoup d’informations personnelles uniquement à partir de votre nom, donc je n’en parle pas.

Pourquoi et comment vous avez créé le personnage de Sexy Cyborg? Est-elle réelle, est-ce vous? Lorsque vous n’êtes pas makeuse, vous habillez-vous aussi sexy?

En fait, c’est l’inverse : je porte des vêtements plus classiques quand je fais des photos ou des vidéos DiY pour le web social anglophone qu’en me promenant autour de chez moi. Il semble qu’en Occident, on s’emporte pour de simples vêtements, surtout aux Etats-Unis et au Royaume-Uni. Alors que les Européens et les Sud-Américains pensent que c’est juste drôle et intéressant, comme les Chinois.

Je pratique ce que j’appelle le « test de la tante » : est-ce que les femmes chinoises de plus de 50 ans ont un problème avec la façon dont je suis habillée ? La « tante » qui nettoie le hall de mon immeuble m’a déjà renvoyée deux fois chez moi à cause d’un pull ! Mais c’était parce que c’était l’hiver et qu’attraper froid pose un problème en médecine chinoise traditionnelle. Je suis bien élevée et je suis respectueuse. Si un jour, les tantes me disaient de ne pas m’habiller aussi sexy, alors je ne le ferai pas. Mais tant qu’elles me sourient et me font signe, j’estime que ça ne regarde personne ce que je porte dans mon propre pays.

Vous considérez-vous comme féministe?

Le féminisme a des implications politiques particulières en Chine et j’évite la politique. J’essaie d’encourager d’autres femmes à poursuivre des carrières dans les sciences et technologies (STEM) ou en tout cas à viser l’autonomie technique.

Les défis auxquels nous faisons face en Chine sont assez différents de ceux du reste du monde, il faut donc utiliser d’autres outils. Tout ce qui est étiqueté « féministe » est très difficile à utiliser, sauf à avoir de puissants soutiens – ce qui n’est pas mon cas. 

Vous dites travailler en tant que développeur avec un patronyme masculin. Avez-vous déjà essayé sous votre vrai nom?

Non. J’imagine que l’expérience que j’en aurais tirée aurait été très différente. Comme je code pour gagner ma vie, je ne peux pas me permettre de prendre ce risque.

Je ne m’appesantis pas sur la question parce que je ne veux pas qu’on pense que c’est une solution aux problèmes auxquels beaucoup de femmes font face dans la tech. Le fait de travailler anonymement ou sous pseudonyme a pour conséquence un travail limité et bien moins payé dans la mesure où vos contributions open source et autres ne peuvent être valorisées dans un CV…

Vos projets ont une touche féminine, avec un soupçon de James Bond. J’adore vos chaussures à talons où cacher un dispositif de surveillance! Comment décririez-vous votre style? Quelles sont vos inspirations?

Les chaussures «Wu Ying» de Sexy Cyborg. Les talons s’ouvrent pour y glisser de quoi opérer un test d’intrusion. © Naomi Wu

«Certains makers aiment construire des versions maison de produits commerciaux, comme une webradio avec un Raspberry Pi. J’ai un point de vue plus DiY. Je veux des gadgets cool que je fabrique s’ils n’existent pas ou que je ne peux pas me les offrir.»

Sexy Cyborg

Mon inspiration vient principalement de l’histoire des objets et inventions chinoises. Ma pièce de monnaie maker et mon étau sans vis viennent tous les deux de l’artisanat traditionnel chinois. Des images d’armures de Chine ancienne (en mandarin, 两当铠) ont inspiré le design de ma Jupe infinie, mon Blinkini vient de la danse traditionnelle des éventails et ma Palette-Pi et son « miroir intelligent » s’inspire de mes lectures sur les miroirs magiques de la Chine antique (透光鏡).

Naomi Wu porte son «Blinkini», un top dont l’opacité varie:

Vos projets portent-ils un message?

Le message commun à tous mes projets vient d’une rencontre que j’ai faite lorsque je portais ma jupe à LEDs. Deux femmes ont adoré l’idée mais étaient un peu scandalisées – en partie par moi mais aussi parce que la jupe est courte. J’ai entendu l’une murmurer à l’autre : « Si elle peut le faire, ça ne doit pas être si dur. » En y réfléchissant, c’est le message parfait pour moi : oublie toutes les excuses pour ne pas viser de plus grandes compétences techniques. La tech n’est pas seulement destinée aux stéréotypes de la fille geek ou du diplômé en informatique, elle est désormais accessible à n’importe qui.

