Makery

Tout savoir pour imprimer en 3D en toute légalité

Dans son installation «What Shall We Do Next?», l'artiste Julien Prévieux a archivé des gestes liés à des brevets déposés pour l’invention de nouveaux appareils (capture écran). © DR

«Qu’ai-je le droit d’imprimer en 3D?» Une récente étude de l’Institut national de la propriété industrielle répond à cette question que tout bon maker s’est forcément posée. Décryptage avec l’avocate spécialisée Aude Vivès-Albertini.

Voila une étude qui risque d’interpeller bien des makers. L’Institut national de la propriété industrielle (INPI) vient de publier et de mettre en ligne gratuitement La propriété intellectuelle et la transformation numérique de l’économie. Big data, objets connectés, protection des logiciels et des algorithmes, mais aussi impression 3D et fablabs y sont passés au crible de la propriété industrielle et du droit d’auteur.

Pourtant, il n’est pas toujours facile de s’y retrouver dans ce (dense) rapport de 311 pages concocté par des experts du secteur de l’économie numérique et du droit. Alors, comment savoir ce qu’on peut fabriquer avec son imprimante 3D tout en restant dans les clous de la légalité ? Quelles sont les responsabilités des utilisateurs des machines d’un fablab ? Éléments de réponse avec Aude Vivès-Albertini, avocate spécialisée en propriété intellectuelle et nouvelles technologies.

3D makers, tous hors-la-loi?

D’emblée, le chapitre sur l’impression 3D et la contrefaçon donne le ton : « Cette technologie révolutionnaire de fabrication additive est la première à offrir la possibilité de contrefaire simultanément tous les droits de propriété intellectuelle (droit d’auteur, dessins et modèles, marques, brevets, voire topographies de semi-conducteurs). » Rien que ça. 

Pour Aude Vivès-Albertini, « le fait de toucher à tous les droits en même temps est en effet inédit ». D’où la complexité de l’impression 3D tiraillée entre droit d’auteur et propriété industrielle. Mais pas de panique, nul besoin de mettre votre Reprap au placard ou de passer des nuits blanches sur le Code de la propriété intellectuelle.

Au fablab La Machinerie d’Amiens, ce ne sont pas les imprimantes 3D qui manquent. © DR

Ce qu’on ne peut pas faire

Concrètement, la responsabilité de l’utilisateur dépend de là où il se situe dans la chaîne de la fabrication 3D. S’il crée lui-même des fichiers CAO reproduisant des objets protégés, les met en ligne ou les télécharge, il pourra être considéré comme contrefacteur direct, à plusieurs variantes près selon que l’on adopte le point de vue de la propriété industrielle ou du droit d’auteur.

«Les principes essentiels du droit d’auteur ne sont pas remis en cause par l’impression 3D, car les risques, en particulier concernant la contrefaçon, sont majoritairement couverts par les règles de droit en vigueur.»

Aude Vivès-Albertini

Pour l’utilisateur qui imprime des objets protégés en 3D par contre, pas de doute possible : tant en droit d’auteur qu’en droit des dessins et modèles et des brevets, l’impression non autorisée d’un objet protégé est, en principe, un acte de contrefaçon. D’autant plus si on en fait commerce derrière.

Ce qu’on peut faire

Alors, est-on condamné à finir au tribunal pour avoir réparé sa cafetière avec une pièce imprimée en 3D ?  Non, car dans ce cadre peuvent s’appliquer l’exception pour copie privée (en droit d’auteur) et l’exception pour les actes accomplis à titre privé et non commercial (en droit des dessins et modèles). A condition bien entendu que le fichier utilisé pour la fabrication ne soit pas lui-même un fichier pirate.

«C’est l’ouverture de la boîte de Pandore.»

Du point de vue propriété industrielle, ces exceptions permettent de répliquer sans limite dans son garage tous les brevets que l’on veut, tant qu’on ne sort pas du cadre privé, précise Aude Vivès-Albertini, la création d’une classe de brevets « spécial makers » n’étant selon elle pas pertinente en France, dans la mesure où le droit français prévoit déjà l’usage non commercial à titre privé.

«D’un point de vue juridique, les questions de l’usage privé et de l’impression 3D, c’est open bar.»

