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De Kyoto à Kigali, l’upcycling de kimonos émancipe les femmes

Grenouille fabriquée à partir de soie de kimono, produite par Reborn Kyoto. © Cherise Fong

Reborn Kyoto a imaginé une deuxième vie aux kimonos d’occasion. L’association forme à la couture depuis plus de 30 ans des femmes en difficulté au Cambodge, au Vietnam ou au Rwanda, tout en transformant la soie de haute qualité en prêt-à-porter. 

De notre envoyée spéciale à Kyoto (texte et photos)

A Kyoto, des milliers de kimonos d’occasion, ces costumes traditionnels japonais soigneusement fabriqués en soie de la plus haute qualité, sont en attente de métamorphose. Un kimono neuf, fait sur mesure ou pas, vaut très cher. Un kimono d’occasion, même s’il n’a été porté qu’une ou deux fois, plus tellement. Depuis près de trente ans, Reborn Kyoto propose de recycler ces vieux kimonos en formant à la couture des populations en difficulté.

Tout a commencé en 1979, bien avant les fameuses Kuluska, ces sandales en cuir conçues au Fablab Kamakura dont les patrons numériques ont été adaptés au matériel local pour être fabriquées en Afrique. La Japonaise Masayo Kodama veut venir en aide aux Cambodgiens victimes des Khmers rouges. Elle-même, enfant, a vécu la faim et la souffrance durant la Seconde guerre mondiale. A l’âge adulte, alors qu’elle a déjà vingt ans d’expérience humanitaire, elle part au Cambodge, à la frontière avec la Thaïlande, dans le cadre d’un programme d’aide aux femmes réfugiées, pour leur apporter nourriture et vêtements.

Masayo Kodama (à g.), fondatrice et présidente de Reborn Kyoto, et Shigeyo Nakajima, chef de l’atelier couture, et les produits de l’association en vente dans un grand magasin à Kyoto.

Parmi ces habits donnés par les Japonais, des chemises et des pantalons mais aussi des kimonos traditionnels, que les Cambodgiennes ne savent pas porter, et qui de toute façon ne sont guère pratiques pour la vie quotidienne.

Du kimono traditionnel au vêtement occidental

Dans l’équipe de bénévoles, Kimiyo Yamada, jeune couturière indépendante, expérimentait justement de nouveaux patrons à partir de la soie de kimonos abandonnés, mais manquait de moyens de fabrication. Masayo Kodama a l’idée d’apprendre aux réfugiées comment recycler ces kimonos usagés en accessoires de mode et éventuellement en vêtements de style occidental accessibles à tout le monde. Une idée qui marie recyclage des ressources et indépendance des femmes.

Robes contemporaines fabriquées à partir de soie de kimono, dans le grand magasin Isetan.

Dès 1984, l’association envoie des couturiers au Cambodge pour assurer des formations dans les camps de réfugiés. A partir de 1992, le programme d’upcycling de kimonos s’étend : des enfants des rues à Hô-Chi-Minh-Ville, une ethnie minoritaire au Viêtnam, des femmes yéménites à Sana’a, des victimes du tsunami au Sri Lanka, des étudiantes laotiennes de Savannakhet et des femmes du village de Vienthong au Laos, des femmes du Shuna en Jordanie. Mais aussi des victimes japonaises du tremblement de terre du Tohoku évacuées à Kyoto au Japon, et plus récemment des femmes et des jeunes sans emploi à Kigali, au Rwanda. Même si Reborn Kyoto a toujours travaillé en collaboration avec une autre association humanitaire ou, depuis 2007, avec le soutien du ministère des Affaires étrangères japonais, la petite association est toujours en manque de fonds.

Présentation de Reborn Kyoto (2016):

Aujourd’hui, Masayo Kodama préside l’association tandis que la jeune manageure Hiroko Makita a quitté sa carrière dans l’informatique pour mettre ses compétences au service des populations des pays en voie de développement, séduite par la bonne idée et la « grande satisfaction » de pouvoir recycler les kimonos traditionnels japonais.

Reborn Kyoto organise aujourd’hui des ateliers et des formations (dont le cursus pour diplôme est strictement limité à trois ans) au Japon, au Laos, en Jordanie et au Rwanda. L’association cherche également des revendeurs et distributeurs pour ses produits (des points de vente existent aux Etats-Unis, à San Francisco, New York, Boston, Washington D.C.), en plus de sa propre boutique, située à quelques pas du bureau à Kyoto.

L’entrée de l’exposition-vente temporaire de Reborn Kyoto au grand magasin Isetan.

D’un point de vue technique, la transformation de la soie délicate du kimono en prêt-à-porter est le fait de mains bénévoles, expertes et apprenties mélangées, qu’elles soient japonaises, cambodgiennes, vietnamiennes, laotiennes, sri-lankaises, yéménites, jordaniennes ou rwandaises.

Tous les kimonos sont au préalable soigneusement lavés et repassés, parfois teintés, puis décousus par une vingtaine de bénévoles à Kyoto et Osaka. La plupart sont des Japonaises retraitées de l’industrie du kimono, depuis longtemps déclinante. Puis la soie ainsi défaite redevient matière première et elle est transportée là où se trouvent les apprentis.

Napperons tissés à partir de tissus usés par des Laotiennes selon la technique traditionnelle japonaise sakiori.

Apprentissage par le faire à Kigali

Dans la capitale rwandaise de Kigali, une cinquantaine de candidats entre 16 et 35 ans, pour la plupart des femmes, sont scrupuleusement sélectionnés pour suivre le cours intensif de couture pendant trois ans, suivant un apprentissage par le faire. Un-e format-eur-rice japonais-e est traduit-e sur place par un-e spécialiste kigalais-e, pour que les étudiants puissent apprendre dans leur langue maternelle. Les jeunes sans emploi et sans compétence, mais pleins de motivation, ont le privilège de travailler sur des machines à coudre industrielles de marque Juki, importées de Singapour et qui portent chacune un autocollant en forme de drapeau rouge et blanc : « From the People of Japan ». Au terme des première et deuxième années, les vêtements qu’ils ont réalisés sont évalués par des experts. Les apprentis couturiers sont récompensés en argent pour leur travail, proportionnellement à la qualité de la couture. Comme dans beaucoup d’écoles de couture et de mode, leur fin d’études se termine par un défilé de mode de leurs créations.

«Normalement, on apprend la couture en travaillant d’abord le coton, qui est le plus facile à manipuler. Ensuite on passe au polyester, suivi de la laine, et enfin la soie. Mais ici, comme on travaille avec le textile des kimonos, on initie nos étudiants directement sur la soie… Ce qui fait qu’au bout de leur formation, ils sont ultra compétents en couture!»

Masayo Kodama, présidente de Reborn Kyoto

La plupart des diplômés parviennent à trouver du travail dans l’industrie locale du textile. En adaptant leur technique au kitenge, un tissu africain, ou, pour les plus ambitieux, en concevant de nouveaux styles voire leur propre ligne de couture. Et bientôt une nouvelle génération africaine de fashion makers ?

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