Makery

La microferme de la Bourdaisière sème l’agriculture de demain

A la microferme, on laisse les sols non utilisés à l'état sauvage : ça les nourrit. © Elsa Ferreira

Pour entrer à la microferme de la Bourdaisière, il faut passer par un majestueux château, vallée de la Loire oblige. Un paradoxe pour cette «ferme d’avenir» où prévaut la simplicité d’un retour à la terre durable et raisonné. Reportage.

Montlouis-sur-Loire (Indre-et-Loire), envoyée spéciale (texte et photos)

Le château de la Bourdaisière, à quelques kilomètres de Tours, accueille sur son domaine la microferme. 

L’ingénieur Maxime de Rostolan a installé la microferme de la Bourdaisière sur 1,4 hectare en mars 2014, après avoir baroudé pour sensibiliser le monde entier à la problématique de l’eau, écrit Les aventuriers de l’or bleu et dirigé la collection de planches Deyrolle pour l’Avenir. Ces posters pédagogiques un peu old school affichés dans les salles de classe sont conçus sous la direction de Louis-Albert de Broglie, propriétaire du château-hôtel de la Bourdaisière.

Organiser les écosystèmes

C’est avec le châtelain que Maxime se lance dans l’aventure Fermes d’avenir, un ambitieux réseau de fermes durables. La microferme de la Bourdaisière est en quelque sorte le « tuto » du projet : l’expérimentation sur cette parcelle-test est documentée et partagée. A la place de la prairie fauchée une ou deux fois par an sont apparues « des planches de culture, des serres, un système d’irrigation, des légumes », documente le site. Cependant, lors de notre visite, l’hiver est là et la production tourne au ralenti : des radis, des choux-fleurs, de la salade et des carottes poussent timidement. « Dans cinq ans, ce sera une jungle », assure Maxime.

Son approche s’appuie sur la permaculture, un terme un peu barbare pour un concept tout aussi complexe. « C’est une méthode de conception d’écosystème humain durable », tente de résumer Maxime de Rostolan. Pas une méthode agricole, insiste-t-il, mais une approche holistique qui consiste a recréer un habitat en observant et aménageant les écosystèmes humains ou agricoles.

«Notre graal, c’est la vie dans le sol. Exactement le contraire de l’agriculture conventionnelle qui s’affranchit de ce paramètre et apporte tout ce dont les plantes ont besoin, ou dont on croit qu’elles ont besoin, en produits de synthèse.»

Maxime de Rostolan

L’heure est à la planification pour parvenir à l’objectif : produire 100 000 € de fruits et légumes chaque année, à partir de 2017, pour atteindre l’équilibre d’ici quatre ans et créer 3 emplois. Benjamin Jubien et Nicolas Wagner, maraîchers, prévoient ainsi l’emplacement des plantations en analysant les interactions entre les espèces. Exemple : planter des carottes à côté des poireaux. La mouche du poireau déteste l’odeur des carottes et le puceron de la carotte déteste l’odeur du poireau. Combo gagnant pour éviter les pesticides. De même pour l’utilisation de l’œillet d’Inde, aux propriétés répulsives pour certains insectes.

Un bourdon butine un œillet d’Inde, qui n’est pas là que pour faire joli. 
« On travaille beaucoup avec les interfaces, les limites et les bordures (ici, une mare), explique le maraîcher Benjamin Jubien. Il y a de la biodiversité car ce sont deux écosystèmes qui se rencontrent. »

Paysans vs. ouvriers agricoles

Dans le monde agricole, l’idée de permaculture peine à faire son chemin. Dans les écoles aussi, où « elle n’est pas enseignée du tout, regrette Thomas Paley, 23 ans, diplômé d’horticulture et érudit apprenti. C’est plutôt vu comme un truc de fumeurs de joints. On l’expérimente sur notre temps libre. »

Charles Laniesse et Emmanuel Magnier, 24 et 25 ans, en service civique sur la ferme, approuvent. Tous les deux viennent du milieu agricole. Aux repas de famille, difficile de parler boulot, confie Emmanuel. « C’est comme si tu pointais du doigt toutes leurs erreurs en disant “j’ai la solution” ». Le métier dont rêve cette nouvelle génération n’est pas le même, analysent les deux compères : eux veulent être paysans, quand leurs parents étaient « ouvriers sur leur propre ferme ». « On a peur de partir dans quelque chose d’utopiste, reconnaît tout de même Emmanuel. Il n’y a pas beaucoup de fermes sur ce modèle, c’est difficile d’être confiant. »

Pause déjeuner au soleil avec Emmanuel et Charles.

