Makery

Le chantier de l’innovation sociale et solidaire

Panneau bio-photovoltaïque pour recharger son téléphone, développé à L’Energylab de Valldaura, en Espagne, le fablab de l'autosuffisance en énergie. © Quentin Chevrier

La start-up est-elle le seul modèle économique quand on invente dans un fablab? Pour Olivier Blondeau, l’un des artisans du projet Citoyens capteurs, il serait temps de trouver d’autres solutions pour l’innovation disruptive. D’autant que ces solutions existent déjà du côté de l’économie sociale et solidaire. 

Il est un mot magique qui résonne immanquablement lorsqu’il s’agit, soyons modernes, des « dernières technologies », celles du mobile, des données ou des objets. La start-up. On en couve, on les incube, on les accélère ou on les propulse. On peut même devenir serial start-uper. A l’école, l’université, dans les entreprises même, on ne compte plus les brevets, on compte les start-ups créées. Les villes elles-mêmes se comparent entre elles. C’est le fameux city branding, qui annonce fièrement le nombre de start-ups installées sur le territoire.

Il est vrai que le financement de l’innovation technologique est aujourd’hui chose complexe. A fortiori lorsqu’il s’agit d’innovations que l’on appelle disruptives, de technologies de ruptures dont on ne connait pas encore précisément le potentiel et l’avenir. Pourtant les projets que nous portons ont tous besoin de financements. De temps, de machines. Et une fois le prototype achevé, le concept prouvé, il faut passer à l’étape suivante.

Les banques occupées ailleurs

Vers qui se tourner ? Les banques ? Le modèle est épuisé. Les banques ont su financer l’industrie mais ne savent pas financer l’innovation. Trop risqué. Et surtout, elles sont trop occupées à placer l’argent de leurs investisseurs dans des opérations boursières, à faire de l’optimisation au Panama ou à investir dans de vrais projets à fort rendement : les gaz de schiste par exemple.

Alors, on a les start-ups avec leur cortège de business angels qui hantent nos fablabs, veillent, suroccupent nos listes de discussion en essayant de repérer les projets à fort potentiel. Mais créer une start-up, ce n’est pas seulement choisir un modèle économique contre un autre. C’est avant tout, pour la plupart d’entre nous, échapper à l’entreprise monolithique, centralisée, pyramidale et bureaucratique dont on perçoit à tort ou à raison qu’elle bride, corsette le potentiel de créativité qui cherche à s’exprimer. C’est cette aspiration-là, je crois, qui se manifeste avant tout dans l’engouement qu’il y a autour de ce mot.

Non lucratif mais très vivable

La start-up n’est pourtant pas le seul horizon désirable, d’autant qu’il n’a pas que des avantages. Combien de start-ups ont échoué ? D’autres modèles, d’autres horizons sont possibles. Nombre d’entre nous travaillons sur des projets libres, collaboratifs, au service de l’environnement, de la justice sociale, de causes humanitaires ou culturelles. Ils n’ont pas vocation à devenir des objets marchands. Parmi tous les modèles, il y en a un sur lequel je souhaiterais insister, celui de l‘économie sociale et solidaire (ESS). Ce modèle tente de concilier une activité économique et l’équité sociale, ses principes sont la recherche d’une utilité collective, la non-lucrativité ou la lucrativité limitée. Cette notion de non-lucrativité au fondement du mouvement associatif ou de l’ESS est parfois difficile à comprendre. Il ne s’agit pas de ne pas pouvoir être rémunéré pour son travail. Bien au contraire ! Elle correspond juste au « principe d’impartageabilité des bénéfices et des réserves ».

La rencontre entre le monde de l’innovation, a fortiori celle des makers, et de l’économie sociale et solidaire est encore aujourd’hui un chantier en friche. C’est pourtant une rencontre qui se pose comme une évidence. Dans le domaine du logiciel libre, des organisations tentent depuis longtemps de faire se rapprocher ces deux mondes. Je pense en particulier à l’Association franco-québécoise du logiciel libre (AI2L), fondée en 2008 par le Crédit-Coopératif, le groupe Up (ex groupe Chèque déjeuner), la Macif, la Caisse d’économie solidaire, Filaction et Fondaction. L’AI2L organise un concours que nous avons eu le plaisir de remporter cette année avec Citizen Watt et qui nous a apporté non seulement un financement non négligeable mais surtout une visibilité auprès des entreprises de l’ESS qui peuvent soutenir une démarche entrepreneuriale innovante.

De même, certaines structures d’aide à la création d’entreprise favorisent l’ESS. Parmi elles, l’Avise ou France Active lancent régulièrement des appels à projet dans des domaines qui nous intéressent au premier titre (la transition écologique, le changement climatique, l’économie circulaire, etc.). Il y a même des entreprises dont on ne peut pas dire que le modèle soit la non-lucrativité qui commencent à s’intéresser à ce modèle en finançant des projets innovants d’économie sociale comme La Fabrique Aviva, qui a récemment organisé un concours, ou des lieux de réflexion comme le Labo de l’économie sociale et solidaire.

Alors, c’est à nous d’investir ces formes économiques qui peuvent répondre à des aspirations sociales, environnementales et responsables. Et c’est peut-être aussi à ce monde de l’économie sociale et solidaire, tant il est parfois aux antipodes de l’innovation technologique, de savoir accueillir les jeunes entrepreneurs qui n’ont pas envie de « faire du business », mais de transformer le monde.

Retrouvez ici la précédente chronique pour Makery d’Olivier Blondeau, co-auteur de «Libres enfants du savoir numérique» (éd. de l’Eclat, 2000)