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Il tricote des virus informatiques contre les virus de l’hiver

Echarpe au motif du virus Stuxnet tricotée par Jeff Donaldson. © Jennifer Casey

Venu du glitch et du circuit bending, l’artiste américain Jeff Donaldson utilise le code de logiciels malveillants pour tricoter des écharpes. Une manière de rendre visible l’invisible.

Jeff Donaldson est un rejeton du glitch art depuis 2001. Ce musicien inspiré par John Cage et son piano préparé utilise cette approche créative pour ses compositions à la guitare et verse aussi dans le circuit bending, en français le « pliage de circuits » qui permet de transformer des instruments de musique pour produire de nouveaux sons. A force de « plier » de vieux jeux et consoles vidéo, Jeff Donaldson s’est aperçu que les motifs graphiques cassés en 8 bits ressemblaient à des motifs textiles. « Voir qu’un jeu vidéo aux graphismes cassés peut rappeler des formes visuelles issues du mouvement artistique Bauhaus a été une révélation. Pour moi, c’était comme un écho du futur », confie-t-il.

Echarpe qui encode le virus Melissa. © Jeff Donaldson

Petit à petit donc, Jeff applique sa démarche d’esthétisation de l’erreur au textile. Avec les séries Data Knit et Data Weave, il redéfinit le tissu comme véhicule d’informations. Que ce soit leurs formes, les manières de les produire ou leurs couleurs, les textiles communiquent. En 2010, Jeff débute un projet portant sur les virus informatiques. « Mon intérêt pour les malwares est conceptuellement lié à mon intérêt pour le glitch, même si dans le cas des virus, un résultat intentionnel est attendu. Mais alors que je travaillais sur mes Data Knits, j’ai réalisé que la taille d’un fichier binaire de malware est juste parfaite pour une écharpe tricotée : l’équivalent de ce dont j’avais besoin en terme de données pour une écharpe est d’environ 32 kilooctet (ko) ; le binaire du malware Melissa est d’environ 52ko. »

Avec la série Malwear, un jeu de mots entre malware et wear (vêtement), l’artiste textile encode le binaire d’un virus en textile, en attribuant à chaque couleur une signification différente, par exemple 0 = noir et 1 = blanc. Il s’inspire de Melissa, un virus propagé en 1999 pour saturer les serveurs et les outils de messagerie, de Stuxnet, un virus développé conjointement par les Etats-Unis et Israël en 2010 pour attaquer les installations nucléaires iraniennes, ou encore du ver informatique Iloveyou, venu des Philippines en 2000. Pour chaque programme, Jeff Donaldson adapte son encodage.

 

Pour Stuxnet, il choisit 00 = blanc, 01 = gris clair, etc. Cette compression à 2 bits par pixel permet de faire tenir le code de Stuxnet ou celui de Melissa dans 32ko. Le logiciel utilisé est spécialement écrit pour l’occasion. Quand on lui pose la question sur l’ouverture de son code, il répond qu’il le fera « à un moment donné », reconnaissant qu’il n’y « a jamais vraiment pensé ». Quant au tricotage des écharpes et autres châles qu’il vend en ligne (autour de 75€), Jeff fait tout lui-même avec une machine Brother. Une marque bien connue des tricoteurs numériques du glitch art. D’ailleurs, si l’on connaît l’encodage des couleurs, on peut rétro-ingénierer les malwares à partir des écharpes et ainsi retrouver le virus dans le motif.

Mais alors, quel est le sens de ces créations ? Le glitch art concerne généralement l’esthétisation des bugs et autres dysfonctionnements numériques. Avec Malwear, le but est de montrer les structures de données sous-tendant des logiciels malveillants ou, comme le cas de Stuxnet, de logiciel-arme. Alors qu’on associe généralement le glitch art à une dénonciation de la société de consommation, Jeff Donaldson avance : « Le glitch est un commentaire sur la société contemporaine, c’est l’humanisation de ce que l’on vend aux gens en tant qu’outil parfait. Cependant, l’utilisateur classique est à des années-lumière de la manière dont fonctionnent les ordinateurs ou les logiciels. Le glitch montre l’implication humaine. »

Le site Glitchaus de Jeff Donaldson et le site de vente de ses datatricots