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En Amazonie, un fablab flottant veut connecter jungle et technologie

Bateau en construction sur les chantiers navals d'Iquitos au Pérou, où sera mis à flot le Floating fablab. © Madison Worthy

Sur l’Amazone, tout flotte, y compris les fablabs. Miriam Engle, labtrotteuse américaine qui avait fait un tour d’Europe des labs à vélo en 2015, explore l’Amérique du Sud. Au Pérou, elle soutient le Floating fablab, un bateau de narcotrafiquants reconverti en lab éco-responsable.

Iquitos (Pérou), correspondance

Le concept du Floating fablab existait depuis trois ans. Depuis peu, nous avons passé la première étape pour en faire une réalité concrète : nous avons un bateau ! Le co-directeur du Fab Lab Lima Benito Juarez a présenté le Floating fablab (FLF), littéralement le « fablab flottant », à la FAB9, la réunion internationale des fablabs, à Yokohama au Japon en août 2013. En septembre 2015, Benito Juarez a officiellement défendu ce projet de promotion et de sauvegarde de la culture et de l’environnement en Amazonie au sommet des Nations unies sur le développement durable à New York. L’idée ? Installer un fablab sur un bateau entièrement écologique qui naviguerait sur une portion du fleuve Amazone, offrant éducation et accès à la technologie aux nombreuses communautés isolées qui y habitent.

Village flottant près d’Iquitos, en Amazonie péruvienne, sans accès à l’eau potable. © Madison Worthy

Ce projet répond à la plupart des 17 objectifs de développement durable de l’ONU fixés lors de ce sommet, qui valorisait le travail à long terme engagé par les communautés locales et mettait en avant un effort international pour un monde plus heureux et plus sain. Le Floating fablab suit notamment les objectifs 9, 10 et 11 qui parlent de construire des infrastructures résistantes, d’encourager l’innovation et l’industrialisation ouverte, de réduire l’inégalité entre les pays et de rendre les villes et l’habitat humains ouverts, sûrs, résistants et durables. Le Floating fablab est ainsi à la fois une plateforme mobile pour la recherche en bioremédiation, et un outil d’intégration sociale qui apporte éducation et technologie aux communautés négligées. 

Les objectifs 2030 du nouveau programme de développement durable de l’ONU. © ONU/Project Everyone

Un projet à l’échelle de l’Amérique latine

Benito Juarez, directeur du Floating fablab, prend la pose à Iquitos. © Madison Worthy

Depuis trois ans, une cinquantaine de volontaires de 20 pays sont impliqués dans le projet du fablab flottant, offrant une gamme d’expertise allant des techniques de management à la stratégie de design. Chaque semaine, les membres de l’équipe se donnent rendez-vous en ligne pour évoquer les développements de chaque spécialité.

De nombreux fablabs, dont ceux d’Argentine, de Monterrey au Mexique, du Salvador, les Roma Makers en Italie et la totalité du réseau péruvien ont également participé au montage du projet, collaborant dès 2014 à un atelier de design pour réfléchir aux premiers concepts pour le bateau.

Un bateau de narcotrafiquants transformé en fablab

Depuis trois ans, le Floating fablab a collaboré avec différentes entreprises, organisations non gouvernementales comme gouvernementales. La marine péruvienne nous a apporté un soutien précieux. Depuis 2014, le FLF travaille avec les Servicios Industriales de la Marina (Sima, les chantiers navals de la marine) qui construisent et rénovent les navires de l’armée péruvienne. Le Sima a notamment proposé d’entreposer et de rénover un pilote de fablab flottant. « Nos services sont fiers de contribuer à cet important projet dont vont bénéficier tous les peuples d’Amazonie péruvienne », explique Juan Diaz, directeur du Sima Iquitos.

