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Wikibuilding, et si l’architecture devenait collaborative?

Le futur du Wikibuidling se dessine. © DR

Pour faire la révolution, il faut s’armer de patience. Défenseur de l’urbanisme collaboratif depuis 15 ans, Alain Renk touche au but grâce au Wikibuilding. Ce projet conçu pour le futur Paris Rive gauche dans le cadre du concours Réinventer Paris vient d’être présélectionné.

« Il y en a encore qui se disent qu’on manque d’un Haussmann », plaisante à moitié Alain Renk. Pour l’urbaniste et architecte programmiste, le modèle du baron, ancien préfet de Napoléon III à l’architecture ordonnée, appartient au passé.  Fana de nouvelles technologies et ardent défenseur de l’urbanisme collectif, il se bat pour faire entrer l’architecture dans le 21ème siècle. Et vient d’obtenir un gros premier succès, en voyant son Wikibuilding sélectionné avec 75 autres projets innovants dans le cadre du concours public Réinventer Paris.

Les habitants du Wikibuilding participeront à la conception de leurs lieux de vie et pourront aménager leurs espaces grâce aux lieux hybrides à disposition (fablab, coworking space…). © HOST/UFO

Lui envisage rien moins que faire des 7 milliards de Terriens des urbanistes. À tout le moins, les impliquer dans la conception de leur habitat. « La façon de faire de l’urbanisme n’est pas à l’échelle et à la hauteur des besoins », lâche-t-il. Pour mettre à bien son plan, il s’est entouré d’une galaxie de structures comme autant de bras armés : UFO (pour Urban Fabric Organisation), une start-up qui conçoit des outils numériques collaboratifs ; HOST, une agence d’architecture ; 7 milliards d’urbanistes, un collectif qui regroupe architectes, sociologues, philosophes et codeurs informatiques. 

Le modèle collaboratif dans l’architecture, s’il jouit d’une certaine reconnaissance dans le milieu de la recherche, peine à s’imposer sur le terrain. « J’ai souvent failli fermer l’agence, les propriétaires sont très cool sur les délais de loyer. Je voyais très bien ce que je voulais faire, mais personne ne comprenait rien. Je me disais que j’allais changer de métier. »

L’annonce ce week-end de la pré-sélection du Wikibuilding pourrait changer la donne. Repenser l’innovation, c’est ce que propose la mairie de Paris avec le concours Réinventer Paris. Jean-Louis Missika, adjoint au maire chargé de l’urbanisme, explique sa vision de l’innovation dans le domaine de l’architecture : « C’est d’abord les innovations d’usages (…), tout ce qui relève de l’économie du partage dans les nouvelles façons d’habiter, dans les nouvelles façons de travailler. Le coworking, le télétravail, le travail à distance, les fablabs. Même dans les nouvelles façons de commercer. Il y a là tout un champ à explorer. »

Proto, open data et mise à jour du bâtiment

Que le projet devienne ou pas réalité, UFO a développé pour le Wikibuilding des outils en amont pour faire participer la société civile. Un questionnaire est disponible sur Internet et les résultats sont en open data : on y apprend notamment que 39 % des répondants aimeraient voir un fablab naître du Wikibuilding, contre 63 % un « espace de convivialité » type bar ou restaurant et que le vélo l’emporte sur la voiture (63 % contre 8 %).

L’appli Unlimited Cities d’UFO permet d’ajouter une couche d’infos urbanistiques sur le quartier. © HOST/UFO

UFO met aussi à disposition du projet son « produit phare », Villes sans limite (Unlimited Cities, en VO), une appli qui permet aux usagers d’interagir avec un plan du quartier : plus ou moins de densité, type de transports, végétaux ou vie de quartier. Un plan 3D – et open source – est aussi en construction.

Dans notre projection de ville, des moutons. © Capture d’écran Unlimited Cities.

Dans les premiers étages du Wikibuilding, un cluster d’entreprises, des starts-up et un espace de co-working seraient gérés par un « régisseur community manager ». Un partenariat avec les fablabs du quartier devrait être mis en place. Dans la partie logement, les appartements pourraient être mis à jour comme des logiciels : les cloisons intérieures, conçues par les architectes de Volumes, se déplacent pour s’adapter aux usages (un enfant qui quitte le foyer familial, une prise en charge médicale à domicile…). Un living lab IRL servirait à la communauté de laboratoire d’expérimentation.

Récemment à Wroclaw, en Pologne, pendant la biennale WRO 2015, Alain Renk était invité à parler du Wikibuilding lors de la conférence Hacking of the Social Operating System. A cette occasion, une collaboration avec le WRO Art Center a été amorcée pour imaginer la future programmation artistique du Wikibuilding.

«Electr°cute», performance de Katarzyna Justka intégrée au Wikibuilding, Biennale WRO 2015 (Pologne):

S’il remporte le marché, Alain Renk espère faire du Wikibuilding Paris le premier d’une nouvelle génération de bâtiments. Un prototype diffusé dans le monde grâce aux données publiées en open source. Si ce n’est pas à Paris, ce sera ailleurs, prévient-il. La révolution wiki est en marche.

La fin des experts

Les sources en sont diverses. D’abord l’urbanisme tactique américain, ce courant qui prône le low cost, l’hyper local et le participatif et symbolisé par les Parking Days. On parle aussi d’acupuncture urbaine, qui « revitalise l’ensemble de la ville en agissant sur des points particuliers ». Enfin, UFO imagine l’urbanisme collaboratif et l’architecture open source.

Alain Renk (1er assis à dr.) défend une vision de l’open source urbaine. © HOST/UFO

Pour Alain Renk, il est temps de mettre en œuvre l’intelligence collective. 54% de la population mondiale vit en zone urbaine. En 1960, nous étions seulement 34 %. La tendance n’est pas à l’inversement des courbes. « Il est impossible de faire les stratégies urbaines uniquement entre experts, y compris pour les projets de grande échelle comme le Grand Paris, défend Alain Renk. Les experts passent beaucoup de temps à essayer de comprendre ce qu’il se passe dans la société — c’est bien, c’est de l’analyse. Mais ils vont synthétiser cette matière brute, ils vont voir si ça n’embête pas trop le politique qui commande le projet, ils vont découvrir des signaux faibles. Toutes ces bonnes infos vont être filtrées par des gens qui ont envie de retrouver, à la fin de leur étude, le monde qu’ils connaissaient pour ne pas se faire trop peur. Ça ne nous convenait pas. On s’est dit : allons chercher les infos à la source et travaillons avec les gens qui sont en train d’inventer le monde de demain. » 

A quoi ressemble l’école à l’ère des MOOC?

Remettre le collaboratif au cœur de la ville pour la réinventer. « Comment on apprend, comment on vit, comment on se développe ? Le numérique ce n’est pas un iPhone ou le wifi, c’est le monde qui change. » Ce ne sont plus les murs qu’il faut modéliser, pense Alain Renk, mais les interactions humaines. A quoi ressemblera en effet l’école à l’ère des MOOC, veut-on vraiment plus de parking quand le co-voiturage se développe ? 

« On ne comprend pas pourquoi on nous demande de construire des choses que l’on voit disparaître à brève échéance », explique-t-il, pestant contre la smart city, devenue « Bug city ». « La smart city est un concept marketing qui s’adresse à des payeurs inactifs, une espèce, j’espère, en voie de disparition. Nous voulons parler de ville soutenable, ou durable, 3.0. Sauf qu’on a sauté la case de la ville 2.0. On essaie donc de la faire exister. »  

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