La jupe à LEDs, premier gros coup de Sexy Cyborg. © Naomi Wu

Vous avez commencé à filmer certains lieux de fabrication numérique à Shenzhen, comme les marchés d’électronique ou des cafés d’impression 3D. Comment se portent les communautés maker et open source en Chine?

Nous n’avons pas vraiment de communauté maker. Nous avons des makerspaces très bien financés mais dont les outils sont rarement utilisés et qui ne sont réellement ouverts que pour les journalistes étrangers ou les dignitaires du gouvernement. Nous faisons du très bon développement commercial pour le matériel, mais c’est différent.

Quant à la communauté open source, ici, ce n’est qu’un terme marketing que les patrons d’usine aiment accoler aux choses. Ici, peu de Chinois savent ce que ça veut dire et encore moins s’intéressent aux termes des licences pour leurs projets. J’essaie de faire ce que je peux pour défendre l’open source mais même très têtue comme je suis, je ne peux pas tout faire seule. 

Visite à 360º d’un café d’impression 3D à Shenzhen par Naomi Wu, 2016:

Vous êtes en bisbille avec Raspberry Pi et «Make», qui vous ignoreraient. Pensez-vous qu’être une femme au sein de la communauté maker est un défi?

Quand on cherche à rejoindre une communauté, être un outsider est toujours un problème. Il y a objectivement plein de femmes makers représentées dans Make et sur le site de la Fondation Raspberry Pi, donc ça n’est pas en soi le problème.

Tout le monde est d’accord pour dire qu’ils ont délibérément décidé de m’exclure. La seule question est : est-ce justifié ? Make avait pris contact avec moi depuis des mois, mais visiblement ils ont préféré n’avoir aucune makeuse chinoise à la Maker Faire de Shenzhen en octobre plutôt que de m’avoir moi.

Quant aux problèmes de Raspberry Pi, ils sont assez évidents :

Il y a deux ans, lorsque j’ai découvert le Faire, je croyais sincèrement tous ces livres et magazines qui disaient qu’ils cherchaient des gens comme moi. Désormais, je sais qu’on peut obtenir un statut dans une communauté simplement en parlant de valeurs sans vraiment en subir les conséquences ni dépenser les ressources pour agir selon celles-ci. C’est pareil en Chine où le parti brandit de grands idéaux mais où personne ne fait rien. Shenzhen se dit « la ville des makers » mais il n’y a pas de communauté de makers, seulement des ingénieurs qui travaillent dans des usines. C’est un slogan pour touristes et médias étrangers.

Pour Make et Raspberry Pi, bien sûr que je suis déçue, mais c’est aussi de ma faute parce que je suis trop naïve à attendre des étrangers qu’ils soient d’une certaine manière « mieux » que les Chinois. Je ne peux pas vraiment être choquée de rencontrer les mêmes obstacles en Occident que j’ai connus toute ma vie en Orient. J’ai appris ça avant d’apprendre à nager ! Il ne s’agit pas vraiment de ce que tu peux faire, mais de qui tu es, ce que tes parents ont pu faire pour toi et d’où tu viens. C’est comme dire à un Chinois que l’eau ça mouille. Participer activement à la communauté maker et ses médias est réservé aux privilégiés, blancs de préférence, avec une éducation occidentale. N’importe quelle étude démographique, n’importe quelle étude du public des Maker Faire le montre. Ça aurait été bien que les discours sur l’intégration et la diversité soient réels, mais c’est juste pour le spectacle. Ce n’est même pas propre à l’Ouest, c’est la même chose ici.

Donc oui, je titille Make et Raspberry Pi. Mais en réalité la décision vient de la communauté. La communauté constituée ne veut pas vraiment de participation extérieure et c’est vieux comme le monde.

Naomi Wu n’a pas de compte Facebook (celui en ligne n’est pas le sien), mais tweete ici et poste ses projets et photos sur Imgur