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Mexico: les faiseurs devenus makers (1/2)

Batman 3D réalisé à Hacedores, pionnier des makerspaces de Mexico, à deux pas de la cathédrale de la capitale. © Hacedores Makerspace

A tous les coins de rues, ça s’active. Dans l’immense Mexico, les gens font et fabriquent depuis toujours. Makers? Pourquoi pas. La communauté grandit et redéfinit ses règles. Première partie de notre reportage, côté pionniers.

Mexico, envoyée spéciale (texte et photos)

21 millions d’habitants, un artisanat et des métiers manuels ultra-développés, des marchés regorgeant de trésors d’électronique et de seconde main… La métropole de Mexico a tout pour être le berceau des makers. Pourtant, dans la capitale, le mouvement a à peine plus d’un an. « Le peuple mexicain est un peuple de créateurs. Mais il fallait quelqu’un pour provoquer l’étincelle », explique Antonio Quirarte, instigateur du mouvement avec son site Hacedores, puis son makerspace du même nom, ouvert en 2015. 

Désormais, les makerspaces éclosent aux quatre coins de la ville (ce n’est pas de trop, vu sa taille : près de 1 500km2, soit plus de 14 fois la superficie de Paris) et se mêlent parfaitement bien aux hackerspaces et labs, qui n’ont pas attendu le mouvement maker pour « faire ». Première partie de notre visite guidée, du côté des pionniers et précurseurs !

Hacedores, le souffle initial 

Le makerspace Hacedores fait le plein. 

La visite débute dans le centre ville historique, à deux pas de la cathédrale métropolitaine de Mexico, la plus grande d’Amérique, et du siège du gouvernement mexicain. Le makerspace Hacedores a ouvert il y a un an, sous l’impulsion d’Antonio Quirarte. Souvent décrit comme le « pionnier de l’Internet de Mexico » par les médias locaux, c’est lui qui a insufflé l’esprit maker en ville. D’abord avec le site internet Hacedores, lancé en juin 2013 et qui documente les projets de la communauté internationale. Puis avec l’organisation d’évènements, comme la Oaxaca Mini Maker Faire. Enfin, en mars 2015, en faisant basculer la communauté digitale IRL, au 4ème étage d’un centre commercial, dans des locaux de 200m2. 

Le lieu est assez fréquenté, même s’il est difficile de comptabiliser le nombre de makers réguliers. « Ça ne fonctionne pas avec des cartes de membre, explique Antonio Quirarte. On a essayé, mais ce qui marche aux Etats-Unis ne marche pas forcément ici. » Ici, ce sont plutôt les ateliers (couture, travail du bois, fabrication d’un satellite, etc.) qui attirent le chaland.

Le jour de notre visite, les établis sont bien occupés. Par ici, on peaufine une sculpture de divinité, pour une prochaine impression 3D en chocolat, là, un adepte de robotique fabrique une lampe. Antonio nous présente aussi les objets bricolés par la communauté : un drone fait maison, un appareil qui envoie un message aux proches en cas de crise d’épilepsie ou un distributeur de bonbons qui se déclenche par un « Like » sur Facebook.

Fernando Fuentes Rojas, 27 ans, pose pour Makery devant le bras robotique open source qu’il a réalisé pour son projet de fin d’études. 

Un an après l’ouverture, le makerspace grandit. L’équipe est désormais forte de 10 permanents et Hacedores s’attelle à ouvrir des makerspaces dans les écoles. Déjà, une école de Sante Fe a ouvert le sien, impressionnant. Trois autres sont en préparation. L’équipe planche aussi sur un makerspace à Pachuca, dans l’État d’Hidalgo. « C’est une ville pauvre dont 40% des jeunes ont immigré illégalement aux Etats-Unis », explique Gustavo Merckel, qui s’occupe du développement de ces activités. Pour ceux qui reviennent, l’équipe d’Hacedores prévoit de proposer un espace Rasberry Pi.

Hacedores Makerspace, 402, República de Guatemala 10, ouvert du lundi au samedi

330ohms, le pionnier

Servez-vous! La boîte à outils de 330ohms. 

Bienvenue au premier makerspace de Mexico. Ouvert en 2014, quelques mois avant Hacedores sur les conseils d’Antonio Quirarte, 330ohms a d’abord été une boutique de composants électroniques et de fabrication de prototypes pour les professionnels. « Et puis Antonio nous a parlé des makers et on s’est rendus compte qu’il n’y avait qu’à ouvrir l’espace », explique Norman Rogelio Morales Vega, l’un des trois cofondateurs. Le 26 décembre 2014, c’était chose faite.

Un peu plus d’un an après l’ouverture, les trois makers ont encore du mal à faire pulser la communauté. « C’est difficile de convaincre les gens d’utiliser ces espaces, explique Antonio Marcel Diaz Garcià. Travailler avec ses mains, réparer les choses, ici, c’est naturel. Mais montrer ses projets et partager le savoir est plus compliqué. »

Norman, Helena et Antonio, les trois fondateurs du premier makerspace de Mexico. 

Ils parviennent tout de même à organiser une rencontre mensuelle, les Tardes de Makers (« soirées de makers »), qui réunit une quinzaine de personnes. Un bon vivier de main d’œuvre freelance pour leur entreprise : « Quand un client a besoin de compétences particulières, on sait où chercher dans notre réseau », résume Norman. Preuve que les choses commencent à bouger, après notre passage, ils se préparent à un autre rendez-vous : une entreprise d’évènementiel qui voudrait sponsoriser leurs Tardes.

