Makery

Chronique d’une makeuse en matériaux (11)

De la cuisine de pointe à l'Inra (Institut national de la recherche agronomique), partenaire de Termatière. © Caroline Grellier

Un an que le projet de coopérative Termatière se développe, au rythme des turbulences et des accélérations. L’heure d’un premier bilan pour notre chroniqueuse makeuse, et désormais start-upeuse, en matériaux bio-sourcés.

Ma motivation n’a pas changé : créer avec Termatière une entreprise sociale et solidaire spécialisée dans la valorisation de déchets agricoles en matériaux locaux 100% bio-sourcés, en vue de permettre des dynamiques d’économie circulaire, en créant de la valeur ajoutée sur le territoire à partir de matières premières premières déjà existantes, mais peu, pas, ou mal valorisées.

Ça avance… à son rythme

Il y a un an, je démarrais cette chronique en crevant d’impatience de rentrer dans ce que j’appelle le « vif du sujet » (le développement de mes échantillons de matériaux bricolés), alors que j’avais à peine un orteil au sein de l’incubateur de Montpellier Supagro. Je me voyais déjà le mois suivant, en train de défibrer du sarment et de démouler des essais de matériaux composites, avec une équipe de joyeux savants contributeurs au projet. Je projetais un printemps-été au labo puis un mois de septembre dans un lab à scier, clouter et graver mes prototypes de caisses de vin en MDF de sarment de vigne ainsi valorisés. J’avais un plan de route. Un plan qui suit son cours, certes, mais avec une temporalité que j’avais largement sous-estimée.

Car travailler en mode « lab » est différent de travailler avec un « laboratoire ». Si les approches se complètent, le fonctionnement est tout autre. J’ai dû me heurter premièrement à une réalité économique. Mobiliser une équipe de recherche, ce n’est pas gratuit. Ce n’est pourtant pas l’envie qui manque de contribuer gracieusement, mais l’utilisation de machines spécifiques et le temps consacré au projet par des cerveaux experts sur le sujet, ça a un coût.

Des outils de pointe… ça a un coût ! © Caroline Grellier

Après une estimation des moyens nécessaires (au minima) et des personnes ressource à mobiliser pour la phase de Recherche & Développement, à commencer par la mise au point de la recette exacte du panneau de fibres de sarment, je me suis attelée à la recherche de premiers financements. Mais pour bénéficier des subventions régionales que je visais, il fallait aussi que le projet d’entreprise soit clarifié : philosophie et métiers de Termatière, marché étudié et avéré, offres formulées, indicateurs de rentabilité, partenaires démarchés, prévisionnel de chiffre d’affaires sur trois ans, etc.

Ce travail de débroussaillage est chronophage puisqu’il nécessite une prise de recul constante et du temps passé sur le terrain, à étudier le marché et identifier les intérêts de chacun, le tout sans perdre de vue l’utopie de départ. J’ai fait le choix de participer à des concours, pour sans cesse soumettre Termatière à des avis critiques constructifs, mais aussi pour tenter de renflouer la cagnotte. Ce qui a plutôt bien marché. Ces concours remportés m’ont permis d’augmenter mes fonds propres pour pouvoir demander les plafonds des subventions.

Avec le recul, j’ai parfois le sentiment que certaines phases auraient pu être réalisées plus rapidement, mais quand on débute, on ne saisit pas forcément le degré d’urgence de certaines étapes. J’ai lancé l’étude de marché sans avoir d’estimation de prix de vente de ma caisse de vin bio-sourcée. Ce qui a parfois donné lieu à des entretiens qui se résumaient à : « C’est intéressant. On attend de voir. Ça coûte cher non ? »

Pendant un temps, j’ai craint de l’avoir fait trop en amont, mais c’est ce qui a permis de valider la démarche du projet, de recentrer les activités de Termatière et de mieux comprendre les besoins des clients. La caisse de vin, produit fini à façon, sera donc développée en totale cohérence avec les remarques et attentes de notre segment de clientèle cible.

Moralité : ne pas attendre la maquette ou le prototype pour soumettre son projet. Valider l’idée est déjà fondamental, d’autant plus pour faire contribuer les clients futurs et les associer pleinement à la conception du produit. Et puis, sentir le soutien des principaux concernés par le projet, ça fait du bien !

Le marc de raisin velu, une invention by Termatière au détour d’expérimentations… © Caroline Grellier

Car si le maker bricole pour lui ou ses copains, l’entrepreneur doit s’assurer de répondre à un besoin existant ! Quand j’ai commencé à fabriquer mes matériaux à partir de déchets viticoles, c’était d’abord pour mon plaisir et par soif d’apprendre par l’expérimentation…

La digestion de Noël

Grand remaniement du projet en décembre dernier ! Avec Stéphane de Lacroix, « mon » ingénieur agronome, nous étions partis en vacances les cerveaux un peu chamboulés par les derniers pivots de Termatière. Nous avons donc laissé reposer le schmilblick pour nous retrouver à la rentrée, plus à l’aise que jamais dans la version 2016 du projet. Ni lui ni moi n’avons envie de faire carrière dans les produits de conditionnement du vin pour devenir des vendeurs de caisses de vin par centaines de milliers chaque année…

Objectif : développer un catalogue de matériaux, ou le sarment dans tous ses états ! © Caroline Grellier

L’activité s’est recentrée sur la conception et le développement de matériaux locaux 100% bio-sourcés et la conception de produits à façon, uniquement sur demande. Plus question (en tous cas pour le moment !) de fabriquer du produit fini en grande série. L’idée est de développer un catalogue de matériaux locaux bio-sourcés plutôt qu’un catalogue de produits finis. Objectif de janvier : aller sur le terrain pour valider le marché auprès des distributeurs de matériaux locaux et auprès des grands châteaux intéressés par des caisses de vin sur mesure avec nos nouveaux matériaux.

Ça passe ou ça casse

Les six prochains mois vont être décisifs pour Termatière. La phase de Recherche & Développement au laboratoire, tant attendue, démarre début mars, pour trois mois. Les chercheurs sont confiants sur la faisabilité technique de notre « MDF sarment » mais le plus gros challenge reste à venir : trouver les bons partenaires pour sortir de l’éprouvette et effectuer un transfert de technologie.

Cette étape est critique en terme de coût, mais aussi de savoir-faire technique. Pour anticiper, la préparation du laboratoire consiste à démarcher les industriels de la région pour cerner leurs limites d’action et nous adapter à leurs contraintes dans le développement de la recette de MDF by Termatière, et son procédé de fabrication.

Nous devons co-écrire un cahier des charges du matériau et un programme de R&D très précis puisque l’échelle de temps d’un chercheur n’est pas la même que celle d’un maker-entrepreneur. Trois mois, ça passe vite. Et un an aussi, d’ailleurs !

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