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Interactivos? fête ses dix ans à Madrid

Deux semaines d'ateliers à Interactivos?'16 Madrid. Au premier plan, l'équipe «Conveniencely Yours». © Ewen Chardronnet

Le programme Interactivos?’16 du Medialab Prado à Madrid célèbre une décennie d’activités nomades. Et propose pour l’occasion un copieux mélange d’ateliers, conférences, démos et une exposition, où le DiY et l’open source se font art.

Madrid, envoyé spécial

Dix ans déjà pour la formule pionnière Interactivos? créée en 2006 par le Medialab Prado de Madrid. Interactivos? a été conçu comme l’un des programmes éducatifs du médialab madrilène, lieu unique en son genre en Europe, par la taille de ses locaux, son fablab intégré dans un médialab, sa façade de LEDs, la richesse de ses contenus et son engagement pour la création ouverte, le logiciel et le matériel libres.

Déjà récompensé en 2010 d’un prix Ars Electronica pour sa « capacité à offrir un contexte unique à la création collective d’installations interactives », Interactivos? trouve l’origine de son concept dans deux ateliers menés en 2005, « Making Things Move » (mené par Zachary Lieberman) et « Arduino: Open Hardware Tools » (par David Cuartielles).

Ouverture de la partie atelier d’Interactivos?’16. © Ewen Chardronnet

Les leçons de cette première expérience inspirent un nouveau modèle. Comment développer des projets en deux semaines de manière à les exposer dans la foulée ? Comment transcender le modèle de l’atelier classique où un groupe d’enseignants enseigne et un groupe d’étudiants apprend ? Dans le modèle plus ouvert d’Interactivos?, les participants d’un atelier constituent eux-mêmes le groupe d’experts partageant ses connaissances. Les bricoleurs de passage peuvent aussi rejoindre l’atelier en cours de route.

«L’imitation est la forme la plus sincère de la flatterie», Urs Gaudens (Gaudilabs), conférence à Interactivos?’16, le 31 mai 2016 (en anglais):

Un réseau de partage

La volonté de partager horizontalement la réflexion a ainsi amené Interactivos? à concevoir une série hybride de « stations » : ce mélange de démos de technologies, de séminaires théoriques et d’espaces de réflexion et d’échange se déroule pendant tout le mois de juin. Les projets sélectionnés sont développés, prototypés et exposés sur place, pendant trois mois. Une manière de rendre le processus de création totalement ouvert au public, qui peut suivre les différentes étapes de la mise en œuvre, du concept à l’exposition finale. Pour la saison 2016, huit projets étaient prototypés en atelier du 31 mai au 12 juin. Trois autres seront développés en résidence cet été.

Au-delà de ses rendez-vous madrilènes, une des particularités d’Interactivos? est d’avoir tourné dans le monde entier suivant des thèmes variés : « Better than the Real Thing » à New York et « Technologies of Laughter » à Mexico en 2008, « Magic and Technology » à Lima en 2009, « High End Low Tech » à Belo Horizonte en 2010, « Obsolete Technologies of the Future » à Ljubljana, « Hack the City » à Dublin et « Autonomics: Rural Science » dans l’arrière-pays de Rio de Janeiro en 2012, « Responsive and Immersive Future Technologies » à Birmingham en 2014. À quand un rendez-vous français ?

Discussion sur le projet «Ephemeral angels» de Mariana Carranza (Uruguay) et Florian Wolf (Allemagne) à Interactivos?’16… © Ewen Chardronnet
… et de «Freeing Images in Dust» de Rafael Fernandes de Carvalho (Brésil). © Ewen Chardronnet

Nouvelle génération

En 10 ans, Interactivos? a ainsi vu défiler une génération de fabriqueurs. Celle de 2016 ne manque pas d’idées. On y retrouve Open Source Estrogen de Byron Rich et Mary Maggic dont on vous avait parlé il y a peu. « Notre objectif est de mener à Madrid la collecte d’eau dans la ville et mesurer la présence de xéno-œstrogènes dans les échantillons, explique Mary. Nous souhaitons également aller à la rencontre des communautés transsexuelles consommatrices d’œstrogènes. »

Byron Rich concentré à la table de travail «Open Source Estrogen». © Ewen Chardronnet
Mary Maggic et l’équipe «Open Source Estrogen» discutant des étapes d’extraction et d’analyse. © Ewen Chardronnet

Hack discount

Conveniencely Yours de l’Indonésien de Lifepatch Andreas Siagian propose lui de s’intéresser aux magasins de bricoles à 1€, ces convenience stores que l’on nomme aussi « chinois » dans nos villes européennes en raison de l’origine des objets que l’on y vend ou de ceux qui tiennent lesdits magasins. Siagian veut placer la création dans une critique du consumérisme des villes à forte concentration urbaine, ces convenience stores étant souvent des boutiques d’objets en toc dans les centres-villes ou les zones commerciales discount en périphérie.

