Makery

Devenir biohacker, mode d’emploi

Premières leçons de biohack au bootcamp Biology Zero à Valldaura, en Espagne, cet été. © CC Biology Zero

Timothée Gosselin a tenu cet été pour Makery son journal à Biology Zero, initiation au biohack au Green Fablab de Valldaura (Espagne). Un mois plus tard, il raconte comment transformer l’expérience à la Myne, son tiers-lieu lyonnais.

Un mois s’est écoulé suite au programme Biology Zero du Green Fablab de Valldaura. Alors que vous avez pu profiter de la première semaine de ce bootcamp, il est temps de tirer des conclusions et partager mes retours d’expérience. Durant ces 10 jours, entre théorie et pratique, nous avons pu apprendre les bases de la biologie. Chaque participant a désormais toutes les clés en main pour développer son labo dans son garage. Tout comme les machines, qui se sont imposées dans nos tiers-lieux d’un temps moderne, la paillasse et son microscope n’attendent que vous.

Les imprimantes 3D font bon ménage avec les bioréacteurs à la Myne. © CC by LA MYNE

Nous sommes tous biohackers

Avant de rentrer dans le cœur de notre sujet, le biohacking, un petit retour en arrière s’impose pour expliquer les raisons de ma venue à Valldaura. Avec mon profil école de commerce, je ne suis ni biologiste, ni scientifique. Et pourtant, ces dernières années, à travers le projet de tiers-lieu la Myne (Manufacture des idées et nouvelles expérimentations) à Lyon, je m’attelle avec mes collègues à rendre accessible la démarche de recherche scientifique. Depuis, je suis devenu un hacker. Non, je ne diffuse pas de virus sur vos ordinateurs. Non, je ne cherche pas à subtiliser votre argent. Je vise à explorer des systèmes, à les faire miens, à les détourner de leurs usages, à les améliorer pour le bien commun. Avec une philosophie qui s’est construite à travers le projet des Open Source Circular Economy Days et qui vise à promouvoir la méthodologie open source au service d’une économie circulaire, je suis désormais prêt à assumer ce rôle et devenir maker, pourquoi pas biohacker.

Touche-à-tout, je suis arrivé dans le monde de ces lieux particuliers que sont les fablabs, hackerspaces ou makerspaces tout naturellement. Des lieux en pleine ébullition où l’on retrouve tous types de profils et des idées plus folles les unes que les autres. Un monde enrichissant mais quelque peu paradoxal. Dans ma recherche d’une société sans déchet, où chaque élément se nourrit de l’autre, je reste perplexe. Avec une gestion des ressources parfois inexistante, ces temples de l’impression 3D et du drone sont un paradis pour messieurs PCB, ABS, PLA… des composants électroniques et matières plastiques en tout genre.

Alors que dans ces lieux, nous repensons nos modes de production et d’une certaine façon nos modes de vie, depuis 2008, des petits nouveaux s’invitent aux festivités. Bactéries, ADN, enzymes et compagnie avec en tête de proue, des biohackerspaces comme La Paillasse, des collectifs comme Hackteria ou encore des concours du type Igem. Cette émergence d’un mouvement DiYbio  amène de nouvelles questions.

Et si au lieu de fabriquer, nous cultivions ? Et si au lieu de construire, nous programmions le vivant ? Et si… ?

Alyzée, jeune designeuse bio-inspirée, pense la ville comme un écosystème coralien. © CC by Alizée Gerard

Du Do It Yourself au Grow It Yourself 

Dans mon exploration, j’ai rencontré des ingénieurs qui s’associent aux biologistes pour repenser l’industrie – les bactéries usines à encre ou électricité. Le dévouement de scientifiques perdus entre laboratoires institutionnels et garages pour découvrir les nouveaux remèdes à nos maux – de nouveaux diagnostics et thérapies pour le cancer. Les délires de designers et architectes qui expérimentent de nouveaux matériaux – l’achitecture devient mycotecture et le design, biosourcé. Les folies d’artistes qui osent pousser les limites de notre éthique. Des protecteurs de notre espèce qui pensent de nouveaux systèmes pour se nourrir de nos déchets – de la mycoremédiation aux champignons mangeurs de plastique. Des agitateurs qui bousculent nos modes de pensées et de faire – promouvoir le biomimétisme avec la communauté le Biome. Des artisans qui dérangent nos traditions – la couture au goût des micro-organismes.

