Makery

10 fablabbers à FAB10 Barcelone

Portraits de fabmanagers à la fabconférence FAB10 en juillet, à Barcelone.

Après un week-end plutôt festif, FAB10 a repris hier lundi son cours studieux avec le Symposium et ses théoriciens, politiques, économistes… Pour une fois que les makers n’ont pas à «faire» mais à écouter, nous leur avons tiré le portrait.

Barcelone, de notre envoyé spécial (texte et photos) 

Au septième jour de FAB10, la conférence internationale des fablabs du MIT, les présentations des nouveaux sont terminées, les premiers Global Fab Awards sont attribués (notamment à l’incroyable imprimante 3D Wafate, faite de pièces récupérées d’ordinateurs, du WɔɛLab Lomé, Togo). Neil Gershenfeld, le MC de FAB10, a annoncé à l’ouverture du Symposium, lundi 7 juillet, quelques nouveautés, avec deux plateformes d’échanges autour de l’économie et des ressources, fabeconomy.com et fabshare.org, et la transformation (symboliquement importante) de la Fabacademy en « Academy of (almost) Anything ». La première journée du symposium a été l’occasion d’écouter les points de vue d’experts et théoriciens (Bruce Sterling a brillamment démonté les « smart cities », Jeremy Rifkin a causé économie solidaire…). Et pour Makery, d’observer de plus près ce panel de ceux qu’on appelle les « fablabbers ». Ils (ce sont en majorité des hommes) sont venus du monde entier à Barcelone, la belle occasion de faire un portrait de groupe international !

 

« Un nom de fablab doit être détendu, accueillant »

Roland, heureux fondateur du Happylab.

Roland Stelzer a fondé le Happylab de Vienne (Autriche) il y a plus de deux ans. Ce joyeux nom vient du professeur qui a inspiré l’idée de lab à Roland. Au décès de ce mentor, Roland lui rendit hommage en reprenant son surnom Happy pour prénommer le lab. « Je voulais que le fablab n’ait pas un nom nébuleux, ni trop technique. Si on veut qu’un fablab soit accessible à tout le monde, cela commence par porter un nom sympa et chaleureux. Comme Happylab. » Aujourd’hui, plus de 1300 personnes en sont membres.

 

« Je veux que les enfants créent leurs propres jobs »

Neville est venu avec son fils, grand fan d’imprimante 3D.

Neville Govender est ingénieur et superviseur des fablabs ouverts par le gouvernement d’Afrique du Sud dans la région de Ekurhuleni. Deux ont déjà été ouverts avec l’aide de la Fabfoundation. Bientôt plus, si Neville réussit à tenir le rythme d’un par an qu’il s’est fixé. Tous ces fablabs sont entièrement gratuits. « L’école finit vers 13 heures chez nous, plus de quarante enfants viennent ensuite chaque jour dans les fablabs et suivent des ateliers sur l’informatique, le code, les outils de fabrication numérique… Nous voulons qu’ils connaissent les technologies, pas uniquement leurs usages mais aussi leurs potentiels, pour qu’à long terme – d’ici 10 ans environ – ils créent leurs propres emplois. »

 

« Un fablab doit être indépendant, surtout financièrement »

Kim est à FAB10 pour apprendre à valoriser son fablab.

Manager du fablab de Séoul en Corée du Sud, Kim Dong-Hyun n’est pas dans la plus fragile des situations. Le gouvernement et plusieurs grandes entreprises soutiennent sa structure impulsée dans un incubateur de start-ups. Et pourtant, Kim ne se dit pas certain à long terme des financements de ses partenaires. Les exemples découverts à FAB10 de labs abandonnés par leur gouvernement en période de crise ne sont pas pour le rassurer. « Je veux savoir comment gagner de l’argent avec un fablab. C’est pour ça que je suis là. Je me sens un peu moins perdu face à ce défi avec les quelques réponses trouvées ici. J’aime bien l’idée d’organiser des workshops ou des makercamps. »

 

« Nous voulons inventer les machines du futur »

De droite à gauche, Ana et Daniela, professeurs d’architecture et fablabbers convaincues, et Anupama.

