Makery

2017, une année à Faire

Image issue de «L'Espace céleste et la nature tropicale, description physique de l'univers», Emmanuel Liais, 1866. © British Library Public Domain

Fablabs, fabrication numérique, DiY… que nous réserve 2017? Makery est allé sonder experts, makers, fabmanagers et autres bricodeurs à l’orée de la nouvelle année. 

L’année 2017 n’est pas d’un horizon des plus dégagés. Donald Trump entrera le 20 janvier à la Maison Blanche, et avec lui les climato-sceptiques et l’alt-right qui tord la vérité à volonté. En France, nous ne savons pas encore à quelle sauce nous allons être mangés. Rendez-vous en mai… D’autres indicateurs laissent penser que le futur sera à tout le moins dessiné par les makers. En France notamment, où la communauté s’organise en prévision du grand rendez-vous FAB14 de 2018. Makery a posé une question simple à tout un tas de makers, fabmanagers, artistes, experts de l’économie sociale et solidaire : « Fablabs, fabrication numérique, DiY… selon vous, que nous réserve l’année 2017 » ? 

Masato Takemura (Fablab Hamamatsu, Japon)
«L’année du biohacking personnel»

Masato Takemura, ingénieur mécanique, est fabmanager. © Cherise Fong

« Le biohacking personnel sera la grande tendance 2017. Les programmes télé vont se concentrer sur le biohacking, de la même manière qu’ils l’ont fait lorsque les gens fabriquaient des armes avec des imprimantes 3D l’année dernière. Ce qui signifie qu’ils vont attaquer les biohackers. C’est pourquoi nous devons débattre du biohacking et des biotechnologies personnelles. » 

Masato Takemura, ingénieur, biohack académicien, est fabmanager du Fablab Hamamatsu

Claude Soria (Artilect, Toulouse):
«Welcome in Toulouse!»

Claude Soria au dernier Fablab Festival à Toulouse en mai 2016. © Makery

« 2017 sera l’année européenne pour Toulouse. Du 11 au 14 mai 2017, se tiendra à Toulouse le 1er European Fablab Festival organisé par Artilect avec le soutien de la Fabfoundation.

Après la création du Réseau français des fablabs (RFFLabs) en 2016, verrons-nous la mise en place du European Fablabs Network ? Cela serait un beau cadeau des Européens pour FAB14, la conférence mondiale des fablabs, qui aura lieu à Toulouse en 2018.

Welcome in Toulouse! »

Claude Soria est cofondateur du fablab toulousain Artilect et coordinateur du Fablab Festival

Minh Man Nguyen (Woma, Fabcity Grand Paris)
«Toujours plus de collaboration entre communautés»

Minh Man Nguyen à FAB12, en août 2016 en Chine, où il défendait la candidature française à l’organisation de la conférence internationale des fablabs en 2018. © Makery

« 2017 sera une année charnière où le réseau des fablabs et makerspaces en France devra réussir à s’organiser/s’unir pour accueillir la grande réunion des fablabs en 2018. Plus localement, ce sera aussi une année charnière au niveau de Fabcity Grand Paris qui se lance, qui est très attendue, mais qui traduit les volontés de collectifs que l’on énonce depuis plusieurs années.

Je crois beaucoup en cette année car il y a de plus en plus de collaboration entre les différentes communautés pour mener des projets ambitieux qui, je l’espère, préfigureront des évolutions sociétales. »

Minh Man Nguyen, architecte, est fondateur du Woma et président de Fabcity Grand Paris

Benjamin Tincq (Ouishare, Fabcity Grand Paris)
«L’année du réseau Fabcity»

Benjamin Tincq lors de la constitution de l’association Fabcity Grand Paris, en novembre 2016. © Makery

« Les prédictions pour l’année qui vient, c’est toujours un exercice périlleux… mais je dirais qu’en 2017, on devrait observer une polarisation toujours plus marquée entre d’un côté les fablabs à portée essentiellement pédagogique ou orientée sur le libre, les hackerspaces, etc., et de l’autre, les fablabs et makerspaces pro et “pro-am”, plus grands et mieux équipés, avec un modèle économique plus robuste (Techshop, Usine.io, ICI Montreuil…). On devrait voir aussi de plus en plus de projets de méga-lieux d’innovation s’équiper d’ateliers de fabrication numérique, comme Station F.

