Makery

Commoners de tous les pays, défendons-nous!

«Les Glaneuses» (1854), de Jules Adolphe Aimé Louis Breton. Ce droit d'usage sur la production agricole est l'un des plus anciens «communs». © Wikimedia Commons National Gallery of Ireland

Les communs, c’est quoi exactement? Au-delà de l’imagerie populaire des glaneurs, et face à la prédation capitaliste des modèles coopératifs et contributifs, la défense des biens communs informationnels passe par la (re)connaissance de cette forme économique collective. 

Pour qui a grandi à la campagne, c’est dans les communaux qu’on avait le droit d’aller ramasser des branches laissées sur place par les bûcherons pour se chauffer l’hiver, faisant ainsi œuvre utile en nettoyant la forêt. Le mot «commun» rappelle aussi le tableau de Millet Des Glaneuses ou le film d’Agnès Varda, Les glaneurs et la glaneusequi, pour passéistes qu’ils puissent paraître, gardent toute leur pertinence.

Au-delà de ces « résurgences » de temps anciens, pré-modernes, où la campagne gardait les traces d’un mode d’organisation social, juridique et économique, la question des « communs » prend une actualité nouvelle avec l’émergence de revendications autour de l’eau, de l’air, des semences, du génome humain, aujourd’hui du climat et même de la nourriture, comme je le soulignais dans ma précédente chronique.

L’exemple emblématique de cette revendication est naturellement celle de la re-municipalisation des régies d’eau comme celle de Naples qui est désormais non seulement gérée par le public, mais surtout où celui-ci participe à la gouvernance de la gestion comme du contrôle de l’usage. Plus près de nous, on peut citer le geste politique fort et volontariste de communes de plus en plus nombreuses, comme Besançon, qui ont décidé de rendre les premiers mètres cubes d’eau gratuits.

Ramassage de code

En parallèle aux communs fonciers ou aux ressources naturelles considérées comme des biens communs se développe la notion de « biens communs informationnels ». Il ne s’agit plus là d’un « reste » inexploitable ou trop coûteux à exploiter (des branches, des graines, des terrains mal exposés, trop abruptes), ni de ressources dont la propriété exclusive est difficile à définir. Les biens communs informationnels, les œuvres de l’esprit et notamment le code informatique sont des « biens » qui produisent de la richesse aujourd’hui. On ne ramasse pas un reste de bout de code tombé d’un ordinateur dont on ne saurait quoi faire.

Lorsque j’ai commencé à m’intéresser avec quelques amis aux biens communs dans Libres enfants du savoir numérique il y a une quinzaine d’années, sous l’influence de Garrett Hardin et sa célèbre Tragédie des Communaux (1968), nous définissions les communs comme une ressource de nature non exclusive à protéger par un régime juridique : la GNU-GPL pour le code informatique ou les licences Creative Commons pour les biens culturels notamment.

Creative Commons Remix (2016, en anglais):

A cette époque, oubliant les nombreuses mises en garde de Marx, nous n’imaginions pas à quel point le capitalisme serait en capacité de se renouveler pour intégrer, digérer presque, ces nouvelles formes d’organisation, de production coopératives et ces nouveaux régimes juridiques non exclusifs. La surprise est moins venue d’un Free qui s’autorise à privatiser les logiciels libres que de formes beaucoup plus subtiles, presque fascinantes, qui se développent depuis quelques années autour des hackathons organisés par des grandes entreprises.

La gouvernance des communs

Dans notre réflexion, il manquait un maillon, celui de la gouvernance et de la régulation. Pas seulement la protection que pouvait offrir au coup par coup une fondation, la Free Software Foundation, l’Electronic Frontier Foundation et autre Quadrature du Net qui, malgré le respect que j’ai pour elles et leur ténacité, ne sont pas en capacité de résister seules à ces formes systémiques de prédation.

Communs debout, Benjamin Coriat, économiste (avril 2016) (1/2):

Communs debout, Benjamin Coriat, économiste (2/2):

ll y a des moments dans l’Histoire, note Benjamin Coriat, où des milices ont été chargées de protéger les communs pour faire respecter leurs règles de prélèvement, pour qu’elle ne soient pas prédatrices et ne se fassent pas au profit d’un seul au détriment de tous. Il n’est pas question de revenir à ces formes agonistiques – même si parfois, la tentation est grande 🙂 –, mais d’illustrer l’idée que la gouvernance du commun est un élément déterminant de leur existence.

C’est là l’apport fondamental des travaux de l’économiste Benjamin Coriat, qui dans le sillage d’Elinor Ostrom, première femme prix Nobel d’économie en 2009, introduit dans Le retour des communs, la crise de l’idéologie propriétaire (2015) cette dimension de « structure de gouvernance assurant une distribution des droits entre les partenaires participants au commun (commoners) et visant l’exploitation ordonnée de la ressource, permettant sa reproduction sur le long terme ».

Une chronique ne se prête pas vraiment à un développement de théorie économique… Il suffit de prendre en considération que l’apport principal de Benjamin Coriat est d’insister sur ce troisième élément d’un triptyque pour que s’opère le passage à des communs conçus comme forme économique collective définissant clairement les conditions de leur pérennité et de leur reproduction. Nous verrons très prochainement et très concrètement comment illustrer cette théorie autrement qu’avec Wikipédia, et de manière peut-être plus pertinente.

Retrouvez les précédentes chroniques pour Makery d’Olivier Blondeau, co-auteur de «Libres enfants du savoir numérique» (éd. de l’Eclat, 2000)