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Jeu de piste DiY pour les «Perceptions» d’Exit 2016

«Whispers» (2014), installation sonore à voir à Créteil pendant le festival Exit. © Courtesy des artistes Katrin Caspar et Eeva-Liisa Puhakka

Entre installation d’oiseaux modulaires piaillant en circuit bending, jeux de plateforme en bois et instruments miroirs virtuels se prêtant à de loufoques déambulations, l’exposition «Perceptions» du festival Exit célèbre le renouveau DiY.

Après avoir investi les espaces volumineux du festival VIA à Maubeuge, l’exposition Perceptions rejoint sa maison-mère de la Maison des Arts des Créteil (MAC), productrice de la manifestation, et son architecture plus confinée et propice au jeu de pistes pour la quinzaine Exit, du 7 au 17 avril.

Une occasion de tester différemment des dispositifs privilégiant des interactions volontairement sensorielles, voire psychologiques (la cellule carcérale du Installation of Experience du Russe Valia Fetisov, dont il faut savoir déclencher « physiquement » le mécanisme d’ouverture), créant parfois un faux-sentiment d’interaction plus proche du détournement mental (les jeux de perturbation procédant des diffusions audiovisuelles à 360° de la boîte immersive Infinity Room de Refik Anadol, ou les explosions sonores suggérant l’explosion d’une montagne que l’on imagine dans le décor de brume et d’altitude des Paysages Topographiques de Fouad Bouchoucha), mais refusant en tout cas tout systématisme interactif lénifiant dans le rapport public/installation.

Un bon point que les makers et autres amateurs d’inventivité bricolée en mode DiY apprécieront d’autant plus que plusieurs dispositifs présentés cette année adoptent une ligne résolument lo-fi. Une démarche à laquelle l’équipe de curateurs nous a déjà habitués par le passé, par exemple en 2012 avec l’exposition Low Tech, qui réconciliait contours numériques technologiques et approche plus profane.

« Ce côté DIY, que l’on retrouve dans certaines installations cette année, est un aspect du travail de création qui nous est très familier », explique Emilie Fouilloux, commissaire de l’expo au côté de Vladimir Demoule. « Pour l’expo Low Tech il y a 4 ans, le renouveau du DiY n’était pas encore là et on parlait à peine des fablabs ! C’est une esthétique qu’on retrouve de plus en plus souvent chez les artistes et que nous affectionnons particulièrement. De façon générale, ce qui nous intéresse à la MAC pour Exit, c’est de mettre en avant les nouveaux modes de création, que ce soit à travers les installations, les spectacles (par exemple les perfs de Fouad Bouchoucha, Robbie Thomson ou Julien Fournet), et le label collaboratif MAC+. Ces techniques DiY font partie des pratiques contemporaines et c’est logique de voir émerger des artistes qui les emploient. Dans le cadre de Perceptions, une exposition qui apostrophe le spectateur, il est normal que cela fasse écho. »

Simulacres low tech

En effet, si Perceptions interpelle le spectateur en l’obligeant à se confronter (mais sans trop de brusquerie tout de même) avec l’œuvre en fonctionnement – à l’image du labyrinthe de murs pivotants du Nevel de Lawrence Malstaf, qui oblige le visiteur à se déplacer constamment dans l’espace mouvant –, l’exposition nous interpelle aussi par l’ingéniosité opératoire qui anime certaines pièces. Une ingéniosité qui ne date pas d’hier, comme le prouve l’emblématique Cône Pyramide de Jean Dupuy (qui date de 1968, tout de même !) et ses formes géométriques fantomatiques, créées par la propulsion vibratoire de pigments de couleur rouge. Dans I’m Taller Than Most Of The People I Know (2008), l’Américain Jacob Tonski transforme le principe d’interaction en un outil de mise à niveau égalitaire du spectateur : la plateforme de socles individuels en bois composant l’installation s’ajuste progressivement pour mettre tous les participants à la même taille !

Jacob Tonski explique son installation «I’m Taller Than Most Of The People I Know» (2008):

Perceptions prête parfois au spectateur un rôle de cobaye d’expériences pseudo-scientifiques, simulacres plus ou moins ludiques. Le portrait-robot, c’est le cas de le dire, dressé par le bras mécanique du robot-dessinateur développé par Patrick Tresset dans Etudes Humaines #1, Paul-IV.a ; Paul-IV.b, Paul-IV.c, a quelque chose d’inquiétant à vous dévisager ainsi.

Paul, le robot dessinateur de Patrick Tresset (à Variations 2015). © Quentin Chevrier Art2m

Les pépiements d’oiseaux de la douzaine de petits modules suspendus, chacun composés d’une enceinte, d’un microphone, d’un moteur et d’un petit circuit imprimé, du Whispers de Katrin Caspar et Eeva-Liisa Puhakka expriment plus d’entrain en vous accueillant dans leur volière en mode circuit bending. Et le mystère procédant du Simulacra de Karina Smigla-Bobinski a indubitablement quelque chose de magique, voire de sorcier, dans la révélation de ses formes holographiques par apposition de petites loupes sur un écran LCD chauffé à blanc.

Katrin Caspar et Eeva-Liisa Puhakka présentent leur installation «Whispers» (2014):

« Plusieurs des artistes présentés comme Karina Smigla-Bobinski ont une pratique assez low-tech, précise Emilie Fouilloux. Dans Simulacra, la base de son travail, c’est de démonter un écran LCD, un objet de consommation extrêmement courant, pour le détourner, en faire autre chose, faire disparaître les images si chères à notre époque et en proposer de nouvelles, sensuelles, uniquement visibles à travers des petites loupes, des objets devenus rares et assez anecdotiques. Katrin Caspar et Eeva-Liisa Puhakka procèdent exactement de la même démarche : déconstruire, voire détruire, des jouets musicaux pour enfants – objets de consommation de masse encore une fois – pour en faire de petits êtres autonomes, poétiques, en mettant les doigts dans les circuits imprimés et en dessoudant les carcasses. »

Kariona Smigla-Bobinski explique son installation «Simulacra» (2013):

Une relecture désacralisée de la technologie qui prend encore plus de sens dans la galerie d’instruments miroirs virtuels Virtual Ground que présente l’artiste belge Ief Spincemaille : de véritables lunettes interactives en trompe l’œil – on a l’impression de marcher au plafond ! –qui vous permettent de déambuler avec plus d’aplomb que si vous portiez un Oculus Rift !

Ief Spincemaille explique son installation «Virtual Ground»:

« Ief Spincemaille fait partie du collectif Werktank, dont est également issu quelqu’un comme Wim Janssen, un autre artiste très low tech, ajoute Emilie Fouilloux. Il travaille beaucoup autour des miroirs et du ciel, au-dessus de nous, qu’on regarde finalement si peu. Et Ief est particulièrement fier de présenter la seule installation à ne pas avoir besoin d’électricité pour fonctionner ! »

Le black-out peut toujours arriver, Perceptions ne s’en laissera pas compter.

«Perceptions», exposition dans le cadre du festival Exit, du 7 au 17 avril, à La Maison des Arts de Créteil, place Salvador Allende, métro Créteil-Préfecture