Makery

Ecoteclab, les makers verts du Togo

Atelier démontage d'un ventilateur pour fabriquer une petite éolienne. © Ecoteclab

Ecoteclab, un makerspace consacré aux initiatives à portée écologique, vient de naître dans la capitale togolaise. Rencontre avec une communauté de jeunes passionnés, à l’occasion du Togo Maker Fest.

Lomé, envoyée spéciale

En route vers Ecoteclab. © Caroline Grellier

A Adidogomé, vaste quartier au nord-ouest du centre-ville de Lomé, le taxi-moto qui me conduit file sur une route en sable puis s’arrête sous un manguier. Nous demandons notre route : « En face le CEG Amadahomé, non loin du lycée technique d’Adidogomé. »

L’école des Leaders du développement durable accueille l’Ecoteclab. © Caroline Grellier

J’arrive devant une façade bleue et blanche, celle de l’Ecole des leaders du développement durable (ELDD), qui abrite le makerspace Ecoteclab. A l’origine de l’école, l’association Asdi, en charge de collecter depuis deux ans les Déchets d’équipements électriques et électroniques (DEEE), met à disposition des makers une salle de classe.

La genèse d’Ecoteclab remonte à 2012, quand une bande de copains étudiants en développement durable à l’Institut africain d’administration et d’études commerciales (IAEC) et à l’Institut universitaire d’Agoènyivé (IUA/Esiba) décident de se regrouper pour favoriser la mise en pratique de leurs enseignements. Parmi eux, Kodjo Bruno Kataba et Ousia Foli-Bebe, environnementalistes, Komi Joël Gbenyedzi, fondateur de Green Energy International, qui veulent bricoler des solutions en mettant la technologie au service de l’écologie.

Pour commencer, les jeunes makers entendent sensibiliser les Togolais à l’importance de l’arbre. Ils installent des capteurs d’humidité au feu rouge de Dekon, un quartier non planté où sont vendus les matériels informatiques et électroménagers, et au parc Anani Santos. Les relevés de données serviront de preuve à leur démonstration, diffusée par le site d’info Tech228 et le blog Envi228news que tient Armand Eklou, membre de la communauté.

«La pratique à l’école était difficile, donc on s’est dit qu’on allait se retrouver pour essayer d’apprendre des choses ensemble en bricolant. Je savais que certains bricolaient, mais je ne savais pas que c’était un mouvement mondial! Recueillir des données est essentiel pour nos études. Au Togo, on n’y a pas facilement accès si elles existent. On doit les produire par nous-mêmes.»

Ousia Foli-Bebe, cofondateur d’Ecoteclab

L’ELDD, convaincue des atouts pédagogiques du prototypage, sollicite Ecoteclab pour intervenir dans sa formation « systèmes énergies renouvelables », qui concerne environ 300 jeunes. Le 9 septembre 2016, Ecoteclab est officiellement créé.

Depuis, les quatre copains se démultiplient pour agrandir la communauté. En guise d’inauguration, les makers verts organisent un atelier de construction de four solaire DiY, projet sur lequel Ousia Foli-Bebe planche depuis 2010 en ne cessant d’y apporter des améliorations. Une cinquantaine de curieux font le déplacement et mettent la main au marteau, ce qui encourage les makers à planifier chaque dernier samedi du mois un grand atelier ouvert de ce genre : hardware hacking, Arduino et four solaire, etc.

Initiation au code avec Ousia Foli-Bebe. © Caroline Grellier

Pour marquer la fin 2016, Ecoteclab sollicite les autres communautés du Togo afin de proposer les 29 et 30 décembre le tout premier Togo Maker Fest.  Au programme, en alternance tout au long des deux jours : 1h d’atelier, 1h de présentation de projets et initiatives. Une vingtaine de bricoleurs ont fait le déplacement – j’en étais.

«Ici nous sommes trop des consommateurs, nous devons être acteurs et faire les choses par nous-mêmes! Ecoteclab, c’est avant-tout une communauté, c’est ensemble que nous trouvons nos solutions.»

