Makery

Chronique d’une makeuse en matériaux (14)

A vos pipettes, ça commence ! © Caroline Grellier

Caroline Grellier tient pour Makery le journal de création de Termatière, son projet de valorisation des sarments de vigne. Notre makeuse a sorti ses premiers échantillons, trouvé l’inspiration au Fablab Festival et continue à jongler entre modèles économiques.  

Ayé, ça commence !

J’ai installé rapido mon petit atelier ultra-low-tech de fabrication de matériaux dans mon bureau à l’incubateur. Un chinois pour tamiser mes broyats, des moules, du Scotch, des serre-joints, des spatules, de la colle, du Kraft, et c’est parti. Ma mission consiste à réaliser quelques premiers tests afin d’y voir plus clair sur les choix esthétiques et gagner du temps. Suite à ce bricolage, direction le labo, pour faire tout ça au propre et avec des machines de compét’.

Un bout de bureau pour bricoler. © Caroline Grellier
Premiers échantillons DIY. © Caroline Grellier 
De quoi patouiller des heures durant. © Caroline Grellier

L’équipe de recherche de l’Inra et Montpellier Sup’Agro qui m’accompagne dans ce programme de R&D n’a jamais fabriqué de matériaux composites. C’est une grande première pour tout le monde. Après concertation sur les hypothétiques dosages de résine, on s’est lancés dans une première recette. On a choisi d’utiliser une résine commerciale le temps de trouver le bon ratio pour éviter le gaspillage de la colle 100% biosourcée de l’équipe.

Test 1 : ça pue la résine. © Caroline Grellier

Premier essai. Blouse blanche et gants, armée d’une spatule, je mélange le broyat de sarments savamment pesé avec la résine savamment dosée et je reste assez dubitative devant mon petit pot : je me dis que ça ne va jamais coller. On se met d’accord pour doubler la dose. Résultat : avec une pression de 50 bars à peine, la résine commence à s’écouler en dehors du moule et avec la chaleur, menace de durcir et de rester collée dans la presse ! Pour éviter la catastrophe, on arrête tout et on sort vite le moule débordant de résine, on nettoie le plateau et on se penche sur la calculatrice pour revoir nos dosages à la baisse. Divisés par deux. Au moins ça.

Ça presse fort, ça chauffe fort, c’est la thermopresse. © Caroline Grellier

Deuxième essai : mieux, mais avec un effet super résiné à la sortie du moule… Les fibres sont trop imbibées. Du coup, la couleur fonce et l’ensemble donne un effet « plastoc » pas très satisfaisant.

Démoulage en sortie de presse. © Caroline Grellier

On diminue encore les proportions pour le troisième essai et on se laisse surprendre. Au moment du mélange, on se dit tous que la petite goutte de résine au fond du bol ne suffira jamais à lier le bécher entier de broyats de sarments. Après 20 minutes sous thermopresse, on s’étonne encore du résultat.

Et comme l’appétit vient en mangeant, les idées fusent en faisant. A chaque démoulage d’échantillon, en discutant, chacun de nous y va de son « et si on essayait…? » Les premiers échantillons fabriqués me donnent plein d’autres idées pour agrandir ma matériauthèque. Actuellement, des petits morceaux de sarments barbottent dans d’étranges bains de couleurs qui tournent.

Test de coloration des fibres: un léger rosé pas mal du tout. © Caroline Grellier
Premier panel d’échantillons. Plus que 150 à faire ! © Caroline Grellier

L’échange avec l’équipe de chercheurs est constructif : j’apprends à élaborer un plan de recherche rationnel, à définir des paramètres (et à me retenir de tous les changer à chaque test surtout !) ; je partage ma créativité avec eux, je les challenge sur des questions techniques. Bref, on s’amuse bien.

Designer-maker-entrepreneur, une question de curseur

Au-delà du bricolage et de l’échantillonnage, le projet d’entreprise doit aussi avancer. Mon principal challenge est de réussir à partager mon temps entre le labo (où réaliser les manips et faire mon job de designer) et l’avancement global du projet (participation aux concours, gestion des budgets en cours, rendez-vous en tous genres, démarchage commercial, préparation de salons, veille, design produit).

A Toulouse pour le Fablab Festival, j’ai vécu ce rendez-vous des makers comme une bouffée d’air. Un souffle pour me remettre en tête la démarche initiée au tout début de l’aventure Termatière. J’y ai fait de belles rencontres et eu des échanges inspirants, notamment avec les fondateurs de Formmakers, sur la difficulté de trouver un modèle économique cohérent avec l’esprit maker et assurant une viabilité. Eux qui proposent des semelles sur-mesure (de tongs, de sandales, de chaussures orthopédiques…) ont tranché en optant pour une association.

C’est ce curseur entre designer, maker et entrepreneur que je ne cesse de bouger en ce moment, avec en tête de faire de Termatière un hybride. Pas simple, mais y’a de l’idée dans l’air, avec la création d’un service mobile de fabrication d’agro-matériau. Un atelier directement chez l’agriculteur ? Affaire à suivre…

Retrouvez les précédentes chroniques d’une makeuse en matériaux