Daniela Frogheri et Ana Karyna, toutes deux professeurs d’architecture au Mexique, sont ici pour se plonger dans le grand bain des fablabs. « Notre fablab est tout récent. Nous l’avons monté cette année, alors nous voulions faire un apprentissage accéléré de ce monde nouveau pour nous. » Pour l’instant, leur jeune fablab créé au sein de l’université de Monterrey (Mexique) ne s’adresse qu’aux étudiants de filières de création (architecture,design, mode, graphisme…). « Mais nous envisageons de l’ouvrir à tous les élèves, quel que soit leur cursus ou leur année d’université. » Daniela et Ana rebondissent avec fierté sur leur grand projet du moment. « Nous sommes aussi à FAB10 pour notre projet Machinas Libres. » Transdisciplinaire, l’initiative réunit des étudiants de plusieurs cursus, de plusieurs universités, de plusieurs labs, pour inventer les machines de fabrication du futur. Elles cherchent de nouveaux participants. Avis aux amateurs (avertis).

« Bangalore a besoin de créativité »

Anupama Prakash s’est lancé un défi simple, mais immense : « Bangalore est l’une des villes les plus technophiles au monde, avec une très forte concentration de talents techniques, surtout dans le domaine informatique, mais nous ne savons pas inventer. » Elle voit dans les makerspaces et fablabs une forme de créativité technique qui pourrait trouver un écho dans sa ville. « Et pour renforcer ce côté créatif, je veux mettre des artistes et des techniciens ensemble. C’est de leur rencontre que naîtront les meilleurs idées. » Anupama a au moins une certitude, à ce stade de la Fabconference, elle souhaite monter un makerspace, pas un fablab. « Les fablabs sont trop orientés machine pour moi, le makerspace me semble plus ouvert, plus démocratique.»

 

« Les élèves restent après les cours pour apprendre au fablab »

Chris est à FAB10 pour préparer l’ouverture de son fablab d’école au grand public.

La fabrication numérique n’était pas dans le plan de carrière de Chris Wiemer, professeur d’une high school publique (13 à 18 ans) de Stoughton, Wisconsin. « C’est avec un ingénieur à la retraite d’une des start-up technologiques de ma ville que tout a commencé ». Convaincu lors d’une visite improvisée d’un fablab de l’utilité d’un tel lieu, ce dernier a passé un an à convaincre l’école et à regrouper les 150 000 dollars de dons nécessaires auprès de son ancien employeur et de quelques partenaires privés. Il y a deux ans, le fablab commence à prendre de l’allure mais reste fermé. L’encadrement des élèves n’est pas encore prêt. Chris, ainsi qu’un professeur de mathématiques et un professeur de physique sont inscrits à la Fabacademy (le programme de formation en ligne à la fabrication numérique). « On savait s’occuper des enfants, mais pas des machines, et encore moins des enfants au milieu des machines. »

Après un an de formation, le fablab ouvre enfin. En un an, plusieurs centaines d’élèves ont été formés. L’année prochaine ce sera au tour de tous les habitants du quartier. Pour le premier module, les enfants découvrent les machines et réalisent un projet encadré. Pour le second, la seule consigne est Make Something. « Ils sont un peu perdus face à cette seule règle ouverte, mais au final, ils adorent. » Chris n’en revient toujours pas, « les élèves veulent rester après les cours pour faire leur projet et apprendre. Une de mes élèves de dernière année m’a proposé de former les plus jeunes si elle pouvait en échange rester plus tard pour construire son violon DiY en acrylique rose. Maintenant, elle soudoie même le gardien avec des pizzas pour rester plus tard que les autres. Et l’année prochaine, elle commence des études d’ingénieur ! »

 

« Entre eux, nos fablabbers startupers troquent compétence et travail »

Woelab + Afate = Wafate, l’imprimante 3D faite de déchets informatiques.