2017 sera une année constitutive pour le réseau Fabcity, qui commence à prendre de l’ampleur, avec probablement la naissance d’une fondation ou d’un organe similaire à la Fabfoundation. Le second Fabcity Summit devrait avoir lieu à Copenhague en septembre, avant celui de Paris prévu en 2018 pendant FAB14. Parmi les prochaines villes à rejoindre le réseau, on parle de Londres, Bruxelles ou Rennes…

Une chose que j’aimerais voir en 2017 : davantage de projets ambitieux visant à combler le manque fonctionnel situé entre le fablab et la grosse usine. Ce pourrait être d’un côté la “Fab Factory”, ou l’usine flexible régionale inspirée de l’industrie 4.0, dont les chaînes d’assemblage numérisées peuvent produire à la demande de la petite et moyenne série de produits très différents. Et d’un autre côté, le maillage des capacités de production locales, artisans, industriels, usines, au travers de plateformes type Maker’s Row ou Make Works : le modèle Open Desk généralisé à d’autres objets que le mobilier, en somme.

En attendant FAB14, Ouishare vous donne rendez-vous au Ouishare Fest 2017, du 5 au 7 juillet, qui sera centré sur le thème des villes du futur, justement.

Bonne année 2017 à tous les lecteurs de Makery ! »

Benjamin Tincq, innovateur social, est cofondateur de Ouishare et de l’association Fabcity Grand Paris

Olivier Gendrin (Réseau français des fablabs)
«Défendre l’esprit des fablabs»

Olivier Gendrin au Fablab Festival 2016. © Makery

« En 2017, on va voir le réseau français continuer à se construire, à se définir, et à s’affirmer dans l’écosystème français et mondial, notamment au travers de la préparation des événements autour de FAB14, dans 20 mois environ. Il s’agira aussi de défendre l’esprit qui est derrière le nom et la charte des fablabs contre des appropriations mercantiles qui fleurissent de plus en plus. Le nombre de fablabs en activité va encore croître, et chaque département français en aura au moins deux ou trois en décembre. Le nombre des fablabs qui cesseront leur activité va malheureusement aussi croître, et il va être important de comprendre chaque situation et de capitaliser les connaissances qui en émergent. Et évidemment toujours des créations incroyables de la part des usagers, qu’il s’agira de valoriser. »

Olivier Gendrin est président du réseau français des fablabs, le RFFLabs

Shu Lea Cheang, artiste
«Devenons fabuleux, fabriquons fabuleusement»

Shu Lea Cheang en résidence au fablab Echopen de l’Hôtel-Dieu. © Makery

« Faisons pousser des champignons en 2017 ! Nous lançons la Mycelium Network Society à la Transmediale 2017, un réseau d’imagination underground nourri de champignons, de spores, de culture, de cuisine, de radio, de transmissions, d’installations, d’ateliers et de performances. Invoquez à nouveau le champignon magique, faites l’amour jusqu’à l’aube pour parvenir à la conscience fongique collective.

