Makery

Le réel augmenté aux interférences du Kikk Festival

Avec «Dead Drops» (2010-2012), l'artiste Aram Bartholl, vu au Kikk Festival 2016, crée un réseau alternatif à l'Internet de fichiers à partager dans l'espace public. © Aram Bartholl CC by SA 3.0

A Namur, le 6ème Kikk Festival, du 3 au 5 novembre, a attiré 15000 curieux pour une bouquet de conférences, ateliers, performances et expos, autour du numérique, du design et de l’innovation. Où l’art était convié à brouiller les pistes.

Namur, correspondance

Le Kikk Festival, dont la 6ème édition se tenait du 3 au 5 novembre 2016 à Namur, en Wallonie, est un événement déroutant consacré à l’innovation, au design et au numérique. Dans un esprit d’ouverture et de générosité, la petite ville belge accueille chaleureusement des milliers de personnes venues de partout dans le monde pour trois jours jalonnés de conférences, ateliers, performances, expos, concerts. Le tout gratuit et ouvert au plus grand nombre. Objectif : « Découvrir comment les nouvelles vagues d’artistes explorent le phénomène des interférences acoustiques, magnétiques, d’ondes radio, de lumière, de matière, etc. – Le verbe “interférer” signifiant aussi “intervenir”, de nombreux artistes activistes brouillent les systèmes pour dénoncer les pratiques jugées envahissantes. »

En physique, une onde est une réaction réciproque de deux phénomènes propageant un mouvement. Contre toute immobilité, le Kikk incite à laisser venir à soi les interférences qui font évoluer notre façon de voir les choses. Artistes, designers, chercheurs, innovateurs, développeurs, photographes… Les étiquettes tombent, les terrains d’expérimentation se chevauchent. Et les « interférences artistiques » questionnent notre perception du réel.

Adrien M et Claire B inventent l’illusion sensible 

Le binôme est pluridisciplinaire : Adrien Mondot, informaticien et jongleur, s’intéresse aux interactions possibles entre le numérique, la danse et la musique, Claire Bardainne, plasticienne, est aussi designer graphique et scénographe. Ensemble, ils fondent la compagnie Adrien M & Claire B. Leurs spectacles mélangent arts numériques et arts vivants. Tout deux partagent un rêve, expliquent-ils en conférence : créer grâce à la magie des nouvelles technologies un univers numérique vivant et sensible. 

Leur création Pixel (2014) est une invitation à embarquer dans un voyage poétique hors du commun, troublant la frontière entre réel et virtuel. L’humain et le corps en mouvement restent cependant au cœur de leurs enjeux technologiques, disent-ils. 

«Pixel», Adrien M et Claire B (extraits):

Akufen, conteurs d’histoires de l’ère digitale

Akufen est un studio créatif basé à Montréal qui explore le Web. En s’emparant des nouvelles technologies pour raconter des histoires, ils produisent des expériences interactives qui questionnent le parcours narratif. Le propre de l’homme est de créer des histoires. De la tradition orale à l’imprimerie jusqu’aux nouvelles technologies, les outils d’aujourd’hui permettent d’écrire les histoires de demain.

«Journal d’une insomnie collective», webdoc à dormir debout. © Akufen

En donnant à l’utilisateur le pouvoir d’être le créateur de sa propre expérience, Akufen interroge les enjeux propres au digital et ouvre le champ des possibles. Dans le Journal d’une insomnie collective (2013), un webdoc réalisé en collaboration avec l’Office national du film (ONF) du Canada, l’utilisateur était convié à prendre rendez-vous avec un insomniaque pour être au cœur de l’expérience. 

Leur dernier projet est un vrai ovni, Dada-Data (2016). Un projet fou (auquel Makery avait contribué en mars dernier, pour sa partie live au Cabaret Voltaire) est un webdoc de David Dufresne et Anita Hugi, fait d’exercices interactifs en rafales, des « hacktions dada » qui rendent hommage au mouvement artistique de 1916 tout en soulignant son héritage encore bien vivant. Pensons Dada ! Dada soulève tout ! 

