Makery

Tokyo à l’ère des fabshops

IStation individuelle de scan 3D au premier Techshop ouvert en Asie, à Tokyo. © Cherise Fong

Les makers feront-ils leur marché dans des magasins dédiés plutôt que de s’abonner à un fablab? A l’occasion de l’ouverture du Techshop Tokyo, Makery est allé faire ses courses dans la nouvelle grande surface du bricodage et chez deux de ses concurrents nippons.

Tokyo, de notre correspondante (texte et photos)

Le monde suivra-t-il Tokyo ? Au-delà des fablabs, les makers iront-ils de plus en plus faire leurs courses dans des grandes surfaces dédiées ? Il existe aujourd’hui à Tokyo au moins trois grands magasins dédiés à la fabrication digitale et artisanale, tous bien équipés en machines, tous situés en plein centre-ville et ouverts au grand public. On paie pour se former ou fabriquer à son rythme, sans avoir à parler ni s’expliquer à quiconque. C’est donc en amateure « clandestine » que ce reportage a été effectué.

Le robot mascotte de Techshop Tokyo. © Cherise Fong

Techshop, la boutique stylée

Depuis que sa toute première boutique s’est ouverte au cœur de la Silicon Valley en 2006, Techshop multiplie les franchises : les 10 premières sont aux Etats-Unis, une a ouvert à Abu Dhabi, une à Paris avec Leroy Merlin et la toute dernière, donc, à Tokyo, en partenariat avec Fujitsu, est officiellement accessible au public depuis le 1er avril 2016. A deux pas de l’ambassade des Etats-Unis, Techshop Tokyo occupe 1 200m2 du 3ème étage d’un petit centre commercial dans une zone d’affaires et de luxe entre Akasaka et Roppongi.

La grande salle de Techshop Tokyo.

Le slogan de la maison mère, « Build your dreams here », s’applique avec la même image de marque toujours ultra clean : le robot et l’engrenage, les accents bleu et rouge, les vastes murs blancs de la grande salle à l’échelle quasi industrielle saturée de lumière naturelle le jour. A l’accueil, toute une collection de publications Make / Maker Faire ; au coin café, l’incontournable machine à popcorn gratuit. N’empêche, l’arsenal de machines à contrôle numérique est impressionnant, avec tout ce qu’il faut pour travailler le bois et le métal dans des salles dédiées avec lunettes de protection, toutes sortes de textiles et matières (soie, cuir, vinyle, liège…), des machines pour imprimer et souder ses propres circuits en cuivre, imprimer en UV et en 3D, découper au laser, mouler le plastique par le vide…

Depuis sa pré-ouverture le 18 février, Techshop Tokyo propose des cours d’initiation sur les machines les plus demandées (découpe laser, imprimante 3D, imprimante UV), dont la plupart sont complets. Samedi, la petite salle est comble pour écouter la présentation d’un designer local. L’ambiance est jeune, libre, branchée, accueillante et prometteuse, mais avant tout, professionnelle.

Prix: 3 000¥ (24€) l’adhésion + 18 500 ¥ (146€) par mois
A la journée: 3 000¥ (24€) l’adhésion + 4 500 ¥ (35,50€), de 10h à 23h

DMM.make Akiba, l’atelier corporate

Lancé avec le slogan « Open Share Join », DMM.make Akiba se présente comme l’extension fabcafé de l’immense entreprise DMM (Digital Media Mart), plus connue pour sa distribution de vidéos et de jeux pornographiques… Ouvert en novembre 2014 aux 10ème et 12ème étages d’une tour en plein cœur d’Akihabara, le quartier électronique et otaku de Tokyo, l’espace réaménagé est accessible depuis deux ascenseurs un peu décalés, après avoir traversé un lobby de verre inondé de costumes-cravates noirs.

L’espace ouvert de DMM.make Akiba.