Nous cherchons le mycélium pour nous guider dans les ruines, pour construire des tactiques politiques, pour nous sauver de la crise économique. Devenons immortels grâce au réseau mycélium crypté de la résistance. Devenons fabuleux, fabriquons fabuleusement, une fiction, une [science] fiction. »

Shu Lea Cheang, artiste, actuellement en résidence chez Echopen, lance à la Transmediale 2017 de Berlin la Mycelium Network Society avec Kapelica (Slovénie) et Stadtwerkstatt (Autriche)

Vincent Guimas (Les Arts Codés, Paris)
«Souder de nouvelles résistances»

Vincent Guimas, cofondateur des Arts Codés et de la Nouvelle Fabrique. © Makery 

« 2017 nous invitera sûrement à inventer et souder de nouvelles résistances pour contenir les tensions du système. Je profite donc de ces vœux pour vous partager ce que me “sirota” à l’oreille il y a quelques jours mon ami Armand, anarchoolique et poète de bistrot : “Je préfère mourir que d’disparaître… monsieur Vincent… vous m’entendez !? C’est important !… Mais si VOUS, vous préférez vivre… monsieur Vincent, je comprends… Alors écoutez-moi bien… vous m’écouTEZ ?!!! … Sachez que l’EXISTENCE, monsieur Vincent… c’est l’ART subtil de RE-SI-STER !!! monsieur Vincent…” Fulgurant. A méditer au compte-gouttes. »

Vincent Guimas est cofondateur des Arts Codés 

Yann Paulmier (La Machinerie, Amiens)
«L’année du changement d’échelle»

Yann Paulmier, chef de projet à la Machinerie, le fablab d’Amiens. © DR

« Après quelques années d’expérimentations, de tests, d’itération, 2017 devrait être l’année de la structuration et du changement d’échelle. Pour nous à La Machinerie, cela passe par un déménagement en mai 2017, et le passage de nos locaux actuels de 350m2 à un nouveau bâtiment de 750m2 au cœur d’un quartier en reprogrammation. Nous sommes mobilisés pour faire de ce déménagement une opportunité de construire un projet plus large : celui d’un quartier de l’innovation sociale, au cœur d’Amiens. Dans ce cadre, nous accueillons en janvier les élèves du Master en économie sociale et solidaire de l’université Haute-Alsace, pour une grande enquête de terrain visant à mobiliser les acteurs du territoire autour d’une ambition commune. Nous travaillons également avec la SEM Amiens Aménagement et la foncière Etic pour préfigurer un pôle d’activité autour de La Machinerie, regroupant structures de l’ESS, artisans, créateurs locaux, etc.

2017 est une année charnière pour les réseaux et acteurs qui tentent de construire des alternatives. Année électorale, elle peut être l’occasion de gagner en visibilité et en crédibilité. Elle peut permettre de mettre en lumière d’autres façons de travailler, de consommer, de se déplacer, de produire son énergie, etc. Plus fondamentalement, elle peut permettre de démontrer que le choix existe, dans toutes les composantes de nos vies, et que c’est la somme de ces choix qui oriente notre mode de vie commun. Si le débat se focalise sur l’avenir que nous voulons et non le passé que nous ressassons. Si chacun accepte de sortir de sa posture et d’être constructif. Si nous cherchons à mettre en avant ce qui nous rassemble plutôt que ce qui nous sépare. Alors 2017 ne sera pas une occasion manquée. »

Yann Paulmier est chef de projet incubation au fablab La Machinerie d’Amiens

Samuel N. Bernier (Onepoint)
«Construire des ponts entre VR, IA, design et fabrication additive»

Samuel N. Bernier est l’ancien directeur créatif du Fabshop. © DR

« On commence à voir les grandes entreprises transformer leurs pôles d’innovation en fablabs et je crois que cette tendance ira en s’accentuant. Les makers ont gagné en réputation et sont de plus en plus recherchés par ces entreprises pour leur polyvalence et leur capacité à concrétiser leurs idées rapidement. 2017 est l’année où l’on verra des ponts se construire entre les technologies du moment : réalité virtuelle, intelligence artificielle, design génératif et fabrication additive. »

Samuel N. Bernier, designer, est directeur de la création de Onepoint

Quentin Iprex (Techbakery.co)
«Vers une version décentralisée de la production»

Quentin Iprex a quitté Usine IO pour lancer le site Techbakery. © DR 

«Avec Techbakery, on travaille sur un concept de micro-usine permettant de distribuer la production dans une multitude de petites usines dans chaque ville, au plus proche des utilisateurs. Le type de produits se concentre autour des produits manufacturés de grande consommation. Un des gros challenges est de passer d’une version centralisée de la fabrication (des outillages custom, une supply chain définie et des opérateurs formés pour un unique produit) à cette version décentralisée (des outils numériques versatiles, un langage de production et d’assemblage commun servant pour tous les produits).

