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Fenêtre arrière sur le Japon en papier augmenté

Prototypes de fenêtres en papier augmenté à la Villa Kujoyama. © Cherise Fong

Deux jeunes artistes français en résidence à la Villa Kujoyama de Kyoto recadrent leur rencontre avec le Japon à travers des fenêtres en papier qui s’animent à l’écran. Leurs prototypes de papier augmenté sont exposés à l’Institut français de Tokyo.

Kyoto, envoyée spéciale (texte et photos)

De la fenêtre rêveuse à la fenêtre voyeuse, en passant par des fenêtres toujours voyageuses, les papiers coupés, cadrés, sérigraphiés et juxtaposés de Julie Stephen Chheng prennent vie dans l’univers virtuel d’un écran de téléphone mobile qui révèle les paysages animés de Thomas Pons. C’est le prétexte de leur nouvelle exposition Uramado (« fenêtre arrière »), conçue ce printemps à la Villa Kujoyama de Kyoto, à voir du 26 mai au 19 juin à l’Institut français de Tokyo.

Julie Stephen Chheng dans son studio à la Villa Kujoyama de Kyoto.

« On avait commencé avec des prototypes de wagons en papier, raconte Julie dans son studio de résidence à la Villa. On travaille beaucoup avec la réalité augmentée (RA) pour basculer dans le monde imaginaire de la rêverie, et du coup passer du papier à l’animation par le biais de la RA et la fenêtre. C’est toujours de l’intérieur à l’extérieur, du dedans au dehors et surtout de la lumière à l’ombre. Les papiers japonais, le washi sérigraphié nous ont beaucoup inspirés… Au niveau du graphisme, j’ai beaucoup observé les plaques d’égout japonaises, avec leurs motifs (nuages, estampes…) et les lanternes de papier contenant des bêtes qui font des ombres sur les murs comme de gros monstres. »

Motif traditionnel de vagues découpé en fenêtre.
Papiers découpés dans le studio des artistes en résidence à la Villa Kujoyama.
Une des rares fenêtres shoji en mode voyeur (où l’on regarde de l’extérieur vers l’intérieur).

« Ce projet est né quand nous sommes venus au Japon il y a deux ans, explique Julie. On a pris le shinkansen (TGV japonais, ndlr), on a visité tout un tas de jardins… Ici ils ont une façon de poser les fenêtres comme des photographies, c’est-à-dire que l’équilibre de la fenêtre doit être parfait, autant visuel que spirituel. Même dans une architecture, ils pensent à la façon dont se déplace la personne, ils créent des ouvertures pour qu’il y ait de beaux espaces à voir. Les jardins sont pensés de telle sorte que dès qu’on tourne autour, tout soit beau, vraiment comme une photo. C’est de là que c’est parti, toutes ces fenêtres en washi, en transparence… Qu’est-ce que représente la fenêtre, comment peut-on passer d’un monde à l’autre ? Et surtout, si on change de référentiel, si on passe d’une fenêtre fixe à une fenêtre en mouvement, qu’est-ce que ça raconte ? »

«Uramado», Julie Stephen Chheng & Thomas Pons, extraits des vidéos dans l’application mobile de réalité augmentée Aurasma:

Le couple, qui s’est formé il y a huit ans en première année aux Arts déco à Paris (elle était en image imprimée, lui en animation), est devenu duo d’artistes plus récemment, profitant de leur entente personnelle et de leur complémentarité artistique.

En résidence pour quatre mois à la Villa Kujoyama ce printemps, et loin de son travail au studio des éditions Volumiques, Julie s’est liée avec le fabcafé MTRL Kyoto afin d’utiliser les découpeuses et bénéficier d’un plus grand espace, pendant que Thomas dessinait et animait des vignettes de sa découverte de la vie japonaise.

La vignette augmentée «Blend» dessinée et animée par Thomas Pons.
L’exposition des vignettes augmentées de Thomas Pons à l’Institut français de Tokyo.

Si la réalité augmentée commence petit à petit à rentrer dans les mœurs mobiles, tandis que le papier traditionnel japonais date de plusieurs siècles, le mélange des deux intrigue et séduit, surtout dans le pays natal du washi. Les derniers ateliers de Julie et Thomas ont d’ailleurs eu beaucoup de succès auprès d’étudiants japonais en art et design et d’enfants curieux qui redécouvrent l’origami et le kirigami (papier découpé) animés, dans l’univers parallèle de leurs smartphones fétiches.

Moins précise que le micro-mapping mais infiniment plus portable, l’idée de prolonger l’expérience et le jeu sur papier par la technologie numérique et interactive, déjà présente dans plusieurs livres-objets publiés par Volumiques, se décline en livres pop-up et stickers augmentés, s’envoie en cartes interchangeables et photos animées, s’agrandit en affiche vivante… « Mon univers est enfantin mais mon public ne se réduit pas forcément aux seuls enfants », affirme Julie.

Fenêtre de nuit augmentée, animée et exposée à l’Institut français de Tokyo.

Si Julie ne se sent pas tout à fait makeuse, Thomas revendique une grande affinité avec la culture du faire japonaise : « En France, il y a une vraie apologie du discours, où le discours est plus important que ce qu’on fait. Ici par contre, on montre les choses et c’est ce qui est le plus important : c’est ce qu’on fait, pas ce qu’on en dit. »

«Uramado, Fenêtres sur…», exposition jusqu’au 19 juin à l’Institut français de Tokyo

En savoir plus sur Julie Stephen Chheng (Tumblr et Vimeo) et sur Thomas Pons (Tumblr et Vimeo)