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Maurin Donneaud invente la « peau de robot »

Maurin Donneaud, designer d'interactions. © Quentin Chevrier

Rencontre avec Maurin Donneaud, un couturier de textiles connectés qui se décarcasse depuis 2005 pour rendre tactile le textile et inventer des interactions gestuelles avec le tissu. Le nouveau hackerspace parisien du textile, Data Paulette, héberge ses mille-feuille de tissus interrupteurs.

Maurin et ses acolytes du hackerspace Data Paulette ont de quoi être contents. Ils viennent de finir de s’installer dans une salle du premier étage de la Caserne de Reuilly , un squat officiel géré par le collectif les Jardins d’Alice abritant également le hackerspace la Black-Loop (réunion de la Blackboxe et du Loop), à Paris 12ème. « Data Paulette sera consacré au textile à 100%, au textile électronique à 90% car nous avons aussi des membres qui font de la couture classique, explique Maurin. En ce moment, nous travaillons sur un gros projet très technique pour une pub : on conçoit des t-shirts qui changent de couleur. Mais pas avec la technique classique de la thermochromie, on a développé autre chose… » Le ton est donné.

Le Data Paulette tient dans une vingtaine de mètres carrés.

250 centimètres carrés de tissu noir très prometteur

En dehors ce de projet collectif, Maurin Donneaud se concentre sur un carré noir de 50 centimètres de côté, un mille-feuille de tissus relié à une carte programmable Teensy (une sorte de mini concentré d’Arduino), elle-même reliée à Pure Data sur un ordinateur. Visuellement, Keyboard, son prototype de matrice d’interrupteurs textiles, n’a rien de renversant : il y a une tâche dessus, des fils rebelles dépassent d’une couture… puis Maurin le branche…

Le prototype Keyboard, en vue éclatée.

Ce mille-feuille de tissus conducteurs, de tissus piézorésistifs et de tissus classiques crée une surface souple, froissable, lavable et tactile. Segmenté en 256 touches (une matrice 16 x 16), le tissu sent la force qui lui est appliquée, si on le frotte, si on le caresse, si on l’écrase. Ce n’est ni une installation ni un gadget ni un outil : « c’est un nouveau matériau », affirme Maurin.

Le tissu tactile en matrice Keyboard.

«La plus grande liberté pour un designer n’est pas de créer de nouvelles utilisations d’un matériau connu mais d’inventer un nouveau matériau, et de se pencher ensuite sur ses applications.» Maurin Donneaud

A quoi ça sert ?

Les idées d’applications foisonnent. « Le textile est partout. Dans les vêtements bien sûr, mais aussi dans les lits, les fauteuils, les voitures, les avions, les bus, dans les hôpitaux, sur les jouets… » Maurin rêve d’une « guitare de jeu vidéo en tissu, accessible à tous les âges, plus légère qu’une version plastique. On pourrait rendre toute sa surface tactile et jouer avec des effets terribles. Et le textile permettrait de lui donner un look super ! »

Le domaine des lits d’hôpital est lui aussi prometteur. « Les personnels hospitaliers du monde entier sont confrontés au problème des escarres. Avec ce tissu, il est possible de surveiller dans le temps la position et l’immobilité des malades pour prévenir ce problème. Disposé sur un matelas, le tissu est aussi assez sensible pour détecter le pouls d’un bébé endormi. » On imagine assez aisément l’application pour prévenir la mort subite du nourrisson.

Moquettes et tapis connectés, claviers géants pour permettre aux personnes ayant une capacité motrice limitée des membres supérieurs d’écrire… Les idées ne manquent pas pour aller au-delà du prototype. « Si on s’habille de ce tissu, on est capable de détecter le moindre mouvement à travers la pression du tissu sur la peau et les plis créés par les articulations. »

Rendu visuel sur Pure Data au toucher du tissu.

La peau des robots

Les premiers intéressés pourraient en fait être… les robots ! Pour Maurin, ce tissu sensible est une véritable « peau de robot ». « Notre peau nous sert à attraper, à toucher. Ça, les robots savent le faire. En revanche, notre peau nous sert aussi à savoir quand on est touché, et comment. Les robots ne savent – presque – jamais quand ils sont touchés, et encore moins de quelle manière. » Avec ce tissu, un robot ou pourquoi pas une prothèse pourraient savoir s’il est attrapé énergiquement, caressé, légèrement poussé, ou si on lui dessine une croix dessus… De quoi combler un des défauts majeurs de l’interaction homme-machine.

Maurin Donneaud a développé Keyboard (produit par une entreprise stéphanoise de fabrication textile) comme un instrument de musique, ce qui lui permet un usage à la fois plaisant et très pratique pour les tests et améliorations.

Le prototype Keyboard testé au festival Schmiede 2014, en Autriche:

Le site web de Maurin Donneaud

Le twitter du hackerspace textile Data Paulette (site web en construction)

Maurin Donneaud exposera son travail lors du Pop Up Lab @ LeWeb, dont Makery assure la curation et l’animation, le 9 décembre à Eurosites Les Docks, 50 avenue du Président Wilson, 93200 Aubervilliers

Maurin débugue, à côté de sa machine à tricoter bardée d’autocollants à la gloire de l’open source et de la neutralité du Net. Sur un cintre contre le mur du fond, un tutu.

Texte et photos Quentin Chevrier