Dodji Koffi Honou gère le fablab de Lomé (Togo). Afate Gnikou y transforme des déchets informatiques en imprimantes 3D précises et fonctionnelles. Bienvenue au Woelab, la star de FAB10 dont le projet d’Afate s’est vu récompensé du plus prestigieux des Fab Awards, les prix récompensant les meilleurs projets issus de fablabs (c’était leur toute première édition à Barcelone). Le Woelab fêtera ses 2 ans en août,  « et on compte bien organiser une sacrée fête ! » Le premier fablab du Togo, en plus d’être ouvert à ses membres, incube des start-up. « Nous ne faisons pas d’appel à projets ni de jury. Si un projet venu au lab comme simple participant démontre une bonne insertion dans la communauté et un potentiel économique, il peut passer au stade de start-up incubée. » Les entrepreneurs sont alors soutenus non pas financièrement, mais humainement et techniquement. « Nous fonctionnons en troc de temps et de compétence : chaque entrepreneur peut aider un autre projet de start-up nécessitant ses compétences, à condition d’être ensuite à son tour soutenu. » Au final, la plupart des start-up du Woelab sont des projets collaboratifs. Et si l’une connaît un succès économique, une partie de la valeur créée revient au Woelab. « Nous investissons également dans l’éducation en organisant des ateliers sur l’impression 3D dans des collèges et lycée. Notre but n’est pas de faire de simples démonstrations de la machine mais de faire découvrir aux élèves son fonctionnement, ses composants, ses bugs, ainsi que le design 3D et la création d’un fichier imprimable de qualité. » Un .stl optimisé pour les imprimantes 3D.

« Une start-up qui veut rendre sa ville meilleure »

Katie du fablab de San Diego, fière du Fab Award remporté par l’un de ses résidents.

Katie Rast, directrice du fablab de San Diego, souffle après la cérémonie des Fab Awards. « Un de nos projets, une prothèse de jambe conçue par Andre Palermo Szucs, a gagné un prix, c’est génial ! » Fondé en 2007, le Fablab SD est historiquement le 25ème. « On était là quand le mouvement maker débutait à peine, quand on s’extasiait alors que les imprimantes 3D faisaient seulement de grosses tâches de plastique fluo… » Aujourd’hui, les trois missions du Fablab SD, éducation, innovation et communauté,  « contribuent à rendre notre ville un peu meilleure ». Il suffit, estime-t-elle, de considérer le lab « comme une start-up, et non comme une association caritative ». Ce qui n’empêche en rien un fort engagement communautaire : en collaboration avec l’équivalent américain de Pôle emploi, « nous formons des chômeurs à des machines, des logiciels, des techniques… qui les aident à trouver un job. Nous formons également des personnes en difficulté sociale, sorties de prison… Et ça marche très bien. Elles adorent le cadre du fablab, très différent d’un bureau de conseiller d’orientation. » Le Fablab SD accueille et aide aussi des start-up. « Nous sommes encore au stade expérimental, avec trois projets pour notre première saison. L’un d’eux, Pocket Drone, a déjà levé près d’un million de dollars sur Kickstarter. »

Côté financement, Katie pense avoir à peu près tout essayé. Au tout début du mouvement maker, elle a lancé des services de location de temps machine et d’aide à la fabrication. « Une belle erreur ! Mais maintenant que le mouvement est lancé, ces services fonctionnent bien. » Katie a aussi appris à ne pas miser uniquement sur les subventions et les dons pour garantir la pérennité du lab. Varier les sources de revenu est impératif. Le lab propose des ateliers, du consulting sur des prototypes pour les entreprises, de la location machines et des adhésions payantes. «  Avec tout ça, on est bien plus serein pour l’avenir du Fablab SD. We are going to kick so much ass ! »