Ousia Foli-Bebe, cofondateur d’Ecoteclab

Yves Daté, lycéen, le plus jeune maker d’Ecoteclab. © Caroline Grellier

Yves Daté, lycéen en terminale et petit génie d’Arduino, présente son feu tricolore automatisé. Son dernier joujou : éteindre la lumière avec son smartphone. Passionné par les jeux de lumière, il bricolait des circuits intégrés avant de découvrir chez son vendeur de composants une carte Arduino. Il a tout appris sur Internet au cybercafé.

Afate Gnikou, inventeur de la Wafate, explique comment il a transformé une vieille unité centrale en imprimante 3D. © Caroline Grellier

Woora Make aimerait commercialiser la Wafate, l’imprimante 3D fabriquée à partir de déchets informatiques qu’on ne présente plus. Son intervention déclenche un vaste débat sur l’innovation et l’entrepreneuriat au Togo.

Ecolo-bricolage

Trêve de bavardage, place au bricolage. Les équipes se forment autour de trois projets : un compte-personne avec Arduino, une mini-éolienne fabriquée à partir d’éléments de récup (dont des disques durs usagés dont on a retiré les aimants) et l’automatisation de la distribution d’eau à la pompe. En effet, la plupart des Togolais vont chercher des bassines d’eau au forage du quartier, ce qui nécessite aujourd’hui la présence d’un gestionnaire (souvent un enfant de la maison), afin de récupérer l’argent et vérifier la distribution de l’eau. Mais quand toute la maison s’absente, les voisins n’ont plus accès à l’eau… Grâce à un système de jetons à acheter, et à l’aide de capteurs et d’Arduino, l’idée est de proposer un kit automatique.

«Tata Makita est là pour vous les gars, si besoin!»

Ousia Foli-Bebe, cofondateur Ecoteclab (à propos de la perceuse)

Un jus de bissap et un plat d’akpan poisson piment plus tard, nous reprenons les activités dans la bonne humeur : sensibilisation à la cartographie avec Open Street Map, créer sa bibliothèque avec Raspberry Pi, documenter son projet.

Léonce Atanley, le maker fou d’Arduino et d’impression 3D, suscite un fou rire général en nous montrant une photo de sa chambre d’étudiant au Ghana, ou plutôt de son Micro P lab : pas moins de 12 imprimantes dans son armoire y sont alimentées par panneau solaire en cas de coupure d’électricité, des étagères sont accrochées partout au mur, un établi fait quasiment le tour de la petite chambre et… il n’y a bientôt plus de place pour le lit ! « Y’a tout dans ma chambre : 3dprint, laser, explique-t-il. Les gars à côté ne dorment pas à cause du boucan chez moi ! »

Mawusee Foli-Awli, passionnée par l’éducation, clôture cette première édition du Togo Maker Fest par une explication détaillée des licences Creative Commons. Avec son projet Francocar, il souhaite sensibiliser à l’importance du contenu numérique en Afrique, informer et former aux outils de création de contenu et promouvoir les licences CC dans la sous-région. « Les logiciels libres sont la meilleure chose qui nous soit arrivée en Afrique, dit-il. Vous pouvez entrer dans n’importe quelle communauté et apprendre beaucoup des autres. »

Une vingtaine de makers ont participé au Togo Maker Fest d’Ecoteclab… Mais où sont les makeuses? © Caroline Grellier

Faute de temps, à l’issue du Togo Maker Fest, les trois projets ne sont pas terminés. Mais Ecoteclab laisse sa porte grande ouverte pour venir les finir ! Le makerspace fourmille de projets pour 2017. Au menu : plus de données environnementales relevées grâce au prototypage d’une station météo, un projet de séchoir agro-alimentaire, le hacking d’un compteur électrique pour enregistrer les variables de consommation et permettre une meilleure efficacité énergétique, l’introduction d’ateliers « tech Arduino green » avec des enfants et l’organisation de camps de bidouille pendant les vacances scolaires.

L’association Ecoteclab, qui déposera ses statuts fin janvier, compte proposer son expertise pour subvenir aux besoins matériels du lab : quelques Arduino supplémentaires, une défonçeuse, des outils électro-portatifs, une Wafate, etc. Prochaine grande étape : l’aménagement de l’espace, accueillant, à l’image de cette communauté. Avec la même philosophie que leurs grands frères burkinabè du Ouagalab, qu’ils projettent de visiter en 2017, et une détermination sans faille, nul doute que leur makerspace deviendra grand.

La page Facebook d’Ecoteclab