Pas difficile donc de reconnaître le staff de DMM.make, en vêtements d’ouvriers mécaniciens. Une fois passée l’entrée, les couloirs aux murs de fausses briques sont aussi surréels que les publicités de lancement, où le comique cinéaste Beat Takeshi (Kitano) a l’air aussi ébahi que nous devant toutes ces machines hors contexte. Car DMM.make Akiba dispose d’un important stock de machines, de simples machines à coudre jusqu’aux grosses CNC. Son espace reste cependant compartimenté, soit en bureaux à cloisons, soit en petits bureaux cellulaires qui débordent de petits bouts électroniques, et l’on peine à imaginer qu’il s’agit là d’un makerspace ouvert et fluide. D’ailleurs, le jour de notre visite, les futurs clients potentiels se résument à une poignée de sexagénaires qui prennent beaucoup de photos.

Ouvert aux membres 24h/24, DMM.make Akiba (Hub) est potentiellement plus orienté vers l’incubation de start-ups développant du hardware. En tout cas, l’espace fait provision de salles de réunion et d’espaces de coworking… Sauf que, presque tous les présents le vendredi après-midi de notre visite travaillaient seul(e)s devant leur ordinateur portable, sans parler à personne.

Seul le grand coin café donne du caractère au lieu, avec un vrai menu, une moto « specimen » à l’entrée, un (vrai !) chien Corgi en laisse, un décor sympa et un espace ouvert avec une belle vue du quartier.

Prix : 30 000¥ (l’adhésion) + 15 000¥ par mois (pour un studio et l’accès aux machines) (240€ + 118€)
A la journée (12h) : 5 000¥ avec accès au 12ème étage seulement (celui des machines) (39€)

Makers’ Base, le commerce pour communauté créative

Avec pour slogan « Personal brand supporter », Makers’ Base Tokyo a ouvert en août 2013 dans un immeuble dédié en bord de rivière, pas loin du mecca de la culture jeune et branchée de Shibuya. Le petit bâtiment vertical à escaliers en bois est tout le contraire de ses concurrents et séduit immédiatement par son aspect maison d’artistes.

Cependant, le 16 avril prochain, Makers’ Base Tokyo quittera le quartier bohème de Meguro pour emménager dans un nouveau lieu de 800 m2, avec ascenseur et café, sur le campus de la Tokyo Metropolitan University, en grande banlieue ouest. La société ouvrira aussi ce mois-ci son troisième espace à Hakata, après Makers’ Base Sapporo, ouvert en août 2015.

Des échantillons pour inspiration à Makers’ Base Tokyo.

100% made in Japan, la marque Makers’ Base est forte en design et artisanat, où la froideur des machines et tout le côté geek disparaissent derrière la pure beauté des produits à l’arrivée. Ici, le staff est habillé en hoodies et jeans, leur nom sur un badge en bois découpé au laser, tout comme le sont les cartes de membres, qui se complètent de blocs en couleur selon les formations accumulées. L’ambiance est définie par des travaux pratiques ainsi que des workshops collaboratifs et souriants, auxquels participent beaucoup de jeunes gens, notamment des femmes, dans des échanges actifs, avec un enthousiasme palpable. On voit partout des échantillons, des essais, des inspirations potentielles.

Samedi, au sein de la joyeuse communauté, on observait à l’étage une femme en train de préparer des peintures à scanner, tandis que se tenait un workshop pour fabriquer des baguettes en bois. Juste à côté, quelques personnes manipulaient les machines pour tailler des bijoux métalliques, tandis qu’au rez-de-chaussée des gens se régalaient autour d’une roue de poterie… Suite à l’inscription rigoureuse en ligne et une visite guidée de 90 minutes, 100% de la quinzaine de visiteurs présents a choisi sur place de devenir membre, profitant ainsi du prix spécial d’inscription.

Prix : 1 080¥ (spécial) (8,50€) l’adhésion + 16 200¥ par mois (128€) (de 10h à 22h)
A la journée : 1 080¥ (spécial) (8,50€) l’adhésion + 3 240¥ (25,50€) (de 10h à 22h)

Les fabshops sont-ils le cybercafé du XXIème siècle ou l’occasion de créer une autre dynamique urbaine, propulsée par le design, pour se former et co-travailler ensemble ?

Alors que dans la capitale japonaise, le Tokyo Hackerspace est de facto dominé par les expatriés, il semble que les fablabs et plus encore les fabshops nippons sont surtout fréquentés par les Japonais. A voir s’ils sont l’avenir d’une fabrication digitale mainstream…