Les soldats de la marine appréhendent souvent des narcotrafiquants sur le fleuve Amazone. Et confisquent leurs bateaux. L’un d’eux, le Yonatan, a été donné au Floating fablab en mai 2016 pour servir de prototype pour le projet ! Le capitaine Santiago Cobos de la marine péruvienne, qui travaille notamment avec le gouvernement pour améliorer la vie des communautés qui vivent dans les parties les plus reculées de l’Amazonie, estime que « ce bateau peut être le début du grand projet sur lequel travaillera le Sima Iquitos ».

Discussion autour de la sécurité du bateau avec Juan Díaz, directeur du Sima (au centre, à g.) et le capitaine Santiago Cobos de la marine péruvienne (à dr.). © Madison Worthy

Yonatan est actuellement à quai sur les chantiers navals de Sima Iquitos, en attente de rénovation. Il sera agrandi de quelques mètres, en longueur et en largeur, pour atteindre une taille de 7m x 36m et ainsi gagner en stabilité. Cela permettra également d’y installer un grand auditorium qui contiendra les machines nécessaires à la fabrication digitale et un espace pour animer des ateliers.

«Le fablab apportera une plateforme de connaissances qui aidera à diminuer la pollution et contribuera significativement au développement.»

Santiago Cobos, capitaine de la marine péruvienne

Assembler un bateau-lab dans la jungle

« Notre plus gros défi sera les matériaux », dit Benito Juarez à propos des rénovations à venir. « Nous aimerions effectuer des recherches sur l’intégration de matériaux locaux dans la fabrication numérique. La plupart des peuples de la jungle construisent en utilisant des bio-matériaux comme les palmiers. Mais c’est assez dangereux en cas d’incendie. Or, nous avons beaucoup d’orages dans la jungle. Cela fait partie du risque d’y habiter. Notre défi premier est donc de trouver la manière d’utiliser ces matériaux locaux mais aussi de développer un cadre qui prenne en compte les risques d’incendies et des fortes pluies. »

Construction en tôle et palmiers de la communauté Padre Cocha à Iquitos. © Madison Worthy

La prochaine campagne de crowdfunding du FLF, après FAB12 à Shenzhen en août, sera cruciale pour se procurer les fonds pour rénover et agrandir le bateau en fablab mobile opérationnel et écologique. L’équipe est en quête de la meilleure plateforme pour lancer cette campagne mais a déjà décidé que le projet serait mieux représenté par une plateforme latino-américaine comme Ideame.

L’équipage du Floating fablab navigue sur les cours d’eau d’Iquitos à la rencontre de la communauté indigène des Bora. © Madison Worthy

« Nous aimerions vraiment impliquer la communauté internationale dans la construction du bateau, » ajoute Benito Juarez. « Notre système de “fabsourcing” donnera l’opportunité aux gens de faire don de machines ou de matériel et aussi développer une partie du bateau et la livrer dans la jungle pour l’assembler. Nous allons faire un programme pilote de fabsourcing après FAB12 en Chine et ensuite nous aimerions le mettre en place pour la construction finale du bateau. »

10 fablabs flottants sur 2000 km de fleuve

Benito Juarez souhaite créer un réseau de fablabs flottants couvrant 2000 km du fleuve Amazone, depuis sa source à Nauta au Pérou jusqu’au centre du Brésil. Dix bateaux couvriraient environ 200 km chacun et travailleraient en étroite collaboration, échangeant provisions et informations. Un réseau de « nœuds » de fablabs fixes serait établi dans des lieux adaptés sur le rivage, où les bateaux mobiles pourront se mettre à quai et où les membres du Floating fablab pourront s’aventurer dans la jungle pour atteindre les habitants qui vivent plus en retrait.

Un prototype de structure flottante. © Madison Worthy

La vision à long terme de Benito Juarez peut sembler un rêve follement ambitieux, mais le don du bateau Yonatan de la part de la marine prouve qu’il réalisable. « Nous pensons pouvoir lancer le Floating fablab au début de l’année prochaine », conclut-il.

Plus d’informations sur le Floating fablab

Retrouvez ici notre entretien croisé avec Miriam Engle et la photographe Madison Worthy lors de leur tour d’Europe des labs à vélo