Agro-business

C’est l’un des défis de Maxime de Rostolan : montrer qu’au-delà de la belle idée, Fermes d’avenir peut être un moteur pour le pays. Dans sa manche, un atout : l’emploi. Son modèle de ferme, où l’automatisation est à son strict minimum, en crée six fois plus qu’une ferme conventionnelle, affirme-t-il. Lui emploie déjà deux maraîchers et trois bénévoles pour une production d’environ sept tonnes de fruits et légumes ces six derniers mois. Des légumes qu’ils revendent sur place le mercredi, dans des réseaux d’Amap, mais aussi à la grande distribution. « Comme 70 % des fruits et légumes sont vendus en grande surface, on est allés les chercher », justifie Maxime. 

La garage à outils : des râteaux, des pelles et un minitracteur. 
Le désherbage, c’est à la main. De haut en bas : Julien et Nicolas, maraîchers, Emmanuel, stagiaire. 

Délivré des contraintes de machines, l’agriculteur peut augmenter la densité de ses plantations – un tracteur aura besoin d’un espace standard pour faire son désherbage. C’est la formule pour rester rentable. Plus de densité, moins d’eau perdue à l’arrosage et moins de charges (gasoil, réparation des machines, etc.) : selon Maxime de Rostolan, une microferme bio intensive peut ainsi générer un profit jusqu’à dix fois supérieur au mètre carré qu’une ferme conventionnelle.

« La difficulté est de trouver des gens qui travaillent dans une optique similaire de densification, admet le maraîcher Benjamin Jubien. C’est répandu dans les jardins, mais très peu dans les fermes professionnelles. » Selon Maxime de Rostolan, « il faut avoir un esprit cartésien, chercheur, curieux et scientifique. Il ne faut pas un bac + 5 mais aimer comprendre les relations entre les différentes forces en présence ».

Pour l’instant, les voyants sont au vert, se réjouit-il. « Moi, en terme de temps, je suis au rouge », ajoute-t-il. Le matin de notre visite, il a annoncé à son équipe qu’il prend un peu de recul sur la ferme. « Je ne veux plus poser avec une fourche dans les champs », dit-il. Question de légitimité, juge l’ingénieur paysan devenu business man. Désormais, il se concentre sur son activité de conseil, prêt à former une armée de permaculteurs pour Fermes d’avenir.

Il accompagne ainsi des néo-agriculteurs « en quête de sens » : un informaticien, un banquier, un ancien employé de multinationale… « Ils ont la conviction que nous allons dans le mur et n’ont pas envie de rester dans la voiture sans rien faire .» Et espère que 200 000 fermes soient en permaculture d’ici 20 ans. En attendant, le concours Fermes d’avenir organisé avec La Ruche qui dit Oui ! a permis de récolter les fonds nécessaires pour soutenir 13 fermes, une par région, dans leur installation.

«Il y a des politiques simples à mettre en place»

De quoi lui donner un peu de poids dans sa mission de lobbying. Pour le moment, ce n’est pas gagné. « C’est désespérant, soupire-t-il. Le directeur du label agriculture bio (AB), la filière bio du gouvernement, n’avait jamais entendu le nom de Pierre Rabhi (l’un des piliers de l’agroécologie et partisan de la décroissance, ndlr). On part de vraiment très loin. Ils sont tellement déconnectés et s’en foutent tellement. Ils croulent sous les lobbys. »

En attendant que la Politique agricole commune (PAC) soit réorientée vers une agriculture durable, « il y a plein de politiques faciles à mettre en place », affirme Maxime, comme rendre obligatoire l’étiquetage des produits non bios (« il faudrait mettre “contient du poison” »), « arrêter de faire croire que le bio vaut plus cher » en rendant visibles les externalités (le coût de la PAC, l’incidence sur la santé, etc.). Car « il y a urgence, s’alarme Maxime. On a perdu un tiers de matières organiques dans nos sols en 50 ans. On a un nombre incroyable de maladies qu’on ne comprend pas. Il y a un moment où on va se demander si on n’est pas suicidaires de continuer à bouffer du poison. »

Maxime ne fera plus de photos dans les champs. Pour Makery, il en fait une dernière.

Le site de Fermes d’avenir