330ohms Makerspace, Cerada Alberto Zamora 26, La Concepción, ouvert du lundi au samedi

Computer Clubhouse, le makerspace historique 

Au centre culturel Faro del Oriente. Au premier plan, une sculpture collaborative, au second, un immense marché, trésor de ressources pour le Computer Clubhouse. 

Il faudra s’armer de patience. Environ une heure et demie de métro nous sépare du Computer Clubhouse de Mexico, une des 100 antennes mondiales du réseau monté par le MIT en 1993 pour offrir un environnement éducatif et créatif aux jeunes issus de communautés défavorisées. L’antenne mexicaine a été ouverte en 2004 au cœur du Faro de Oriente. Ce centre culturel de la ville de Nezahualcoyotl, l’une des villes les plus pauvres et les plus peuplées de l’État de Mexico, est un îlot de créativité où l’on enseigne l’art ou l’artisanat.

Le Computer Clubhouse, un peu vide en cette période de vacances. 

Dans ce lieu historique du mouvement maker, les projets fonctionnent par mentoring. Des universités (dont le MIT) ou des institutions proposent des programmes dont le Computer Clubhouse s’empare. Robotique, lutherie électronique, langage informatique, mapping vidéo, fabrication de skateboards (que le club envisage de vendre pour augmenter son budget) ou développement d’un fauteuil roulant électrique (pour un usager handicapé du club), les jeunes sont touche-à-tout et talentueux.

Le rappeur et vidéaste Alexis Joer Ponce Hernandez (et sa sœur) en plein montage de son dernier clip. A droite, Yurian Zeron, manager du Computer Clubhouse. 

«Nous sommes de la périphérie», micro-docu d’Alexis Joel Ponce Hernandez sur un membre du Computer Clubhouse de 14 ans qui parcourt une douzaine de kilomètres pour s’y rendre (en espagnol) : 

Computer Clubhouse, Centro Cultural Faro de Oriente, la Calzada Ignacio Zaragoza s/n, Colonia Fuentes de Zaragoza, ouvert du mardi au vendredi

Fablab Mexico, labellisé MIT 

C’est ce qu’on appelle un rendez-vous manqué : alors que nous sommes en visite dans la capitale mexicaine, Bernardo Gomez-Pimienta, directeur de l’école d’architecture Anahuac et responsable de son fablab, visite la capitale française… Le tour du Fablab Mexico, ce sera donc pour une autre fois. Dommage, car c’est le premier fablab du Mexique, explique-t-il par mail à son retour (et au nôtre) : il a été monté en 2012 en collaboration avec le MIT et l’équipe accompagne aujourd’hui d’autres institutions pour qu’elles s’équipent de leur propre lab. « Le Fablab fonctionne avec une bibliothèque de matériaux, qui compte dans les mille matériaux de dernière génération », explique-t-il. 

Rendez-vous manqué. Dommage, le Fab Lab Mexico a l’air très beau… © Fab Lab Mexico

Les étudiants en archi, design et ingénierie y travaillent sur des projets sociaux, la construction de pièces à échelle réelle mais aussi à la fabrication d’une imprimante 3D en chocolat. « Nous sommes aussi ouverts aux élèves d’autres universités, qui sont les bienvenues, ajoute Bernardo. Ce qui en général n’est pas réciproque… »

Fablab Mexico, Avenida Universidad Anáhuac, núm. 46 Colonia Lomas Anáhuac Huixquilucan, ouvert du lundi au vendredi

El Rancho Electronico, le hackerspace de Mexico 

L’entrée du hackerspace… pour le moment.

Direction La Colonia de Obrera, un quartier populaire où s’enquillent imprimeurs, garagistes et grosses machines dans une odeur de fioul, pour visiter El Rancho Electronico, le hackerspace de la ville de Mexico. Après des débuts « en mode nomade » dans la pure tradition des hacklabs, El Rancho s’installe à résidence en 2013, nous explique Jaime Villarreal, hacker historique du lieu qui se lance dans une généalogie hackerspace versus hacklab.

El Rancho est très actif, auto-suffisant (les hackers paient le loyer et leur matériel) et propose une petite dizaine de workshops. L’accent est mis sur le libre : cinéma libre (l’atelier le plus populaire du hackerspace), librairie digitale (l’équipe a fabriqué un scanner de livres DiY) ou musique libre. Mais on y parle et pratique aussi sécurité numérique ou cartographie. La politique (cybersécurité et surveillance) a la part belle dans les discussions des hackers.

El Rancho se veut avant tout ouvert à tous. D’ailleurs, les femmes comptent ici pour la quasi moitié de la flotte de hackers. « Elles portent beaucoup de projets et ont même organisé des ateliers d’auto-cyberdéfense et de cybersécurité réservés aux femmes. Elles n’en ont parlé qu’aux femmes, on ne sait pas trop ce qu’il s’y passe », rigole Jaime.

Chez les hackers, on n’aime pas les photos. Les flyers ne font pas tant d’histoires…

Seul hackerspace permanent et déclaré de la métropole de Mexico – d’autres groupes de hackers existent mais ils sont plus underground, nous dit Jaime –, El Rancho Electronico s’apprête à déménager dans des locaux plus grands. Pour plus d’ateliers et surtout « de plus grosses fêtes », se réjouit Jaime.

Rancho Electronico, en déménagement, réunions les mardis soirs et ateliers tous les soirs de la semaine

 

Retrouvez ici la suite de notre reportage sur les labs de Mexico. Après les pionniers historiques, les petits nouveaux (un makerspace, un fablab et la communauté des biohackers)