Makery

Les collisions de TodaysArt à La Haye

La symphonie pour brûleurs et pipelines du Staalplaat Soundsystem. © Ewen Chardronnet

Le festival TodaysArt qui décline les dernières tendances de la création contemporaine investissait cette année le Pier, en front de mer de la capitale hollandaise. Makery est allé voir comment le DIY et le hacking infusent l’art d’aujourd’hui.

La Haye, envoyé spécial

Le festival néerlandais avait pour sa onzième édition décidé de rendre hommage à un projet utopique jamais réalisé et qui devait avoir lieu en 1965 sur la Jetée de Scheveningen. Le projet « ZERO on Sea » du groupe d’avant-garde artistique ZERO fondé par Heinz Mack et Otto Piene avait pour ambition de s’approprier le Pier, véritable paquebot s’avançant dans la Mer du Nord, et d’y installer des œuvres sublimant le bâtiment, sonification de la mer, peinture noire dans l’eau, gonflables, pyrotechnie, etc. Le Groupe Zero faisait là une proposition unique pour l’époque et avait pour cela convié des grand noms de l’art contemporain comme Lucio Fontana, Yves Kein, Armand, Jesús Rafael Soto, Jiro Yoshihara, le groupe Hollandais NUL…

Vue du projet « ZERO on Sea » de 1965. © DR
La Jetée de Scheveningen en 2015. Au premier plan, l’orgue « Zeero » de Staalplaat Soundsystem. © EC

TodaysArt sur Mer

Le projet ne put être réalisé, du fait de la démesure des propositions et des conditions météo. Cinquante ans plus tard, TodaysArt entendait donc revivifier – en partenariat avec le Stedelijk Museum qui présente en ce moment une rétrospective du Groupe ZERO – les idées utopiques de « ZERO on Sea ». La conjonction des événements était particulièrement favorable, car le Pier, après de nombreuses menaces de démantèlement complet du fait de sa vétusté et de précédents projets avortés ou inappropriés, a finalement trouvé un nouvel acquéreur et un nouveau projet de rénovation. Pour inaugurer la nouvelle vie du Pier, TodaysArt avait donc convié de nombreux artistes dont le travail répond en partie aux préoccupations du projet « ZERO on Pier ».

Le robot-plotter « Chalky » de Daan Brinkmann, René Bakker et Daniel Berio, à l’entrée du Pier. © EC

TodaysArt proposait donc du 24 au 27 septembre un festival réjouissant qui investissait la plage et les nombreux recoins du Pier. Difficile de tout mentionner, tant les propositions étaient multiples et parfois simultanées. Des espaces de galeries éphémères accueillaient des œuvres fines et sensibles et l’extérieur offrait du performatif pyrotechnique. Un espace était également dédié à la création VR 3D avec plusieurs postes Oculus Rift.

Consultations de création pour Oculus Rift. © EC

Le grand spectacle autour du Pier animait la plage très fréquentée de La Haye par un week-end bien ensoleillé. Sur une des plateformes du Pier, les artistes Mike Rijnierse, Floris van Bergeijk, Thomas Koopmans et Arjan van Drunen s’étaient associés pour simuler un départ de fusée sans la fusée, usant de tous les effets sonores (communications radio et compte-à-rebours) et pyrotechniques (fumées, explosions).

Comment rendre impression de décollage de fusée sans fusée ? © Ewen Chardronnet

En contrebas, sur la plage, le Staalplaat Soundsystem présentait « Zeero », une performance spectaculaire consistant en quatre tubes de métal d’une longueur de 24 m et d’un diamètre de 1,2 m dans lesquels ils envoyaient les flammes de brûleurs pour montgolfières, générant un vrombissement impressionnant, l’orgue des fourneaux de l’enfer de l’industrie hollandaise.

Le Staalplaat Soundsystem à l’œuvre avec ses brûleurs de montgolfières. © Ewen Chardronnet
Les orgues industriels jouant un vrombissement qui prend au corps. © Ewen Chardronnet

Plus loin, et plus discrètement, Helen Evans du collectif parisien HeHe, s’employait à peindre une portion de la plage de peinture fluorescente de sa composition. Un mélange top secret mais néanmoins biodégradable !

Helen Evans (HeHe) en pleine préparation de mélange de peinture fluorescente. © Ewen Chardronnet

La rencontre de l’art et de la science

Le Synergetica Lab d’Amsterdam, un laboratoire art-science très centré sur la science fondamentale et passé expert dans l’usage du laser dans leurs expérimentations, était bien représenté. Vladimir Grafov, un ingénieur et artiste spécialiste du laser, illuminait la crête des vagues, pour le bonheur des surfs à LEDs du Surf Lab Scheveningen.