Pourtant la question houleuse de la copie privée continue d’agiter les débats sur la Loi Création et risque de devenir la pierre d’achoppement des jurisprudences à venir concernant l’impression 3D. « Il s’agira bien de trouver un moyen de rétribuer les auteurs, sans flouer les utilisateurs », ajoute l’avocate.

Bientôt des fichiers verrouillés et des makers pistés?

N’empêche que ces questions errent pour le moment en terra incognita juridique. Premières pistes envisagées pour lutter contre la contrefaçon : des mesures de protection et des techniques de traçabilité qui pourraient être prises, comme pour les fichiers audio ou vidéo, ce traçage comportant le risque de porter une « atteinte disproportionnée » à certaines libertés, comme le droit de copie privée ou le libre échange, ainsi que le pointe l’étude de l’INPI.

«Le risque de l’impression 3D est de tomber dans les travers de l’industrie de la musique. Je ne suis absolument pas pour les mesures techniques de protection, car cela revient à opposer utilisateurs et auteurs. C’est l’écosystème tout entier qui devrait être équilibré. J’ai peur que des mesures de ce type soient tout à fait impopulaires, il vaut mieux repenser et améliorer le modèle économique.»

Le Far West de l’impression 3D

A contrario, des plateformes comme Thingiverse dont la responsabilité demeure floue, les fabricants et les vendeurs d’imprimantes et de scanners 3D échappent à la qualification de contrefacteurs indirects puisqu’ils ne peuvent être considérés comme complices des potentiels actes de contrefaçon commis par les utilisateurs de leurs machines.

Ce qui ne signifie pas qu’ils sont exempts de toute responsabilité pour autant. Car pour l’industrie de l’impression 3D, c’est du côté des brevets que le bât blesse, à l’instar de MakerBot qui s’était attirée les foudres des makers et des défenseurs du libre lorsqu’elle avait verrouillé les licences de sa Replicator 2. Alors que l’entreprise créée en 2009 par Bre Pettis doit sa success story au principe même de l’open source. « Makerbot s’octroie des monopoles indus », affirme Aude Vivès-Albertini, expliquant que la tendance est à l’abus dans l’industrie de l’impression 3D.

Un modèle d’imprimante Makerbot conçu à partir des schémas open source de la Reprap. © Tony Buser-CC

Brevets déposés sur de l’existant ou sur des choses non brevetables, hold-up sur des technologies qui ne peuvent pas être monopolisées… le cas Makerbot risque de faire des petits. « Il faut faire barrage à ces dépôts opportunistes, car il s’agit de situations très claires de détournement du droit des brevets, il faut être très vigilant sur ces questions. » Mais pour le moment, peu de solutions existent, hormis celle de démontrer l’antériorité du brevet et de saisir une instance telle que l’Office européen des brevets.

Et les fablabs dans tout ça?

Quid alors de la responsabilité des fablabs dans la chaîne de fabrication numérique ? « Cette responsabilité pose des questions fondamentales en terme de droit, car avec les fablabs, on est dans l’horizontalité pure des échanges, la frontière entre sphères privée et publique se redessine », dit l’avocate, pour qui les solutions passeront davantage par la redéfinition du modèle et du système économique du secteur que par son volet juridique.

«Avec les fablabs, on assiste à une véritable remise en cause de la définition de l’usage privé.»

Dans le chapitre intitulé « Propriété intellectuelle et fablabs », Sabine Diwo-Allain se demande d’ailleurs si les fablabs peuvent être considérés comme des intermédiaires techniques susceptibles d’être qualifiés de contrefacteurs indirects, un peu comme les plateformes du type Thingiverse. Car quand on vient réparer sa cafetière, on reproduit un objet breveté à des fins personnelles. Or, le principe même du fablab repose sur la documentation ouverte et le partage avec la communauté, ce qui va à l’encontre de cette exception du cadre privé…

Le rapport explique que pour se prémunir de toute accusation de contrefaçon, certains fablabs font d’ores et déjà signer une déclaration à l’utilisateur stipulant que la pièce détachée n’est plus disponible chez le fabriquant, « renversant ainsi la charge de la preuve ». Une prudence de principe quelque peu contradictoire avec l’esprit des labs.

Télécharger l’étude sur le site de l’INPI