Makery

Chronique d’une makeuse en matériaux #5

Le lab à ciel ouvert du CCL expérimente les matériaux locaux togolais. © Caroline Grellier

La Termatière, projet d’agence de design des agro-matériaux de Caroline Grellier, quitte les vignes languedociennes pour les terres togolaises, à la découverte d’un centre de recherche en matériaux locaux.

De l’art dans le pinard

Avant le Togo, j’ai rendez-vous à Aigues-Vives, charmant village gardois, avec Jean-Fred Coste, président du Caveau d’Héraclès, première cave coopérative vinicole en bio de France. Je rencontre un moustachu accueillant, passionné par son travail et soucieux du devenir de son caveau : patrimoine architectural magnifique qui ne sert plus que de lieu de stockage, la vinification ayant été délocalisée au village d’à côté.

Les effluves qui s’échappent du Caveau d’Héraclès parfument le village d’Aigues-Vives. © Caroline Grellier

Son objectif aujourd’hui est d’explorer de nouvelles vies pour cette immense bâtisse vide mais toujours bien odorante. En attendant que La Termatière y réserve ses bureaux-ateliers au dernier étage à gauche au-dessus des cuves (sait-on jamais), le premier pari aura lieu en octobre 2015, dans le cadre d’un programme de médiation culturelle locale. Le caveau sera investi par des artistes contemporains de la région, qui, entre art numérique, peinture, installations et performances, proposeront leur vision de ce lieu qui se cherche.

Le caveau, un espace gigantesque auquel donner une seconde vie. © Caroline Grellier
Nouvelle matière à valoriser : les copeaux de bois utilisés pendant la vinification. © Caroline Grellier

Invitée par le collectif d’artistes La Commune, La Termatière sera de la partie et exposera au public sa matériauthèque d’origine viticole. L’occasion de poursuivre sa mission de promotion des agro-matériaux du territoire et de faire découvrir aux locaux les applications possibles de ces échantillons. 

Afin de sensibiliser les élèves de l’école du village au recyclage et au patrimoine territorial viticole, deux ateliers seront organisés puis exposés au Caveau. Les apprentis makers en matériaux réaliseront des teintures à la lie de vin et des constructions en bouchons de liège recyclés.

Woezon, bonne arrivée en langue éwé

Après la fraîcheur des caveaux viticoles, me voilà à 6 000 km au Sud, sous un cagnard tropical togolais, au milieu d’un champ de briques de terre comprimées.

Séchage des briques fabriquées artisanalement avec un moule. © Caroline Grellier

Dans le cadre de l’incubation de La Termatière, je suis partie étudier le fonctionnement et les outils d’une structure très similaire à ce que je vise en terme d’activités : la fabrication et vente de matériaux locaux, la R&D en agro-matériaux, la matériauthèque (documentation) et les prestations de formation, expertise et conseil.

L’objectif est de m’inspirer de la façon tout à fait singulière de faire de la R&D ici en Afrique, avec peu de moyens et de machines à l’image de l’innovation frugale, presque artisanalement, et de repérer des modèles de fonctionnement à transposer à La Termatière.

Matériauthèque des terres togolaises. © Caroline Grellier
Echantillons d’agro-matériaux qui valorisent le son de riz et la coque d’arachide. © Caroline Grellier

Un labo à ciel ouvert

Ouvert en 1970 suite à la demande du gouvernement togolais auprès du Fonds spécial des Nations unies, le Centre de la Construction et du Logement (CCL) de Cacavelli a pour vocation de contribuer à l’amélioration de l’habitat togolais en s’appuyant sur ses recherches sur les matériaux locaux de construction, à base de matière première non importée. Ce centre technique, qui compte une quarantaine d’employés, est unique en son genre en Afrique de l’Ouest et a formé plus de 3 000 ouvriers, maîtres d’œuvre, architectes, ingénieurs venus de toute l’Afrique de l’Ouest.

Le CCL a pour objectif de faire de la recherche appliquée, d’où la création d’une division Architectures et opérations, associée au laboratoire, où sont expérimentées des nouvelles techniques de fabrication et formes de briques. Pour ce faire, un véritable laboratoire à ciel ouvert s’est créé sur les 6 000 hectares de terrain : un champ d’expérimentations et de prototypage où les stagiaires s’exercent notamment à la construction échelle 1/2 de bâtiments et où les nouvelles recettes de matériaux sont éprouvées.

Parmi les réalisations les plus notables, la construction de fours incinérateurs en briques cuites destinés à l’élimination des déchets bio-médicaux des dispensaires et hôpitaux, un projet accompagné par l’OMS.

Des matériaux made in Togo

Habitat dans un village proche d’Assahoun, réalisé avec différentes techniques, dont le banco. © C. Grellier

Depuis mon arrivée, je découvre des recettes de fabrication de matériaux de construction inspirantes, utilisées depuis des siècles dans les villages africains, comme le bousillage : un mélange de terre, d’eau, de poils de vache, d’herbe (fraîche ou sèche) ou de paille.

Une version différente du banco, aussi appelé adobe, matériau local très répandu qui consiste à fabriquer une pâte composée de terre argileuse concassée grossièrement et d’eau, pétrie pendant deux à trois jours (à la force des pieds traditionnellement). Les murs sont ensuite élevés couche par couche (à la manière d’une imprimante 3D), en respectant un temps de séchage entre chaque étage. A l’image des maçons du peuple Tamberma, au nord du Togo, la particularité de ces fabrications est de récolter les matières premières sur le lieu même de la construction.

Le tata traditionnel des Tambermas, au nord du Togo. © Caroline Grellier

Le CCL s’est également penché sur l’utilisation de l’huile de kapok ou le florentin (un résidu de la fabrication de l’huile de palme) afin d’imperméabiliser et protéger les murs en banco.

Encore quelques semaines pour découvrir ces recettes de makers en matériaux locaux togolais, et faire le plein d’inspirations pour la suite de l’aventure La Termatière.

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