Makery

Au Music Tech Fest de Berlin, l’humain s’augmente en musique

Le hackathon du Music Tech Fest à Berlin a réuni 75 participants de toute l'Europe. © Elsa Ferreira

Le Music Tech Fest tenait sa 10ème édition à Berlin du 27 au 30 mai. Un grand week-end de chaos créatif où makers, hackers, scientifiques et chercheurs ont expérimenté le «transhumanisme musical». Makery y était.

Berlin, envoyée spéciale (texte et photos) 

Dix éditions en quatre ans d’existence, ça fait beaucoup. Paris, Londres, Berlin, Umea (Suède), Ljubljana (Slovénie) et une tentative avortée en Nouvelle-Zélande : le Music Tech Fest (MTF) a la bougeotte. Un festival, donc, de musique et technologie, qui, pour sa dixième édition, à Berlin, a accueilli 240 artistes, start-ups et créateurs et plus de 800 participants. « Ce n’est pas un festival de concerts ou de conférences, mais un festival d’idées, plus comme de la littérature ou de la philosophie, décrit son président Andrew Dubber. Où tu ne connais pas forcément les gens qui passent sur scène, mais où ils parlent de choses qui t’intéressent. »

Discussions au soleil (oui, à Berlin, il fait beau…).

L’initiative revient à Michela Magas, directrice scientifique du projet européen Mires (Music Information ReSearch), une carte de route pour la recherche en musique, axée sur les données musicales. « L’idée était d’avoir un atelier d’un jour pour rassembler les gens dans une même salle, raconte Andrew Dubber. Tout le monde lui disait qu’elle n’y arriverait pas, que ces gens parlaient un langage complètement différent, qu’entre les académiques et les professionnels de l’industrie ou entre les artistes et les scientifiques, ça ne marcherait jamais. Plus elle travaillait sur le projet, plus elle se rendait compte que c’était quelque chose d’important et plus de gens embarquaient dans le projet. » 

Du robot à l’humain et vice versa 

Les scènes : deux estrades qui se font face dans le somptueux Hall 1 de la Funkhaus, un complexe de studios d’enregistrement sur les berges de la rivière Spree construit dans les années 1950, siège de la radio étatique de l’Allemagne de l’Est.

Une myriade d’artistes, d’inventeurs, de makers et de créateurs de toute sorte y défilent à un rythme soutenu (15 minutes par artiste) pour présenter leurs projets et performances.

Le Hall 1 de la Funkhaus. 

Quelques têtes connues tout de même : Matt Black, moitié de Coldcut et parrain du festival, l’artiste britannique Matthew Herbert pour un Skype en direct d’Istanbul, la chanteuse Eska ou encore Robin Rimbaud, aka Scanner, artiste qui compose, entre autres, des ambiances musicales pour les morgues. Martin Molin aussi, musicien maker du groupe Wintergatan, qui a connu une notoriété retentissante grâce à la vidéo de sa Marble Machine. Cette sculpture musicale qu’il a construite en 16 mois de travail a attiré plus de 20 millions de vues sur Youtube…

Martin Molin, de Wintergatan, sur la scène de MTF 2016: 

Il y en avait aussi pour les aficionados de la scène musicale DiY et autres étrangetés technologiques avec Toa Mata Band, un groupe de robots en Lego contrôlés par Arduino (de l‘Italien Giuseppe Acito), Cold Wave, groupe londonien qui explore les messages codés émis sur les stations de nombres durant la Guerre froide ou encore Blam, un logiciel qui permet de produire de la musique sur le jeu en ligne Minecraft

La thématique de l’année : la musique comme extension du corps ou le « transhumanisme musical ». Un peu risqué ? « On ne veut pas dire “nous savons des choses et nous allons vous les expliquer” mais plutôt “nous allons essayer des choses” », pose Dubber. Et poser des questions : « Est-ce important de savoir où le corps humain s’arrête et où la technologie commence ? De quelle manière la musique peut-elle être impliquée dans le prolongement des capacités humaines ? Il s’agit davantage d’un laboratoire que d’une présentation de “découvertes” », poursuit-il.

«Somaphony», Antoni Rayzhekov, interprétation Katharina Köller, Music Tech Fest Berlin, mai 2016 (extrait):

75 hackers pour créer hors du “normal”

Car si tout est fait pour que le Hall 1 soit confortable, le festival se passe aussi (et surtout) dans les lieux de passage et les recoins du labyrinthique studio. Dans le hall d’entrée, un imposant et créatif hackathon. À l’étage, des start-ups de technologie musicale présentent leur prototype : un casque audio qui s’adapte à votre système auditif (et qui a explosé sa campagne Kickstarter), un service de streaming équitable ou un outil qui vous aide à apprendre la guitare en indiquant l’emplacement des doigts grâce à des LEDs placés sur le manche. 