«Tweet Poetry» dans « Dada-Data », réal. Akufen, 2016:

Gene Kogan décortique le machine learning pour l’art 

Les terrains d’expérimentation de cet artiste chercheur et programmeur de New York s’articulent autour des systèmes génératifs, des nouvelles technologies et de l’intelligence artificielle… Installations, performances, workshops et cours, développement de logiciels open source… Kogan le touche-à-tout est très impliqué dans la communauté open source, avec laquelle il partage les mêmes aspirations : pour lui, la création est toujours un acte de collaboration.

Chapitre en cours d’écriture de «Machine learning for Artists» (capture écran). © Gene Kogan

Il raconte le projet qui l’anime en ce moment, Machine learning for Artists, un livre sur l’intelligence artificielle destiné aux artistes, dont il promet une première version librement accessible début 2017. Pour les artistes, les activistes philosophes et les scientifiques. 

Kathy Hinde rapproche nature et techno 

Kathy Hinde, compositrice et artiste visuelle qui vit à Bristol, cherche à éveiller le public au monde qui l’entoure sous forme de performances et d’installations audiovisuelles. Elle crée des expériences génératives et évolutives se confrontant aux phénomènes naturels et collabore souvent avec des professionnels de différentes disciplines pour impliquer activement le public dans le processus créatif, l’invitant à appréhender la réalité par le biais du sensible, en éveillant ses sens. Elle ne cesse de s’interroger sur la façon dont l’humain, la nature, la technologie et les machines interagissent ensemble. « C’est la combinaison de systèmes artificiellement intelligents avec l’intuition humaine et l’instinct d’adaptation que je trouve le plus puissant », explique-t-elle au Kikk. 

Elle présente notamment Tipping Point (point de basculement, 2014), installation-performance qui nous interroge sur la façon dont nous utilisons les ressources en eau du monde. Tipping Point explore les complexités sonores et les possibilités de combiner des vases en verre avec les niveaux d’eau. C’est une installation sonore sculpturale où les sons sont captés en direct via un microphone puis réintroduits à l’intérieur de chaque récipient en verre, produisant échos et boucles sonores. En contrôlant les différents aspects de son installation hybride, elle devient le chef d’orchestre d’un paysage sonore immersif.

«Tipping Point», de Kathy Hinde (extrait de la performance live):

Aram Bartholl se joue des mondes numérique et physique

Aram Bartholl, artiste conceptuel vivant à Berlin, travaille sur les liens entre Internet, réel et culture. Sa démarche artistique est alimentée par le mouvement DiY et le développement d’Internet. Il crée des installations qui jouent sur la relation entre espace public et espace privé, tout en remettant en question le réel. 

«Phone Zone», un faux-vrai espace physique pour téléphones portables. © Aram Bartholl CC by SA 3.0

C’est lui qui a mis en place le réseau des Dead Drops (2010-2012), ces clés USB disséminées à travers le monde dans les espaces publics, qu’on peut localiser sur une carte interactive et qui invitent au partage de données dans le monde réel. Du pair à pair sans l’Internet. Pour Phone Zone (2016), il se joue des codes des chemins de fer de la Deutsche Bahn qui délimitent les zones fumeur en plein air. En les détournant (une zone dessinée au sol comme un espace virtuel lié à une fonction) pour l’utilisation du téléphone portable, l’artiste questionne notre rapport à l’espace.

Cherchez votre mot de passe Linkedin dans «Forgot your Password?». © Aram Bartholl CC by SA 3.0 

Dans Forgot Your Password? (2013), il matérialisait en huit volumes les 4,7 millions de mots de passe d’utilisateurs du réseau social Linkedin (la base de données piratée en 2012 avait fuité sur Internet). Les visiteurs sont invités à rechercher leur propre mot de passe dans le classement par ordre alphabétique, brouillant les frontières entre privé et public.

Indemne? 

Ce n’est qu’un tout petit échantillon de ce que proposait le Kikk cette année. Les yeux émerveillés par ces faiseurs de rêve, ces inventeurs fous, on n’en sort pas indemne… Cette parenthèse inspirante, ce vivier d’innovation gonflé à l’exploration, la surprise et l’analogie, bouscule le quotidien. Exactement ce dont on a besoin pour réinventer le monde de demain…

Le site du Kikk Festival 2016