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Visite à la première Biohack Academy de Tokyo

Une lanterne du «Bio festival» décore l'espace de la Biohack Academy à Tokyo. © Cherise Fong

Au-dessus du Fabcafe, dans le quartier branché de Shibuya à Tokyo, l’espace de coworking MTRL accueille la première Biohack Academy au Japon. Ce programme intensif de biologie DiY s’adresse tout autant aux ingénieurs qu’aux designers, aux curieux et artistes. Rencontre.

Tokyo, de notre correspondante (texte et photos)

« Les biospaces et les lieux de fabrication numérique convergent », affirme le bio-artiste Georg Tremmel, membre fondateur du collectif vétéran BCL (depuis 2004) et du nouveau Bioclub Tokyo. Pour le futur biolab au cœur de Shibuya, la Mecque du design japonais, tout commence cependant par la Biohack Academy (BHA) : en attendant que le Bioclub aménage son labo permanent et ouvert à tous dans l’espace de coworking MTRL, c’est ici que se tient la première BHA, sur le modèle à succès de la Fab Academy, afin d’attirer les futurs biohackers. On y était.

Georg Tremmel en pleine session de la BHA à Tokyo.

La troisième édition de la BHA, et la première en Asie, a lieu du 6 mars au 8 mai 2016, simultanément avec celle de la Waag Society d’Amsterdam, initiatrice du projet en 2015. Sur le modèle de la Fab Academy, la dizaine de participants à Tokyo suivent les cours en visio-conférence en temps réel et se rencontrent « en vrai » au moins une fois par semaine.

Les futurs « biohack académiciens » apprennent à fabriquer des prototypes de machines qui leur serviront d’outils, à travailler avec les bactéries et doivent préparer un projet de fin d’études (huit sont au programme à Tokyo). Passage en revue.

Champignon in vitro et masque à bactéries

Masato Takemura, ancien participant du cours « How to grow (almost) anything » de la Bio Academy, est l’un des dix « biohack académiciens » de Tokyo.

Masato Takemura, ingénieur mécanique, veut réaliser son rêve de faire pousser en labo le champignon rare Matsutake, en essayant de recréer un environnement propice. La symbiose naturelle avec un certain arbre rend cette gourmandise hors de prix.

L’artiste Kana Nakano prépare ses cultures.

Kana Nakano, l’artiste à l’origine des prothèses ludiques de Neurowear, expérimente avec différentes solutions comestibles (gélose, sucre, purée de pommes de terre, soupe Miso, etc.) afin de cultiver les bactéries de la peau de son visage, dont le fameux Staphylococcus. Au final, elle espère fabriquer un masque qui n’incube que les bonnes bactéries pour un beau visage.

ADN de caniche et fromage de labo 

Saki Maruyama montre sa tête de caniche.

Saki Maruyama, heureuse propriétaire d’un caniche, explore les assimilations visuelles entre chien et maîtresse en examinant les 99% d’ADN qu’ils partagent. Elle prévoit d’exposer les résultats de sa recherche en visualisant les différences graduelles en ADN sur un Ipad caché dans un miroir.

Halfdan Rump, ingénieur électronique porteur du projet Techrice, expérimente avec différents kits de cultures bactériennes qu’il met en contact avec du lait et de la présure pour le cailler et obtenir du fromage. Sa première idée était de produire du bleu, mais dans un premier temps, il a eu plus de succès avec du fromage blanc.

Vitrail de bactéries

Yuta Toga (à gauche) et Yuki Hanamure, deux artistes de BHA3.

Yuta Toga, média-artiste, et Yuki Hanamure, peintre adepte de l’art classique japonais, cultivent en compartiments des bactéries de couleurs distinctes (violet, jaune, orange) afin de réaliser une mosaïque multicolore vivante. Pour eux, chaque compartiment joue le rôle d’un carreau de vitrail, ou d’un pixel dans une image numérique. Comme les bactéries sont lentes à pousser, une vidéo en time-lapse permettrait de visualiser l’évolution teintée sur le temps de cette œuvre vivante.

Bactéries multicolores cultivées en carreaux.

Teruya Enomoto, docteur en biologie et chercheur au Tokyo Institute of Technology, travaille avec sa femme biologiste sur des cellules artificielles. Ils essaient d’identifier ce qui distingue la vie de la mort dans les bactéries autodestructrices afin de rendre tangible le signal pivot. Ils espèrent ainsi proposer une explication accessible aux non-spécialistes de l’une des caractéristiques des OGM.

Pourquoi sont-ils là ? Ils estiment que le milieu académique est assez fermé, et que le biolab leur donnera l’occasion d’échanger avec des gens de différentes professions, qui ont souvent de bonnes idées.

Une centrifugeuse DiY imprimée en 3D qui équipera le biolab.

« La biologie synthétique a commencé à intéresser le grand public il y a une dizaine d’années, explique Georg Tremmel, bio-artiste, média-artiste et biologiste, qui encadre la BHA3. Ainsi beaucoup d’ingénieurs et d’informaticiens sont venus à la biologie, en essayant de l’aborder en tant que science exacte. Or, elle ne l’est pas. La biologie est le prochain nouveau (ancien) média. » 

Pour ce chercheur en systèmes cancéreux à l’université de Tokyo, plutôt ravi de sortir du milieu universitaire, la Biohack Academy est la meilleure façon d’entrer dans le vif du sujet du futur biolab. Situé juste à l’étage au-dessus du Fabcafe de Shibuya, le Bioclub proposera d’un côté un espace où les biohackers les plus avertis feront leurs expériences, et de l’autre une cuisine plus ludique, où les amateurs de fromage, de saké et autres produits de fermentation de levure pourront concocter et goûter leurs créations.

En savoir plus sur la Biohack Academy et sur le Bioclub (en japonais)