Makery

Hackoustic, le réseau londonien des hackers du son

Dans le hall de la Tate, on écoute de la musique avec des cintres grâce à Hackoustic, le 28 octobre 2016. © Elsa Ferreira

Hackoustic regroupe une dizaine d’artistes sonores à Londres. Circuit bending, lutherie recyclée ou disques en impression 3D… ces musiciens makers partagent leurs savoirs et exposent leurs talents.

Londres, de notre correspondante

Est-ce de l’art, de la musique ou du hack ? Les trois, répond Tim Yates, fondateur du groupe Hackoustic, un réseau de hackers du son établis à Londres. « Les limites sont complètement fluides. »

Musicien de formation et maker, il a co-fondé Hackoustic il y a trois ans avec l’artiste musicien Saif Bunni pour donner « l’opportunité et l’espace » de créer et détourner ses instruments. « On sentait qu’il y avait des espaces pour construire et hacker des logiciels ou des synthés modulaires, mais il n’y avait pas tellement d’endroit qui se concentre sur les cordes, le bois et le côté physique de la musique et de la fabrication d’instruments », explique-t-il.

Tim Yates, co-fondateur de Hackoustic, et Tom Fox, co-gérant, à Londres. © Elsa Ferreira

Deux fois par mois, Hackoustic réunit des créateurs aux talents bien différents venus présenter leurs créations : Kelly Snook, scientifique qui a travaillé sur le programme lunaire de la Nasa et qui développe aujourd’hui Mi.mu, des gants qui permettent de contrôler la voix et les instruments par simples gestes de la main ; Opto Noise, projet musical et artistique porté par Stan Lewry qui joue de la musique par projection de laser sur divers médias (disques imprimés en 3D, sucre, bois, plastique…) ; Samira Allaouat, alias Night by Night, qui a créé l’installation No Plug Sound Machine pour créer du son électronique sans électricité conventionnelle ; ou encore Tom Fox, luthier prolifique d’instruments en objets recyclés, qui gère le groupe avec Tim Yates. « Il y a un réel besoin et appétit pour un lieu où trouver l’inspiration, des contacts et un forum et pour apprendre du savoir des autres », se réjouit le fondateur. 

«No Plug Sound Machine», Night by Night, 2015: 

«Amener les bonnes personnes aux bons évènements»

Hackoustic n’est ni un collectif, ni une communauté. « Un groupe », ont-ils décidé de s’appeler, où une dizaine de makers musiciens se retrouvent (l’amplitude est aléatoire). Tom Fox et Tim Yates agissent aussi en tant que curateurs et « amènent les bonnes personnes aux bons évènements ». Ainsi, le 28 octobre dernier, ils ont été chargés par l’équipe de la Tate Modern – qui a décidément les makers luthiers en vue puisque qu’elle faisait déjà appel à eux pour son inauguration en juin – de trouver une dizaine d’artistes sonores pour le lancement de Uniqlo Tate Late, soirée mensuelle gratuite. 

« Ça a beaucoup évolué depuis le début d’Hackoustic, reconnaît Tom Fox. On a désormais beaucoup d’offres pour des événements, comme la Maker Faire ou d’autres lieux qui veulent exposer ce genre de productions. On veut amener ces gens dont on a présenté le brillant travail aux endroits où on est invités. »

Sur les quatre étages du musée d’art moderne londonien ultra bondé (plus de 14 000 personnes se sont déplacées à cette soirée), neuf makers présentaient leurs installations. On a pu y voir le Curio de Tim Yates, sorte de boîte à rythmes électronique qui déclenche des percussions en cuivre, la collection d’instruments de Tom Fox et son Proximity Mixer, sorte d’installation à samples qui déclenche les échantillons selon les composants touchés, le Xoxx composer, élégant instrument à samples et à billes du designer Axel Bluhme ou encore les superbes édredons et toiles électroniques de Stewart Easton. Une bande son composée par Michael Tanner se déclenche sur simple effleurement des broderies tactiles.

A la Tate Modern, un visiteur touche la toile de Stewart Easton pour déclencher des sons qui racontent l’histoire d’une famille imaginaire. © Elsa Ferreira

Egalement membre de la galaxie Hackoustic, Tasos Stamou, musicien électroacoustique qui fabrique la plupart de ses instruments en matériaux recyclés, a dû déclarer forfait pour la soirée du 28 octobre. Cet adepte du circuit bending récupère des appareils électroniques, souvent des vieux jouets, pour « convertir le son en quelque chose de plus sophistiqué ». Si sa musique est expérimentale, l’artiste d’origine grecque a trouvé son public : il a sorti un dizaine d’albums et tourne partout en Europe. « En tant qu’artiste, je me suis tourné vers la technique pour créer de nouveaux sons, explique l’ancien photographe. Souvent, dans le milieu hacker, c’est l’inverse. »

«Power Lunches» (edit), Tasos Stamou (Robotribal C42 LAL-80), 2016:

A la rencontre du grand public

Tim Yates le sent : l’intérêt pour la scène des hackers du son est grandissant, l’exposition de la Tate n’en est que le dernier exemple, et il compte bien en profiter. « Souvent, on est dans une bulle, entre artistes sonores et hackers. Mais à la Tate, on touchait le grand public et on sentait que la réponse était très positive, qu’il y avait un appétit et un intérêt. »

A partir de l’année prochaine, les deux makers voudraient organiser plus d’« événements sociaux », avec des présentations de projets mais aussi des mini ateliers, pour par exemple construire un instrument avec une boîte de Pringles et « montrer qu’il est très facile de fabriquer quelque chose ». Une façon de toucher le grand public mais aussi de créer des opportunités pour les artistes hackers. « C’est quelque chose d’important en tant que groupe. Il y a beaucoup trop d’artistes qui travaillent pour rien. Il faut que l’on trouve comment rendre ça juste pour tout le monde, le public comme les artistes. »

Une mission compliquée attend les porteurs d’Hackoustic : convertir les oreilles profanes à la musique expérimentale. Une initiation en forme de parcours sonores, du simple au complexe, « presque une manière collaborative d’aborder la vision d’un monde sonore », imagine Tim Yates. « Si tu pars directement sur des expérimentations compliquées, les gens vont trouver ça trop différent. Il faut montrer qu’il y a quelque chose à découvrir, qu’en entrant dans la pièce, on soit déjà ouvert à l’idée qu’on va écouter du son comme on n’en a jamais entendu. On regarde les installations, on découvre quelque chose du processus et quand on arrive à la performance, on est prêt à penser différemment aux sons. »

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