Makery

Trouble dans le genre droïde au Palais de Tokyo

Keiishiro Shibuya (premier plan) en performance au Palais de Tokyo le 28 février avec le robot Kouka-roid. © Makery

Kouka-roid est le dernier prototype de robot anthropomorphique conçu par le roboticien japonais Hiroshi Ishiguro. Après sa performance de poésie droïde, elle s’expose au «Bord des mondes», au Palais de Tokyo.

Elle est déjà en place, bouge imperceptiblement la tête, naturellement, à l’écoute des essais sons du musicien qui tout à l’heure va lui faire réciter du Boris Vian. Kouka-roid est une des sensations de l’exposition « Le Bord des mondes », au Palais de Tokyo, présentée au côté de l’androïde clone de son géniteur, le spécialiste de la robotique japonais Hiroshi Ishiguro, du Laboratoire de robotique intelligente à l’université d’Osaka.

Iroshi Ishiguro (double d’Hiroshi Ishiguro) et Kouka, dans l’exposition au « Bord des Mondes ». © André Morin 

Kouka-roid, donc, n’est pas humaine mais androïde, ou, plus précisément « géminoïde », terme inventé par Ishiguro pour décrire un de ces robots imitant en tous points l’apparence et le comportement humain. Sa vraisemblance physique et gestuelle, qui évoque n’importe quelle jeune femme japonaise lambda, trouble et fascine les visiteurs qui lui tournent autour, voudraient la toucher, la prennent en photo sans même songer au selfie. On pense à la série suédoise Real Humans en cette journée spéciale « Humain trop humain » organisée le 28 février au Palais de Tokyo.

Kouka-Roid n’a pas le trac, même deux minutes avant sa performance de poésie androïde. © Makery

Parfaite potiche

Après qu’elle a joué la parfaite potiche pendant la conférence du professeur Ishiguro (aucun machisme dans le fait de la laisser jouer les jolies conférencières silencieuses), tentant de répondre à la (vaste) question « qu’est-ce qu’être humain ? », on lui trouve un peu moins de vraisemblance quand elle se fait performeuse sur les sons triturés du musicien Kaiishiro Shibuya (l’auteur de l’opéra pour avatar The End). Elle ânonne alors de vagues phrases tirées de Boris Vian, mais, si on a pris l’habitude des samples et bidouilles à la Vocoder sur voix humaine, son faux playback, où il est impossible de reconnaître un mot de Vian (Lost in translation ?), remet de suite le trouble à sa place : cette machine a beau imiter le genre humain, elle est encore bien gauche…

Extrait de la performance de Keiishiro Shibuya avec Kouka-roid, Palais de Tokyo, 28 février 2015 :

Qu’on ne s’y trompe pas. Le dernier proto-roïde sorti du labo du savant japonais est moins performant que d’autres robots bipèdes. Ce qui intéresse Ishiguro, chercheur en intelligence artificielle et robotique à Osaka, c’est plutôt notre relation à eux, nous humains. Il promène ainsi un peu partout son clone (bien plus perfectionné que Kouka), expose au Japon comme à Paris et multiplie les conférences à travers le monde, pour interroger l’humain par le biais de ces machines qui nous ressemblent…

Hiroshi Ishiguro et son clone androïde. © Hiroshi Ishiguro Laboratory, ATR

Qu’est-ce que la nature humaine ? Kouka et ses semblables seront bientôt utiles à tout un tas de personnes, promet-il, pas forcément d’ailleurs à celles auxquelles on pense a priori, personnes âgées ou invalides qui auraient besoin de compagnie – au Japon, oui certainement, prédit-il, puisque c’est à la fois le berceau de la robotique anthropomorphique et l’un des pays où la population vieillit à vue d’œil. Ishiguro montre ainsi l’un de ses plus beaux succès médiatiques et économiques, un mannequin androïde qui, s’agitant très mollement en vitrine, a fasciné les chalands. Pas vraiment glamour, cet usage de robots en guise de teaser marketing…

Androïde conçu par le laboratoire de robotique d’Osaka en vitrine à Hong-Kong en 2012. © Hiroshi Ishiguro Laboratory, ATR

Les géminoïdes d’Ishiguro ont des fonctions cognitives limitées : Kouka ne sait même pas marcher. Son intelligence artificielle est volontairement bridée par son géniteur, qui préfère saucissonner sa recherche en intelligence artificielle par type de machine. Il utilise des formes molles évoquant un gros oreiller ou un doudou informe pour reproduire des comportements humains type se recroqueviller, s’étirer, se frotter les yeux… Chacun de ses robots lui permet de décortiquer la psychologie ou la sociabilité de l’homme.

Kouka-roid est un des premiers robots d’Ishiguro qui ait un prénom… pour augmenter le trouble ? © DR

Ishiguro tente de nous persuader que bientôt, « nous préférerons interagir avec des robots aimables et policés plutôt que d’aller demander un renseignement à une vendeuse »… Bref, Ishiguro avec son côté facétieux de scientifique au musée s’intéresse avant tout à ce qui fait de l’homme un homme. Lui ne craint aucunement qu’un jour le robot dépasse son maître (voir les annonces de Stephen Hawking ou encore du patron de Tesla, Elon Musk). Il faut dire que pour l’instant, Kouka-roid est des plus dociles…

Exposition « Le Bord des mondes », Palais de Tokyo, jusqu’au 17 mai 2015, Paris

Aller plus loin sur les robots : «Sciences et Vie» n°1166 (avec suppléments multimédias)