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Code à l’école: des progrès mais peut mieux faire

Le 24 novembre, le Sénat accueillait un débat organisé par une association de parents d'élèves sur le code à l'école. © Carine Claude

Exit le grec et le latin, place au code! Depuis la rentrée 2016, le codage informatique fait partie des programmes scolaires au même titre que le français ou les maths. Gadget ou vraie réforme?

Une semaine pour faire le plein de 0 et de 1. Du 5 au 11 décembre, le mouvement international Une heure de code fédère près de 140 000 actions dans le monde entier pour initier des millions d’enfants au codage informatique. Soutenue par Barack Obama en 2014, l’initiative américaine a rapidement fait tache d’huile y compris en France, toujours à la traîne question enseignement de l’informatique et des sciences, comme le confirme le dernier rapport Pisa publié le 6 décembre. En tout cas bien loin derrière l’Estonie, pionnière du code à l’école dès 2012, ou encore du Royaume-Uni. Car en France, inscrire l’apprentissage du code dans les programmes scolaires ne va pas de soi.

« Lors des échanges parlementaires, il n’est pas rare d’entendre que le numérique à l’école n’est qu’un gadget de plus au détriment de l’apprentissage des fondamentaux », déclare Françoise Cartron, vice-présidente du Sénat, à l’occasion du débat sur le codage informatique à l’école organisé par l’Association des parents d’élèves de l’enseignement libre (Apel) le 24 novembre, en présence de sénateurs, d’enfants, de parents, d’enseignants et de chercheurs, notamment le philosophe et logicien Gilles Dowek de l’Institut national de recherche en informatique et automatique (Inria).

«On ne peut pas faire la même école qu’il y a 100 ans.» Françoise Cartron, vice-présidente du Sénat (micro). © Carine Claude

Malgré les réticences d’une partie de la classe politique, l’idée de faire rentrer le code à l’école fait pourtant son chemin. En janvier, en marge du débat à l’Assemblée sur le projet de loi République numérique, quelques députés avaient même eu droit à une initiation au code sur Minecraft par des collégiens de Seine-Saint-Denis devenus profs d’un jour.

Alors qu’il était président du groupe PS à l’Assemblée, Bruno Le Roux, nouveau ministre de l’Intérieur, avait fait son heure de code en janvier 2016. © Carine Claude

Le code au programme

La France a finalement sauté le pas. Depuis la rentrée 2016, le code informatique appartient officiellement au « socle commun de connaissances et de compétences » que tout élève du primaire et du collège doit détenir à l’issue de sa scolarité obligatoire, au même titre que le français, les langues étrangères ou les maths. Son décret d’application précise que l’enseignement doit permettre à l’élève de « connaître les principes de base de l’algorithmique et de la conception des programmes informatiques (…) pour créer des applications simples ».

Il ne s’agit donc pas de former l’intégralité d’une classe d’âge aux métiers de l’informatique, mais bien de donner aux élèves les moyens de comprendre et de maîtriser leur environnement numérique. « Pour agir dans un monde toujours plus connecté, il est important que l’élève connaisse les principes du code informatique et soit capable de réaliser des applications utilisant des algorithmes simples », précise le gouvernement au sujet du plan Numérique à l’école lancé en mai 2015. Un écho aux propos de l’académicien Gérard Berry, titulaire de la chaire Algorithmes, machines et langages du Collège de France, qui déclarait au Monde en 2014 : « L’informatique façonne le monde moderne. Il faut casser la frontière entre ceux qui sont capables de créer, et ceux qui resteront des consommateurs d’écrans. »

Doté d’1 milliard d’euros sur trois ans, l’ambitieux volet digital de la réforme du collège engagée par le ministère de l’Education nationale est donc censé équiper les bambins en tablettes, former les enseignants à l’informatique, faire rentrer le code dans les classes… Une bonne volonté saluée par une majorité d’associations de parents d’élèves et de défense des libertés informatiques. « Le code, autant que le latin dans le passé, fera partie du socle de culture générale », affirme Didier Clermonté, retraité du BTP et bénévole de l’April, une association de défense des logiciels libres, à l’occasion de l’Open Source Summit organisé à Paris le 16 novembre. Pourtant, seuls 42% des parents d’élèves ont une idée plus ou moins précise de ce qu’est le codage informatique selon un récent sondage BVA

Le code, une bonne chose? Oui, mais…

Si l’initiation des élèves au code rencontre un relatif consensus, ses modalités d’application sont loin de faire l’unanimité. En cause, le manque de concertation du corps enseignant et une décision politique dénoncée comme unilatérale. « Avant d’imposer l’apprentissage du code à l’école, il s’agirait d’abord de faire une étude sérieuse sur le sujet, de conduire des expérimentations, de suivre les apprenants et de faire un retour significatif sur un échantillon de plusieurs milliers d’élèves pour en mesurer l’impact, sinon on reste au niveau d’une discussion de comptoir », analyse, sévère, un informaticien de l’association de défense des logiciels libres La Mouette.