Ces objets bas de gamme, qui ont la réputation de casser rapidement après usage, intéressent Siagian pour leur potentiel de détournement. Les jouets sonores ou les synthétiseurs à bas coût sont la matière au circuit bending, les produits cosmétiques ou chimiques bas de gamme sont parfaits pour le biohacking, des miroirs deviennent un synthé, des lotions anti-moustiques une colle, une huile anti-démangeaisons nettoie le plastique ou efface le stylo marqueur indélébile… Andreas Siagian ouvre ainsi à la culture de la débrouille à partir du détournement de ces produits bas de gamme.

Hack de miroir (décapé) pour en faire un instrument de musique, «Conveniencely Yours», Interactivos?’16:

L’équipe «Conveniencely Yours» en discussion avec les mentors (au centre). © Ewen Chardronnet
Présentation finale de «Conveniencely Yours», le 11 juin au Medialab Prado. © Conveniencely Yours

Balloonizer de l’Espagnol Oscar Ardaiz joue lui aussi avec un objet de consommation courante : le ballon de baudruche. Le projet vise à construire des structures complexes à partir de ballons, à l’aide d’un pistolet qui gonfle continuellement les ballons et les colle les uns aux autres et à développer un logiciel convertissant n’importe quel objet dessiné en 3D en une grille de ballons-pixels.

Oscar Ardaiz et l’équipe «Balloonizer» discutant matériaux au fablab. © Ewen Chardronnet
Oscar Ardaiz lors de la présentation finale des travaux «Balloonizer». © Ewen Chardronnet

Stations et exposition estivale

Interactivos?’16 propose durant tout le mois de juin des « stations » complémentaires à l’atelier qui seront exposées durant toute la saison estivale. Le Club de collectionneurs d’endophytes rares (Recc) du Center for Genomic Gastronomy propose ainsi aux visiteurs de mener une expérience DiY bio de collecte et d’isolement d’endophytes, ces micro-organismes, des champignons en particulier, qui vivent à l’intérieur des plantes. La relation entre un endophyte et sa plante hôte n’est pas très bien comprise, mais l’on pense que ces micro-organismes peuvent améliorer la croissance et l’acquisition des nutriments, de même que la capacité des plantes à tolérer les stress abiotiques. Le Recc sera aussi l’occasion de débattre la question de la découverte, de la dénomination et du dépôt de brevets dans la recherche scientifique contemporaine, sachant que celle-ci s’intéresse au potentiel des endophytes pour de nouvelles applications en agriculture et recherche pharmaceutique.

«We have always been biohackers», conférence de Zachery Denfeld du Center for Genomic Gastronomy, en ouverture d’Interactivos?’16. © Ewen Chardronnet
L’installation des collecteurs d’endophytes du Recc. © Ewen Chardronnet

Au programme d’autres ateliers, on passe de la construction d’un photobioréacteur à partir de spiruline, cette algue verte aux grandes capacités nutritives, à la réparation vintage d’une imprimante 3D Reprap Darwin construite lors d’Interactivos? en 2009 (ou comment tirer des enseignements des premiers modèles open source de l’impression 3D).

La version 3 du photobioréacteur «Algas Verdes». © Ewen Chardronnet
«Permasource», projet long terme exposé à Interactivos?’16, associe permaculture et open source. © Ewen Chardronnet

Interactif?

Le point d’interrogation d’Interactivos? évoque « la pseudo-interactivité qui ne relève en réalité que d’un choix entre quelques options limitées ». Pour Interactivos?, la véritable interactivité s’exprime dans la création collective basée sur les outils du logiciel libre et du matériel libre. Le directeur du Medialab Prado, Marcos Garcia, réaffirme ainsi son approche Dito-Diwo (Do It Together, Do It With Others), offrant aux participants l’opportunité d’apprendre et/ou d’enseigner le fonctionnement de certaines technologies, et de le faire soi-même avec l’aide des autres.

Marc Dusseiller, qui avait participé à Interactivos? en 2009 et s’en était inspiré pour cofonder le réseau open source DiY bio Hackteria avec ses homologues indiens, indonésiens, suisses et slovènes, est revenu cette année comme mentor au côté d’une autre habituée de longue date, l’artiste numérique Chris Sugrue.

«Il y a 10 ans, tout le monde à Interactivos? était militant Linux, aujourd’hui, cela semble moins essentiel pour la nouvelle génération. Pourquoi? Je ne sais pas trop, mais je trouve cela dommage.»

Marc Dusseiller, mentor d’Interactivos?’16

Peut-être parce que le monde des start-ups, en utilisant à tort et à travers les termes open et open source, en a complètement dévoyé le sens ? Avant de revenir (prochainement) sur cette question avec une interview de Marc Dusseiller, on recommande la restitution de la conférence du 9 juin au Medialab Prado sur « les communautés créatives du logiciel libre et du matériel libre : pratiques et défis », avec Hans-Christoph Steiner (Pure Data et The Guardian Project), David Cuartielles (Arduino), Chris Sugrue et Marc Dusseiller (Hackteria).

«Les communautés créatives du logiciel libre et du matériel libre: pratiques et défis», conférence, Interactivos?’16 (en espagnol et anglais):

Interactivos? l’exposition, au Medialab Prado Madrid jusqu’au 20 septembre

En savoir plus sur les projets d’Interactivos?’16 sur la chaîne Youtube du Medialab Prado