Le biohacking, à la croisée des disciplines, nous ouvre de nouvelles perspectives. Né de ce mariage des sciences et d’une philosophie de la débrouille, il devient un outil redoutable pour répondre à nos enjeux sociétaux. Il n’est plus seulement question de coder la prochaine application ou la nouvelle intelligence artificielle. Aujourd’hui, le biologiste est ingénieur, l’ingénieur est biologiste. Il est indéniable que les avancées technologiques façonnent et bousculent nos sociétés. Vous l’avez entendu, on vous en a parlé. L’homme s’associe à la machine dans une symbiose qui nous dirige vers l’immortalité. Notre prophète Google vous en a averti. Nous en prenons, en tous cas, la direction.

Mais par quel chemin ?

«Technology is the answer but what was the question?»

Cedric Price, architecte

Nous sommes designers du vivant, garants de son intégrité

Vous l’avez peut-être compris, ce monde me passionne, me questionne. M’excite, m’effraie. Dans une société séduite par les artifices d’un monde binaire composé de 0 et de 1 déclencheurs de réactions en chaîne. Un monde où des nouvelles disciplines en biologie de synthèse et autres méthodes d’ingénierie biologique s’ouvrent ; où de nouveaux profils multi-potentiels émergent. L’aura de l’homme, machine biologique, pèse sur ses pairs du monde vivant. La nature guidée par son code génétique finit sous le scalpel de ces apprentis horlogers et cuisiniers du vivant. L’homme, explorateur, découvre un nouveau terrain de jeu. Il fait sienne la nature. Il la guide, la réplique, l’améliore. Un nouveau débat éthique s’impose. Les nouveaux designers du vivant en dessinent les contours.

Mais que dis-je, moi, jeune militant, néo-philosophe de la décroissance, qui brandis fièrement son tout premier sticker : « Les OGM, je n’en veux pas » ?

Poussé par un militantisme écologique, le débat autour des organismes génétiquement modifiés n’est pas né d’aujourd’hui mais prend une toute autre dimension avec les possibilités offertes par les avancées scientifiques et technologiques. Il n’est plus seulement question d’améliorer des productions agricoles mais bien d’améliorer tout organisme vivant, nous inclus.

Avec cette chronique, je ne veux pas alimenter ce débat ni prendre parti entre une agriculture traditionnelle construite sur des millénaires et une moderne qui se nourrit des rebuts d’une industrialisation effrénée. Un seul constat, aux conclusions dérangeantes, se doit d’être entendu. L’homme agriculteur n’est guère différent de l’apprenti sorcier du vivant. De croisement en croisement, tous deux façonnent la nature pour en démultiplier ses propriétés de production et de résistance aux parasites. L’un est dans son labo, l’autre dans sa grange. L’un répond à des protocoles rigides et contrôlés, l’autre s’appuie sur des méthodes et un patrimoine qui se transmettent de génération en génération. Les deux sont designers du vivant. Les deux sont biohackers.

L’artiste David Bartholomeo s’associe avec la Myne avec son «Cybergarden» pour mettre le processus des tiers-lieux au prisme des vivants.© CC by LA MYNE

A l’ère de l’anthropocène, nous sommes acteurs de notre environnement. Nous contribuons à cette relation symbiotique garante de la vie. Face à une course aux brevets qui mène à la dépossession de notre essence même (la vie), de notre être (le vivant), seule l’émergence d’un code génétique commun s’en défend. De l’ouverture des protocoles et expérimentations naît l’appropriation des sciences et techniques par tous et pour tous.

Ici, à la Myne, on ne fait que commencer. Notre labo s’ouvre à des expérimentations de bioréacteurs en tout genre du type incubation de champignons, de bactéries et d’enzymes. Des artistes des pratiques amateurs de Lyon s’associent aux apprentis scientifiques pour se frotter au bio-art. La communauté se nourrit de l’ouverture des sciences pour proposer une approche biology zero. Ou comment devenir biohacker.

Retrouvez le journal de bord de Timothée Gosselin à Biology Zero