On espère beaucoup que l’impression 3D va gagner en vitesse. On croit surtout beaucoup à la numérisation de processus industriels (parce que c’est aussi ce que recherchent les gros industriels du secteur pour être beaucoup plus réactifs). »

Quentin Iprex, explorateur de la production locale, ancien de l’Usine IO, est fondateur de Techbakery.co

Julien Bellanger (Ping, Plateforme C)
«Un futur d’économie circulaire et de circuits courts»

Julien Bellanger, chargé de développement de Ping et du fablab nantais Plateforme C. © DR

« A Nantes, 2017 sera une année où l’on affirmera notre désir d’un futur d’économie circulaire, de circuits courts et de transport équitable (non, je ne parle pas de Notre-Dame-des-Landes…). Et pour cela, nous espérons que cela soit une année sous le signe de l’ouverture des activités des fablabs vers des pratiques citoyennes et collectives. En somme, au-delà des temps de fabrication, de prototypage, que nos lieux proposent des temps de production de connaissance, d’échanges conviviaux et ouverts au plus grand nombre, qu’ils accueillent un peu plus de disnovation dans leurs murs, pas seulement sous l’angle de l’innovation artistique, mais également sous celui de la dystopie de l’innovation, ou encore dyslexie de la création. Car c’est aussi cet aspect ludique et critique qui nous permettra de ne pas être trop naïfs sur l’horizon rétrograde que laisse pour le moment présager ce mois de janvier. »

Julien Bellanger est chargé de développement de Ping et du fablab Plateforme C à Nantes

Chris Wang, dit Akiba (Hackerfarm, Japon/Etats-Unis)
«Excusez-moi si mes prévisions sont un peu sombres»

Akiba montre deux sources d’inspiration du hackerspace rural Hackerfarm. © Cherise Fong 

« 1) Il y aura beaucoup de turbulence politique.
2) Le “faire” sera orienté moins vers des designs fantaisistes que vers des applications fondamentales. Ceci comprend l’automatisation des tâches banales telles que la surveillance, les alarmes, etc.
3) La communauté maker grand public s’intéressera plus aux énergies renouvelables comme le solaire et l’éolienne et à comment s’en servir pour alimenter leurs designs.
4) Les prix des technologies de base continueront à baisser de manière effrayante : des microprocesseurs 64-bit à 5$, des systèmes wifi à 3$, etc. Actuellement la technologie est à la portée financière d’à peu près tout le monde, mais il reste un fossé énorme entre ceux qui savent comment s’en servir correctement et les autres. On va commencer à se pencher sur cette question d’éducation en 2017.
Excusez-moi si mes prévisions sont un peu sombres. Je pense que l’année 2017 est prometteuse, mais mettra en évidence de grands écarts entre les communautés conservatrices, libérales et progressistes. En tant que libéral et progressiste, je pense qu’il est important de faire face au protectionnisme, au nationalisme et aux préjugés. Une façon de le faire, c’est à travers l’éducation. A Hackerfarm, donc, nous allons nous concentrer sur la pédagogie et l’enseignement de la technologie en 2017, mais dans le contexte de choses fondamentales comme l’agriculture et la nourriture. »

Akiba, cofondateur du Tokyo Hackerspace, a cofondé le hackerspace rural japonais Hackerfarm (lire le reportage de Makery)