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Lab’Surd, au plus près de l’impossible

Jeux de miroir dans le cabinet d'absurdités de Judith Guez. © Judith Guez

Des objets passeurs transforment la réalité virtuelle en «surréalité»: avec «Lab’Surd», présenté à la dernière rencontre VRLab et Décalab début mai, l’artiste chercheuse Judith Guez propose une expérience d’immersion empruntant au surréalisme.

Comment activer la sensation de présence dans l’expérience de la réalité virtuelle ? Pour générer une telle sensation, c’est à dire l’acceptation cognitive de la réalité simulée, plusieurs moyens ont été imaginés, de l’hyper-réalisme à un environnement qui réponde avec promptitude à nos sollicitations. L’une des pistes intéressantes, c’est la multi-modalité, qui fait appel à plusieurs de nos sens pour renforcer l’investissement dans la VR.

C’est cette direction qu’a choisie l’artiste et chercheuse Judith Guez, qui présentait Lab’Surd le 4 mai à l’Institut Google dans le cadre des rencontres art et réalité virtuelle du VRLab et du Décalab. La jeune doctorante au Laboratoire Image numérique et réalité virtuelle (INREV) de Paris 8 s’est s’appuyée sur l’haptique – la science du toucher, par analogie avec l’acoustique ou l’optique – et le couple action/perception pour maintenir la présence du participant dans un univers glissant progressivement vers l’onirisme. Le lien physique réalisé permet plus de folie dans l’expérience. 

Bienvenue dans le «rabbit hole»

Lab’Surd dans la vraie vie, c’est une chaise et une table. Sur la table sont posés un verre et une lampe – qui ressemble à la lampe animée de Pixar. Le visiteur est invité à s’asseoir, sans plus d’instructions que de se saisir du verre. Il est ensuite équipé d’un Oculus Rift et d’un casque audio. La séance dure quelques minutes. Si le temps est contraint, l’espace, lui, va se détendre et se transformer. Les murs vont se dissoudre ou se dilater pour offrir des saynètes de plus en plus aberrantes du point de vue du participant. 

«Lab’Surd», installation en apparence low tech, à l’Institut Google à Paris le 4 mai. © Nicolas Barrial

Mais alors que l’on pourrait rester étranger à l’environnement, on comprend que le verre est interactif. Ce lapin d’Alice nous permet de passer physiquement de l’espace réel à l’espace virtuel. L’absence d’instruction rend l’expérience unique. On commence à jouer avec la boule de lumière en constatant que nos mouvements physiques ont un impact sur l’environnement. A l’aide du verre, on la pousse, on tente d’enfermer ce petit feu-follet malin et rassurant, tandis que le monde autour de nous se restructure dans d’impossibles configurations à la Escher ou Magritte. Il y a quelque chose d’Alice au pays des merveilles, à la fois merveilleux et un peu inquiétant.

La table et le verre version virtuelle, la lampe est devenue une lumière malicieuse. © Judith Guez

Sur-virtualité et virtualité augmentée

Judith Guez fait un parallèle entre le mouvement surréaliste et ce qu’elle appelle « sur-virtualité ». Une réalité virtuelle qui va plus loin, qui trompe nos sens pour paraître vraie mais qui, une fois acceptée, nous emmène là où le réel ne nous donne pas accès. Ce faisant, elle explore également les marges de la convergence, un terme un peu technique qui recouvre l’interpénétration des plans de réalités. Et si l’on parle de réalité augmentée qui ajoute des éléments virtuels dans notre champ de vision, pourquoi ne parlerait-on pas de virtualité augmentée ? Comme si des éléments réels venaient sur-impressionner le virtuel : ici le verre, la lampe et le postulat du décor. C’est en quelque sorte le principe de l’accroche. Ensuite, il sera plus facile d’accepter que cette réalité s’atomise et se recompose.

Magritte et Escher de retour pour bousculer la… virtualité. © Judith Guez

Designer de réalité : art et technique

Il doit y avoir une certaine joie à se dire que l’on designe à la frontière de deux mondes, comme un explorateur qui donnerait à voir au-delà du monde connu. Le réalisateur retrouve ainsi son étymologie de créateur de réalité. Mais c’est surtout un travail d’équipe efficace et un emploi judicieux des nouvelles techniques de simulation qui a permis à Judith de mettre au point ce petit pont vers l’impossible.

La chercheuse s’est entourée de Guillaume Bertinet, graphiste 3D temps réel ; Kévin Wagrez, ingénieur de recherche à Paris Tech et Florian Costes, sound designer. L’univers a été conçu sous Unity 3D, avec un Oculus Rift DK2 pour l’immersion et une manette Razer Hydra (un joystick 3D) cachée dans le verre.

La beauté de la réalité virtuelle, tout un univers dans deux mètres carrés. © Judith Guez

Lab’Surd, développé pour Laval Virtual 2014, était en mode démo lors de l’évènement Brainstorm à l’Institut culturel Google, organisé conjointement par VRLab et Décalab à Paris. Le « petit laboratoire d’exploration de la survirtualité » sera également présenté lors du festival Ars Electronica, en septembre prochain à Linz, en Autriche.

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