Les artistes Dmitry Gelfand et Evelina Domnitch présentaient deux œuvres à observer dans le noir total dans la galerie installée sous la tour principale du Pier. La première, Photonic Wind (2013), montrait de la poudre de diamant lévitant sous l’influence d’un laser dans une chambre sous vide. La seconde, Implosion Chamber (2014), offrait à regarder une chambre liquide où des bulles d’air implosent sous l’effet d’ondes sonores à haute fréquence et les phénomènes de dispersion associés.

« Photonic Wind » par Dimtry Gelfand et Evelina Domnitch du Synergetica Lab. © DR

Implosion Chamber, Synergetica Lab :

Les artistes du Synergetica Lab co-animaient également le workshop « Human Lunar Base » organisé par Bernard Foing de l’ESTEC, le centre de recherche en technologie spatiale de l’Agence Spatiale Européenne (ESA) situé à Noordwijk non loin de La Haye. Bernard Foing, astrophysicien, directeur du groupe international d’exploration lunaire de l’ESA, menait avec dynamisme un workshop composé d’étudiants en art et science de la Royal Academy of Art d’Amsterdam, de designers, d’architectes, de biologistes et chercheurs en sciences humaines.

Atelier Human Lunar Base animé par Bernard Foing de l’ESTEC. © Ewen Chardronnet

Collisions lumineuses : architecture et environnement

Le symposium « Bright Collisions » qui se déroulait dans la salle panoramique de l’ancien casino proposait de multiples interventions. Špela Petrič, une biologiste et artiste slovène travaillant actuellement à l’Open Wetlab de la Waag Society à Amsterdam, présentait Naval Gazing, une sculpture-sonde à la dérive dans la Mer du Nord offrant un habitat pour algues et crustacés. Un projet récipiendaire du prix Bio Art and Design 2014.

Le module « Naval Gaze » de Špela Petrič. © DR

L’artiste et chercheuse australienne Natalie Jeremijenko, directrice de la Design Environmental Health Clinic de l’université de New York, qui cherche des solutions en design pour les problèmes de santé dus à la pollution environnementale, présentait Pier 2 Pier. Le projet de design se veut être une redéfinition de ce que pourrait être un Pier, une avancée dans la plage, au regard des préoccupations environnementales contemporaines. Jeremijenko enjoint à penser la rénovation du Pier en intégrant la question d’un meilleur dialogue architectural avec la mer, suggérant de concevoir les fondations du Pier comme un habitat pour moules et algues, de désaliniser l’eau de mer et d’en faire usage dans les différents commerces du Pier, etc.

Intervention de Natalie Jeremijenko au symposium « Bright Collisions ». © EC

L’architecte David Garcia, directeur de l’Institut pour l’Architecture et la Technologie de Copenhague et spécialisé en architecture et environnements extrêmes, présentait également des projets architecturaux étonnants réalisés dans les zones polaires, au Svalbard, Groenland, ou en Antarctique.

Base à construire dans un iceberg, par Map Architects :

Hacker son corps

Un atelier « Hack the Body » était également proposé par le Baltan Laboratories aux geeks aguerris des expériences sensorielles et de réalité augmentée, avec un focus particulier sur le projet EEG Kiss (baiser électroencéphalogramme) de Karen Lancel et Hermen Maat (dont on vous parlait ici). De même, Jan van Erp discutait la neurophysiologie des émotions, leurs mesures et les applications dans les jeux interactifs. Une exposition et atelier de Maurice Mikkers pour observer ses propres larmes accompagnaient l’atelier sur les émotions. Oignons, piments et autres techniques étaient cependant utilisés pour faire venir la petite larme.

Maurice Mikkers faisait observer les larmes au microscope et exposait ses meilleurs clichés. © EC
Larme après avoir épluché des oignons. © DR

Les soirées de TodaysArt constituent également une large partie de la programmation. Electro, techno, disco, électro-acoustique, rien n’y manque. Un espace « 4D » à l’ElectriciteitsFabriek proposait de superbes créations sonores spatialisées. Pour ma part, je retiens la performance de Group A, un duo de Japonaises indus et punk qui ont enflammé le casino du Pier avec un live sans concession. Une belle édition de TodaysArt.

Pour découvrir la musique de Group A :

La bidouille d’instruments de musique électronique avait aussi sa place : le stand de Error Instruments. © EC

Le site de TodaysArt