Des projets plus arty aussi : cet œuf rouge autour duquel jouer et danser (pour tous ceux qui en ont marre de danser face au DJ), Perc, ce système de contrôleur Midi signé Polyend qui joue de la batterie acoustique avec une précision hallucinante et a d’ailleurs obtenu la récompense de la meilleure start-up du MTF Berlin (Aphex Twin serait en train de l’expérimenter, nous dit Piotr Raczynski, fondateur de Polyend). Ou encore Opto Noise, groupe de hackers londoniens qui joue de la musique avec des lasers sur des disques imprimés en 3D. 

« Mettre les mains dans le cambouis. » Andrew Dubber lancera souvent cette injonction à l’assemblée. C’est ce que font les 75 hackers, la plus grosse édition du MTF jusqu’ici, venus du Portugal, de Suède, d’Angleterre ou d’Allemagne (on n’a pas vu de Français parmi les hackers) qui travaillent à « créer de nouvelles formes, de nouveaux pouvoirs et de nouvelles façons d’être autre chose que simplement “normal” ».

Le plus gros hackathon musical du Music Tech Fest a eu lieu pour la 10ème édition à Berlin.

Parmi les projets, un arbre musical du créateur Tom Fox, venu aussi présenter son violon jouable à une main ; une performance qui met en scène deux personnages, l’un avec des capteurs, l’autre avec un costume à LEDs, qui se battent dans une « une jungle électronique » et créent des sons et lumières sur fonds d’accordéon augmenté ; un système pour improviser à distance sur une même plateforme ; un jeu type Snake sur contrôleur Midi ; ou encore le développement de Axoloti, un circuit imprimé associé à un logiciel qui permet d’ajouter vos propres modules, ou association de modules, afin de créer un instrument unique, le tout en open source. L’affaire est bien compliquée mais Johannes Taelman, son développeur, a une popularité certaine : alors que nous lui parlons, un hacker le félicitera d’un spontané « Thanks dude ».
 

Shooting fashion pour l’équipe de la «jungle électronique».
L’arbre musical: des capteurs de lumière déclenchent des samples d’Eska, des capteurs de mouvement influent sur l’audio. Les cordes jouées par des marteaux se tendent au gré du vent. 

Ici, on montre « quelque chose qui n’engage pas seulement les nerds de la musique mais n’importe qui aimant la musique », explique Adam John Williams, artiste et hacker de talent, qui a gagné son poste de directeur du hack camp en raflant tous les prix des éditions précédentes. « Il y a d’autres hackathons autour de la musique, comme le Music Hack Day, qui se tient au Midem ou dans d’autres conférences. Mais ils sont souvent basés sur des outils logiciels liés à la musique, comme scanner ton Facebook pour voir ce que tes amis disent à propos d’un groupe, analyser ces données et découvrir si ce groupe est cool ou pas. C’est intéressant, mais on ne peut pas se produire avec. »

MIT Media Lab, neuroscientifiques et artiste bionique

A l’écart du joyeux chaos ambiant, des labs. Celui de la blockchain s’est tenu toute la semaine et a été du genre cérébral. La conclusion ? La technologie de la chaîne de blocs règlera, une fois de plus, des problèmes immémoriaux, des métadonnées à la rémunération des artistes. On attend de le voir pour le croire mais un rapport issu du lab devrait être présenté à la Commission européenne.

Celui du transhumanisme aussi, où makers, neuroscientifiques ou chercheurs du MIT Media Lab se sont secoués les méninges pour créer un show donné le samedi par Viktoria Modesta, pop artiste bionique. Capteurs et interface cerveau-ordinateur permettent à la performeuse de contrôler les lumières, les sons et les images à la force de la pensée et de ses mouvements.

« Nous avons capturé sa relaxation et sa concentration, explique le neuroscientifique Francisco Marques Teixeira. Lorsqu’elle est détendue, le son est comme une respiration et la lumière est bleue. Lorsqu’elle est concentrée, le son est plus pop et la lumière est rouge. » Le show sera donné dans « l’absorption room », espace situé entre deux studios pour absorber le son. « Une aberration pour tous les acousticiens présents », plaisante Andrew Dubber, mais un endroit à l’atmosphère tout à fait particulière.

Show dans la chambre d’absorption.

Et si tout cela n’était que gadget ? « La ligne entre le physique et le numérique est une ligne imaginaire, répond Dubber. Toutes ces choses sont faites par les humains. Ce qui est intéressant aujourd’hui, c’est que tout s’imbrique et devient un média par lequel les humains communiquent. Qu’il s’agisse d’un gadget ou d’un fichier numérique, ça n’a pas d’importance. Cela nous donne la liberté de briser les limites. » 

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