Makery

La Maker Faire Rome allie bidouille et salon de l’innovation

Au deuxième jour de la Maker Faire Rome, berceau européen de la foire aux makers. © Stefania Sepulcri-CC by NC 2.0

La Maker Faire de Rome, du 16 au 18 octobre, berceau des éditions européennes, a engrangé toujours plus de visiteurs: 100 000. Mais le mouvement se trouve tiraillé entre les perspectives d’un DiY désintéressé et les ambitions économiques.

Rome, envoyée spéciale

La Maker Faire, située dans un quartier assez central de Rome, est annoncée partout en ville. Aux abords de l’université La Sapienza, la file d’attente compacte qui s’étire sur plusieurs rues suffit à guider les visiteurs curieux. Les organisateurs s’en réjouissent. L’année dernière, l’événement avait rassemblé 90 000 visiteurs. Cette année, on en a compté 100 000, pour 1 200 projets exposés … et des milliers de cartes de visite échangées.

L’intérêt pour le monde des makers ne faiblit donc pas, se félicite le fondateur de Make et de la Maker Faire Dale Doherty :

La foule des visiteurs à la Maker Faire Rome ce week-end. © Stefania Sepulcri-CC by NC 2.0

On croise dans les allées quelques irréductibles Français, notamment Gaël Langevin et son robot InMoov, mais aussi Emmanuel Gilloz derrière son stand OpenEdge et le sympathique duo de La COOL, une petite serre connectée.

Les tentes sont pensées selon des thématiques précises : art et musique, électronique, communication, environnement, enfants et éducation… C’est justement au milieu d’un groupe d’enfants bruyants et surexcités qu’on retrouve Stéphane Weibel de Qrokee (dont on vous parlait déjà ici) qui tente de maîtriser l’effervescence autour des deux prototypes installés sur leur table :

« La MakerFaire nous a surtout apporté énormément de fatigue ! C’est de la démo non-stop. Les enfants se jettent sur nos machines holographiques pour dessiner et tester eux-mêmes. Nous n’avons pas le temps de prendre des contacts pour le développement de notre produit ou pour en faire la promotion. Mais ce n’est pas grave, on adore venir ici pour avoir des retours d’utilisation directement des enfants et des parents. C’est un moment de test, il y a une énergie dingue ! En mars 2016, on espère pouvoir lancer le produit, avec un manuel d’utilisation complet pour le fabriquer soi-même et un magasin en ligne pour acheter les pièces en kit. Il y aura aussi une version toute assemblée autour de 100 €. Nous allons mettre en place un magasin en ligne où on pourra acheter toutes les pièces en kit. On voudrait se rapprocher des fablabs pour organiser des démos et des ateliers : on peut reproduire des motifs sur des t-shirts, faire de la pyrogravure… C’est un outil vraiment pratique. »

Le choc des extrêmes : vers la Chine, et au-delà ?

S’il y a bien un stand à la Maker Faire qui est « the elephant in the room », ou l’épine dans le pied de plusieurs makers, c’est celui d’Ingdan. Les produits présentés par Ingdan (principalement des objets connectés) sont « designed in Italy » mais fabriqués en Chine pour le marché chinois.

Marco Mistretta, le PDG d’Ingdan, le présente comme « un pont » pour connecter le monde des makers en Europe avec la Chine. « Pour sortir du garage, il faut trouver des partenaires sérieux. Notre objectif est de valoriser des projets pour les mener dans la Shenzen Valley et ne plus dépendre des États-Unis. Il y a beaucoup d’inventeurs et de designers en Italie, mais peu de marché. En Chine, c’est l’inverse : il y a une force de production et d’investissement, mais il faut de nouveaux produits à mettre sur le marché, parce qu’ils consomment beaucoup de technologie et plus vite que nous. La culture du geek et du DiY n’est pas encore très développée, donc on a besoin de nous. »

Il faudrait donc sortir du garage. Emmanuel Gilloz, l’inventeur de la FoldaRap, a lui aussi constaté ce léger changement d’atmosphère dans les allées de la Maker Faire : « C’est moins une foire de bidouilleurs qu’une foire commerciale. C’est moins désintéressé qu’avant. Mais c’est peut-être bien ! C’est plein de petites entreprises, de gens qui vivent de ce qu’ils font. Faut-il rester puriste à petite échelle ou avoir plus d’impact pour changer le monde en faisant quelques compromis ? Tout dépend du projet et de la philosophie, qui doit selon moi rester celle de l’open source. Et ça je ne crois pas que ce soit dans le champ d’Ingdan. »

Sur un air de musique…

Les boîtes à maker-musique de Vinbox. © Camille Bosqué 
Concevoir des instruments à corde à partir de caisses de bois, le projet argentin de Vinbox. © VinBox

Même si l’on trouve des piles de cartes de visite sur les tables de chaque stand, tout le monde ne pense donc pas forcément au business. Lucio et Ignasio Gonzalez sont venus de Buenos Aires pour présenter leur projet VinBox, un système qu’ils ont conçu et documenté pour concevoir des instruments à corde à partir de caisses ou morceaux de bois.

Pour eux, l’objectif n’est pas de distribuer des cartes de visite : « Nous avons inventé une manière d’utiliser les nouvelles technologies pour fabriquer nos instruments de musique, comme les vieux bluesmen trafiquaient des guitares avec trois cordes et un manche. On utilise des caisses de vin, notre imprimante 3D pour certaines pièces et un peu d’électronique pour l’amplification. Nous nous raccrochons à des choses essentielles : partager le plaisir de la musique et le plaisir d’apprendre à fabriquer des choses. Quand tu arrives à mettre ton intelligence et ton imagination là-dedans, c’est tellement gratifiant ! On passe notre temps ici à jouer et faire des bœufs avec les gars des autres stands, et ça c’est le plus cool. Hier ça a bloqué toute la tente, il y a des visiteurs qui ont attrapé notre basse et nos guitares, on a joué du jazz manouche. C’est la plus belle opportunité qu’on pouvait avoir : on ne fait pas ça pour l’argent mais par passion. Bien sûr, si on peut gagner des sous, on ira plus loin. »  

En attendant, preuve qu’il faut de tout pour faire une Maker Faire, les musiciens bricoleurs de VinBox ont gagné le ruban bleu du mérite.