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La graine spatiale qui fait cogiter les labs

« Space Seed », un projet « spéculatif de théorie scientifique » de l'artiste chinoise Yu Li. © DR

Li Yu, artiste et designeuse formée à l’Université du Yunnan, puis en design média à l’école supérieure d’arts & médias de Caen et à la Haute École d’art et de design (HEAD) de Genève, était en ce début d’année à La Paillasse à Paris pour une nouvelle étape de son projet poétique et fou de graine spatiale, la «Space Seed».

Space Seed est une capsule spatiale conçue comme une bouteille à la mer qui a pour finalité de donner naissance, sur une autre planète, à une plante témoin, convertissant nos données, notre identité génétique et numérique en quelque chose d’organique. L’artiste chinoise Li Yu voudrait encoder de l’information dans une bactérie, et se pose en ce moment la question de savoir si l’information doit être stockée dans le plasmide ADN ou en dehors… Pour y répondre, elle multiplie les contacts avec des biologistes, des informaticiens, des ingénieurs et des entreprises en biotechnologies. À Paris, elle s’est associée à Galactic Labs, une nouvelle initiative de La Paillasse qui veut rapprocher hackers et industrie spatiale. Après un meet-up le 10 janvier, elle a rejoint le Hackuarium, biohackerspace de Lausanne, avec l’intention de connecter également l’École Polytechnique Fédérale de Lausanne (EPFL) et le Swiss Space Center, la compagnie Swiss Space Systems et d’autres institutions helvétiques. Nous lui avons posé quelques questions après son passage à La Paillasse.

Li Yu veut envoyer des graines dans l’espace contenant des données personnelles. © DR

Comment travailles-tu avec La Paillasse ? Galactic Labs ? Hackuarium ? Ou d’autres labs ?

Ma philosophie est de travailler avec les meilleures ressources. Je vois la différence entre chacun des trois pays où j’ai étudié et je recherche le meilleur dans chacun. Chez les Français, je trouve une philosophie et de nombreuses idées créatives et renversantes, j’y trouve un caractère très aventureux et aussi très fou, ce qui les emmène vers des choses extraordinaires, mais ils sont moins focalisés sur les aspects fonctionnels. Les Suisses sont très sérieux en recherche et en ingénierie, particulièrement dans ces deux fantastiques écoles d’ingénieurs que sont l’EPFL et l’ETH, où j’ai pu trouver de brillants ingénieurs et de très généreux scientifiques avec qui travailler. Les Chinois ont des ressources immenses et sont extrêmement pratiques, pragmatiques, focalisés sur les objectifs, mais moins concentrés sur la manière expérimentale de faire les choses, ils manquent de pensée créative. La partie pratique est très proche du travail avec les Suisses. Idéalement je veux travailler en Europe pour les idées et la recherche, pour ensuite réaliser mes prototypes à Shenzhen. Mais pour le moment, je trouve plus de personnes disponibles à Lausanne dans le domaine de l’ingénierie aéronautique alors je vais travailler avec eux pour accélérer mon projet.

Ton projet s’inspire-t-il de l’idéologie transhumaniste ?

Je suis curieuse de transhumanisme. Les gens peuvent croire que je suis là-dedans en voyant mes nombreux posts sur Facebook ou les autres réseaux sociaux. Mais pour le moment, je n’ai pas d’opinion affirmée et concrète là-dessus, j’observe, je ne dispose pas d’assez de connaissances pour exprimer un point de vue réfléchi.

Instinctivement, je pense que la nature est supérieure à n’importe quelle chose artificielle créée par l’homme. Si vous laissez la nature se réguler par elle-même, elle est plus maligne que les humains. Je suis d’accord avec Joi Ito, le directeur du MIT Media Lab, qui a dit : « Dans 100 ans le rôle de la science et de la technologie sera de faire partie de la nature plutôt que d’essayer de la contrôler. » Et depuis que de plus en plus d’opinions nous alertent sur l’intelligence artificielle et le transhumanisme, je commence à me demander si cela sera bon pour l’humanité. Il est vrai que mon projet Space Seed semble comporter de nombreux aspects transhumanistes, comme l’idée d’aller vers l’éternité. Mais la différence est qu’il ne propose pas une solution concrète pour étendre notre vie présente, mais juste un complément, une addition à notre vie numérique, et aussi qu’il considère comment la conserver, la protéger, dans l’objectif de proposer une continuation dans l’avenir, par des moyens philosophiques. C’est également un autre moyen de débattre l’extension de la vie humaine dans sa propre matérialité, sa propre composition. Ce n’est pas une solution mais un horizon. Or le transhumanisme est dirigé avant tout vers un objectif fonctionnel.

Est-ce que ton projet est influencé par la panspermie, cette théorie qui postule que la vie est venue sur Terre depuis l’espace ? Ou même par la panspermie inversée, le retour de formes basiques de vie vers l’espace ?

Oui, c’est un de mes centres d’intérêts majeurs. Mais je ne le prends pas comme une croyance absolue. J’expérimente seulement l’idée. Je tire des influences de cette théorie, mais pour le moment je reste ouverte aux autres, dans l’idée de savoir exactement d’où viennent la vie et l’homme ! Space Seed pourrait être une forme d’ingénierie inversée de la théorie de la panspermie, mais pour l’étendre et nous provoquer à penser différemment. Il s’agit également d’un projet spéculatif de théorie scientifique, pas seulement d’un projet de design.

Comment approches-tu les protocoles de la Protection Planétaire en recherche spatiale ?

La Protection Planétaire cherche à respecter la planète et à la préserver de la contamination par d’autres espèces, d’autres bactéries. Il est très important pour la recherche scientifique d’étudier la question de savoir d’où vient la vie, comment la planète s’est formée, comme le système solaire s’est formé, comment fonctionne l’Univers… Il est très important de comprendre ces questions du point de vue de la recherche. Il s’agit du respect humain envers la planète et son environnement originel. Je pense toujours qu’il est important d’avoir conscience de nos actes, au lieu de jouer aveuglément à Dieu avant même de savoir en contrôler les conséquences.

Illustration du projet «Space Seed», la graine spatiale qui contient des données personnelles, de l’atterrissage de la capsule à la germination :

 Le site du projet Space Seed