Makery

Kano décortique l’informatique pour les 99%

Dans les locaux de Kano à Londres, un portrait de Kanō Jigorō, fondateur de l'art du judo qui en a répandu la pratique en la rendant ludique. © Elsa Ferreira

La florissante start-up d’Alex Klein, 26 ans, a déjà vendu 100000 kits d’ordinateurs DiY, fédère une communauté de 82000 personnes et lance une nouvelle gamme d’objets techno à monter et coder soi-même. Rencontre avec celui qui voudrait donner le pouvoir informatique à tous.

Londres, de notre correspondante

Rendez-vous dans l’est de Londres, « la porte au fond du bar ». Dans un grand open space, où les rares bureaux sont construits en boîtes de cartons, Makery rencontre Alex Klein, 26 ans, patron de Kano, et son « gang de weirdos » (bizarros), comme il le décrira plus tard. Weirdos peut-être, mais qui savent ce qu’ils font. La start-up londonienne à la plus forte croissance du pays, a réussi une levée de fonds à plus de 15 millions de dollars en mai 2015 et a vendu 100 000 kits DiY d’ordinateurs à monter soi-même depuis sa création début 2013. « C’est un projet à long terme, présente Klein. Mais ce que nous imaginons depuis le début est un système informatique créatif dont le but est de vous donner le contrôle sur les appareils et les applis que l’on tient pour acquis au quotidien. »

Alex Klein, co-fondateur de Kano. © Elsa Ferreira

L’entreprise peaufine sa dernière ligne d’appareils – un appareil photo, un haut-parleur et un écran de LEDs connecté, actuellement en crowdfunding. Mais c’est sur son premier produit qu’elle a bâti sa réputation, un ordinateur en kit « que tout le monde peut construire et coder ». Alex Klein s’est inspiré de l’envie de son cousin de 6 ans qui voulait fabriquer un PC comme on jouerait avec des Lego, c’est-à-dire sans qu’un adulte ne lui explique.

«Apprends à coder et tu deviendras milliardaire»

« Ce qu’on avait du mouvement maker, ce sont des Raspberry Pi, des câbles, des plaques d’essai, mais c’est très compliqué. On a regroupé toutes les pièces dont on a besoin pour brancher le haut-parleur, permettre l’alimentation, donner de la mémoire, du wifi… » Surtout, l’équipe à mis au point le « story book », un manuel de montage simple et ludique. « Beaucoup de gens dans la tech pensent que la narration est la dernière chose à travailler. » Pour cet ancien journaliste, qui a écrit pour Newsweek, The New Republic, New York Magazine ou encore Buzzfeed, « c’est aussi important que le design ». Sur chaque page, un schéma, deux lignes explicatives et une action à accomplir. « Tu peux manger un éléphant morceau par morceau », résume Klein.

Une fois l’ordinateur construit, l’utilisateur peut créer ses programmes en Javascript grâce aux techniques de codage basées sur des blocs de commande et sur du texte. « On fractionne la programmation en parties attrayantes et intuitives. On te montre et te dit quoi faire. » Cette approche a valu au chef d’entreprise d’être élu par Forbes parmi les « 30 innovateurs de moins de 30 ans » éditions 2014 et 2016.

Structure du programme A share for the bees, créé par l’un des membres de la communauté Kano. Plus on fait de bruit, plus les abeilles apparaissent à l’écran (capture écran). © DR

« La façon dont on enseigne les sciences informatiques est très traditionnelle, justifie-t-il. C’est de la mémorisation, comme pour apprendre un langage. Avec cette approche, les enfants s’ennuient – en fait, tout le monde s’ennuie. Le message est : “apprends le code, tu deviendras milliardaire, sinon apprends le code ou tu seras au chômage”. Il faut que ça change. Ça ne peut que rebuter les enfants, surtout s’ils sont intéressés par les jeux, l’art ou la musique. »

Caution Kickstarter

La compagnie a commencé sous de bons augures. En 2013, une fois le premier proto de l’ordinateur en kit développé, Alex Klein se tourne vers Kickstarter. « On savait que leur communauté, qui aime le mélange arts et sciences, serait intéressée par ce genre de produit. » Il a besoin de 100 000 dollars. Il en récoltera 1,5 million au cours de l’une des campagnes « les plus populaires de tous les temps ».