Alors que les parents d’élèves seraient largement favorables à l’apprentissage du code au collège et au lycée — une bonne chose pour 95% d’entre eux —, ils se montrent déjà nettement plus réservés sur la question du codage informatique dès l’école primaire.

Sondage Apel/BVA novembre 2016. © BVA

Protection des données personnelles des enfants, exposition de leur vie privée sur les réseaux et crainte du hacking suscitent la méfiance des parents. « La méconnaissance du codage informatique peut créer des fantasmes », explique Julien Goarant de l’institut BVA lors du débat de l’Apel au Sénat. « Pourquoi pas imaginer des formations pour acculturer les parents, d’un point de vue technique bien sûr, mais aussi sur des questions d’éthique, de choix, d’efficacité, de tolérance et d’espace de liberté. »

Sondage Apel/BVA novembre 2016. © BVA

Pour mettre en place ce vaste chantier du code à l’école, le ministère de l’Education nationale a multiplié les appels à projets et les partenariats. Celui conclu avec Microsoft fait particulièrement grincer des dents. La firme américaine s’est engagée à investir 13 millions d’euros dans le cadre du plan numérique scolaire pour la fourniture gratuite de suites logicielles et d’un programme d’apprentissage du code pour les élèves. Mieux : Microsoft va également former des enseignants et mettre à leur disposition « une plateforme de jeux sérieux et un réseau social interne sécurisé et privé ».

De quoi faire bondir certains parents d’élèves qui s’insurgent contre le mauvais signal envoyé par le ministère, censé garantir la diversité à l’école et la sécurité des données personnelles des enfants. « En effet, la confiance ne se décrète pas mais je peux vous garantir que nous ne divulguons pas les données de nos utilisateurs, nous affirme Frédéric Aatz, directeur de la stratégie interopérabilité et open source chez Microsoft France. Nous travaillons en toute transparence et en conformité avec les commissions de régulation. D’ailleurs, nous répondons systématiquement à toutes leurs demandes. » Ce qui n’a pas empêché en juillet dernier la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) de mettre en demeure Microsoft pour « cesser la collecte excessive de données et le suivi de la navigation des utilisateurs sans leur consentement ».

Mais qui va enseigner le code?

Au-delà de l’hégémonie Microsoft, la question globale de la formation des profs au code cristallise les crispations. En l’absence d’un recrutement massif d’enseignants en informatique, la tâche incombera aux autres professeurs. « Aujourd’hui, l’enseignement informatique relève de l’esprit pionnier de certains enseignants qui s’autoforment, mais il n’y a pas vraiment de passage à l’échelle, explique David Wilgenbus, astrophysicien responsable des ressources pédagogiques de la fondation La main à la pâte lors du débat au Sénat. On ne peut pas changer le système juste sur leur bonne volonté, il y a une décision politique à prendre. »

«L’enjeu du code à l’école est de changer la manière dont élèves et professeurs appréhendent l’erreur.»

Gilles Dowek, chercheur à l’lnria

Comme le rappelle la Société informatique de France consultée par le ministère de l’Education cet été : « Il faut aussi être conscients de ce que, petit à petit, nous verrons arriver des générations d’élèves de plus en plus compétents en informatique, qui auront eu des cours à l’école, au collège, au lycée et qui auront aussi eu accès à de nombreuses connaissances en ligne, et qui n’en auront que plus d’attente de compétences des professeurs dans ce domaine. Il faudra accompagner cette montée en compétence des élèves par une montée en compétence préalable des enseignants. » Avec un maillage de 65 000 écoles, 7 000 collèges et 3 000 lycées en France, il faudrait aujourd’hui 40 ans pour renouveler le corps professoral. Dans ce contexte, la formation continue prime. Et tant pis si le prof de français ou de maths n’a pas la fibre informatique. Pour les aider, plusieurs dispositifs ont été mis en place dès la rentrée 2016, tel que Class’Code − un Mooc participatif destiné aux enseignants — ou encore l’Ecole du code.

L’école n’est certainement pas le seul vecteur d’apprentissage des langages informatiques et de l’algorithmie. A l’instar de l’Heure de code ou des Coding goûters, les initiatives se multiplient pour sensibiliser les enfants à la programmation, des médiathèques en passant par les fablabs et les associations. Tant mieux : 65% des parents pensent qu’apprendre le code aura un impact positif pour l’avenir professionnel de leurs enfants.