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A la poursuite des robots poissons du Yamamoto Lab

Le robot dorade du Yamamoto Lab, filmé par un robot caméra sous-marin. © Cherise Fong

On a poussé la porte du Yamamoto Lab, à l’université de Nagasaki, qui invente depuis plus de vingt ans des bancs de robots biomimétiques. Le professeur Ikuo Yamamoto utilise la mécatronique pour ses robots poissons couverts de prix qui battent des records.

Nagasaki, envoyée spéciale (texte et images)

Un mardi après-midi pluvieux, au sixième étage de la faculté d’ingéniérie de l’université de Nagasaki, une poignée de lycéens qui ont gagné le privilège de visiter le fameux laboratoire de robotique du professeur Ikuo Yamamoto s’impatientent. Ils ne seront pas déçus par la visite.

Si le Yamamoto Lab conçoit un arsenal de robots uniques en leur genre (pour l’espace, la médecine, la surveillance aérienne…), il est d’abord connu pour ses robots poissons. Sans doute parce que le tout premier robot poisson inventé par le professeur Yamamoto en 1995, une dorade rougeâtre qui passerait inaperçue dans un aquarium commercial, continue de séduire le public. D’ailleurs, il l’a fait nager en compagnie de vrais poissons… qui n’ont pas bronché.

Robot dorade et ses comparses au Yamamoto Lab (2016):

Depuis, le lab, où travaillent une vingtaine d’étudiants-chercheurs, a développé bien d’autres robots biomimétiques utilisant ce même mécanisme de l’aileron élastique oscillant : carpe, requin, raie manta, dauphin, baleine… Le principe mécatronique consiste à propulser le corps par les vibrations de l’aileron. Yamamoto mesure la fréquence de vibration, la vitesse de natation, la longueur et la largeur du corps de chaque poisson afin de calculer et attribuer un numéro unique à chaque robot poisson.

Robot raie manta à l’état de repos.
Prototype du robot raie manta, qui utilise la mécatronique du battement des ailerons. Avec son dos équipé de capteurs, chacun de ses ailerons peut bouger individuellement pour éviter des obstacles.

« Les poissons sont de bons professeurs pour les véhicules sous-marins », estime Yamamoto. Le biomimétisme lui a fait appliquer ce même principe aux engins sous-marins et ainsi battre le record mondial de 317 km en croisière continue pour un véhicule autonome le 28 février 2005. Le scientifique avance que le mécanisme de l’aileron élastique oscillant est de loin supérieur à l’hélice pour le déplacement sous-marin : plus rapide, plus optimisé en énergie, plus sûr en mer (surtout qu’il ne gêne pas les autres poissons). Selon lui, d’ici une dizaine d’années, une majorité d’engins sous-marins nageront comme des poissons en gagnant en propulsion.

Robot sirène

En attendant, il rêve de fabriquer prochainement un robot sirène qui puisse nager avec une queue de poisson et manipuler du matériel avec des mains… A l’image d’Ocean One, l’humanoïde sous-marin de l’université de Stanford en Californie ?

Véhicule sous-marin téléguidé équipé d’hélices et d’une caméra HD pour l’exploration sous-marine au Yamamoto Lab.

Le laboratoire du professeur Yamamoto est aussi pionnier du « multicoptère » au Japon, avant que les drones deviennent ordinaires. Yamamoto a même fabriqué un mini robot mante capable de naviguer avec agilité dans les espaces très étroits en zéro gravité. La mini mante est partie en voyage spatial avec l’astronaute japonais Koichi Wakata en 2009. Dans ses projets, le roboticien a toujours dans l’idée de faire des robots qui volent comme des oiseaux (augmentés).

« L’observation des animaux pour des fins biomimétiques donne seulement des indices, explique Ikuo Yamamoto. Ensuite, nous réfléchissons à comment reproduire le mouvement selon les principes de l’ingénierie. Il s’agit d’implémenter des connexions dynamiques, des systèmes de contrôle… La fabrication, la pensée logique sont fondées sur l’ingénierie. Nous utilisons la technologie biomimétique pour repenser et investir de nouveaux mécanismes à partir de matériaux et de structures intelligents, et les mathématiques et la physique pour analyser la dynamique. »

Les entrailles mécatroniques de la dorade…
…et la légende de la coupe transversale.

« Cela s’applique aussi à l’intelligence artificielle : les poissons d’un même banc savent instinctivement comment se coordonner les uns aux autres pour nager ensemble. Si la nature peut nous apprendre comment formuler les algorithmes, on peut les appliquer aux systèmes d’intelligence artificielle (IA) en robotique. »

Selon Ikuo Yamamoto, l’interaction avec les humains reste un point clé du développement robotique. Pendant que certains de ses étudiants développent des robots médicaux pour la chirurgie et la rééducation, le professeur insiste : le travail d’interface avec les humains est tout aussi important, surtout lorsqu’il s’agit d’assistance aux personnes âgées. C’est un thème récurrent dans une société où d’ici 35 ans, on prévoit que 40% de la population japonaise aura plus de 65 ans.

Le professeur Ikuo Yamamoto montre son véhicule aérien sans pilote pour la surveillance environnementale.

Contrairement aux animatroniques à la performance militaire de Boston Dynamics, par exemple, les « robots doux » du Yamamoto Lab laissent imaginer un futur proche où ils joueraient non seulement des rôles (d’animaux) domestiques, mais seraient augmentés de capacités pour optimiser et s’intégrer à notre vie quotidienne, parés d’une apparence, de mouvements et d’intuitions « naturels ».

En savoir plus sur le Yamamoto Lab