« Nous avons dû construire 15 fois plus de pièces, c’était un défi énorme, se rappelle-t-il. Le jour où nous devions commencer la livraison, on a découvert que la batterie du clavier n’était pas au point. Ça représentait un retard de quatre mois. » Klein sait s’entourer (son directeur de fabrication a passé 20 ans en Chine) et surtout s’applique à être « transparent » avec ses soutiens. « Ça fait presque partie du produit pour les contributeurs. Ils veulent voir à l’intérieur de la boîte noire. Et c’est ce qu’est Kano : regarder à l’intérieur de la boîte qui est habituellement fermée. » 

Comment construire l’ordinateur Kano en 107 secondes: 

Les quelque 13 000 contributeurs recevront leur kit. Ce n’est que le début. La communauté Kano n’a cessé de grandir et s’étend aujourd’hui à 86 pays. Ils sont désormais 82 000 à publier leurs programmes sur la plateforme communautaire de Kano (« on l’appelle le moteur d’apprentissage ») : en tout, 20 millions de lignes de code ont été partagées.

L’entreprise aussi a grandi : elle emploie aujourd’hui 50 employés de 22 nationalités, livre dans 38 pays et est présente sur Amazon UK et US. « Le genre d’entreprise informatique que l’on veut construire doit pénétrer l’ensemble du marché. Elle doit imprégner aussi bien les plateformes de crowdfunding que des commerces comme Toys’R’Us. » 

Bruno Schillinger (à g.), designer, et Sherif Maktabi (à dr.), designer et chef de produit, fignolent les derniers prototypes. © Elsa Ferreira

Filtres photo DiY et caméra de surveillance

Après s’être attelé à ouvrir l’ordinateur, l’entrepreneur lance sa ligne d’informatique physique pour « rendre visible l’invisible » : des appareils qui interagissent avec le son, les données, les mouvements.

Les nouveaux kits de Kano. © Kano

Comme le Pixel Kit, un écran de 128 LEDs que l’utilisateur peut coder comme il le souhaite pour qu’il réponde au bruit ou qu’il récupère des données sur Internet pour afficher en direct un fil Twitter ou la météo. « Tous les jours, on regarde des écrans avec des millions de pixels mais on les oublie, parce qu’ils sont tellement proches les uns des autres qu’on peut à peine les distinguer. » Ou bien un appareil photo, qu’on peut transformer en caméra de surveillance ou avec lequel on peut créer des filtres. « Pourquoi Instagram serait-il le seul à s’amuser ? Les gens devraient être capables de coder leurs propres altérations sur leurs photos. »

Filtre DiY à partir du Camera kit de Kano. © Kano

Produit du futur «made by you»

Car Alex Klein a une conviction. « La première révolution du PC s’est faite grâce aux ordinateurs que tout le monde peut utiliser. La prochaine se fera grâce aux ordinateurs que tout le monde peut faire », écrit-il pour présenter sa start-up. Quand on lui demande de préciser sa pensée, il explique : « Songez aux progrès dans l’éducation et à la transformation massive du monde qu’a connus le 20ème siècle, grâce à l’apprentissage artisanal de compétences comme la lecture, l’écriture, l’arithmétique. Aujourd’hui, nous vivons une transformation similaire mais à la place de la lecture et des maths, l’accent doit être mis sur l’informatique, les données, la logique, le contrôle du flux, les réseaux. Il est nécessaire que nous ayons une plateforme informatique qui fournisse cet apprentissage de la manière la plus simple et humaine. Parce qu’Apple ne le fait pas, que Google ne le fait pas. Il n’existe pour l’instant aucun système ludique accessible au commun des mortels. » 

Et pour cause : si plus de 2 milliards de personnes possèdent un smartphone, moins de 1% de la population saurait programmer (moins de 50 millions selon une étude de International Data Corporation de 2014). Dans le futur, espère pourtant Klein, les produits ne seront plus « design by Apple in California, made in China » mais réalisés par vous « ou par des gens que vous connaissez », avec des outils peu chers qui fonctionnent sur des logiciels ouverts. « Une manière de fabriquer de nouveaux produits plus démocratique, qui vient de la base » avec à la clé « plus de diversité dans le ressenti, le style et le fonctionnement des logiciels  ».  

« Au début du Web, c’était le “Wild West” avec tellement de contenus différents, rappelle Alex Klein. Il y avait des pamphlets anarchistes, des sites qui faisaient planter la machine. Aujourd’hui, c’est comme si la personnalité de chacun était contenue dans ces programmes mis en place par des gens qu’on ne rencontrera jamais, des gens qui contrôlent ce qu’on voit et pourquoi. Je crois que l’une des raisons qui expliquent le Brexit et les convulsions politiques du moment, c’est que les gens ne comprennent pas comment nos données sont utilisées pour contrôler notre flux d’attention et pour nous servir par algorithme du contenu qui nous plaira mais qui, fondamentalement, ne nous provoquera pas. Plus les gens comprennent, plus ils questionnent. Pas besoin de construire une alternative aux programmes de Facebook, il faut juste être conscient. »

La campagne de crowdfunding du projet «Physical computing for all» de Kano

Le site de Kano et la plateforme communautaire