Oscillations depuis le « supercamp » HomeMade en Suisse

HomeMade est une rencontre annuelle d’une semaine consacrée à la recherche en mécatronique, organisée dans différents endroits reculés de Suisse. Ce camp est conçu pour encourager les pratiques DIY (Do-It-Yourself) et DIWO (Do-It-With-Others) dans un environnement hors réseau. Cette année, 20e anniversaire de l’évènement, le camp a réuni 109 participants et une multitude de projets du 1er au 10 août dans une pension suisse située sur les rives du lac de Constance. Chrysa Chouliara, chroniqueuse en résidence pour le programme Rewilding Cultures de Makery en 2025, partage ses impressions sur cette « super édition » unique du summercamp suisse.
Chrysa Chouliara« Les artistes hackers agissent comme des hackers culturels qui manipulent les structures techno-sémiotiques existantes à des fins différentes, afin de s’introduire dans les systèmes culturels sur Internet et de leur faire faire des choses pour lesquelles ils n’ont jamais été conçus. »
Jenny Marketou, artiste grecque multidisciplinaire, conférencière et autrice, lors d’un entretien avec Cornelia Solfrank en 2000.
La première fois que j’ai participé à un camp de vacances en été, j’avais environ neuf ans. Après une semaine d’inadaptation parmi mes camarades, ma période de vie sans surveillance loin de chez moi s’est terminée sur la banquette arrière de la voiture de mes parents, les jambes couvertes de pansements et chaussée de deux chaussures différentes.
Depuis lors, le seul camp où je suis régulièrement retournée est HomeMade en Suisse. Organisé par SGMK (Swiss Mechatronic Art Society), Il se déroule chaque année dans un lieu différent, allant d’anciennes chocolateries abandonnées à des châteaux isolés, offrant une atmosphère unique, DIY-or-die, hors des sentiers battus, faite d’une constellation de personnes venues du monde entier.

20 ans de camps HomeMade
Cette année, HomeMade a duré dix jours au lieu d’une semaine habituellement, à l’occasion de son 20e anniversaire. La plupart des associations organisent des summercamps afin que leurs membres puissent mieux se connaître et se plonger dans leurs sujets préférés. Dans le cas de SGMK, c’était l’inverse : l’association a été créée après la troisième édition du camp HomeMade.
Le camp agit à la fois comme le ciment qui soude le collectif des participants et comme l’étincelle qui déclenche de nouveaux projets. Sans surprise, cette communauté très soudée et ses invités internationaux partagent un état d’esprit similaire. Ils évoluent entre musique électronique, art, science et technologie, avec un accent particulier sur le « hacking » au sens large du terme. Les membres de SGMK s’associent souvent pour repousser de manière créative les limites des systèmes, des appareils, des programmes ou des objets, que ce soit en construisant des synthétiseurs DIY, en transformant des webcams en microscopes USB ou même en essayant de réinitialiser les moniteurs des tests de grossesse.

Nous arrivons tous au Wartburg, un hébergement collectif à Mannenbach, en sueur et haletant après avoir gravi la colline. Le bâtiment surplombe le lac, et sa vue panoramique est le décor du brouhaha des visages familiers qui se rencontrent et se saluent. Du coin de l’œil, j’aperçois Paul Tas, alias Error Instruments. Paul n’a pas vraiment eu un départ facile dans la vie. L’école était pour lui une lutte, la dyslexie transformait les apprentissages en batailles, et à un moment donné, il a hérité du surnom « Error » (erreur), tiré des messages « syntax error » (erreur de syntaxe) qui clignotaient sur les premiers ordinateurs. Mais au lieu d’éviter les erreurs, il s’est penché sur elles, a transformé les pépins, les faux pas et les mauvais virages, et assemblé le tout à l’aide de microcontrôleurs modernes. Le résultat : de petites séries d’instruments bizarres, sauvages et élégants.


Avec 109 participants cette année, la logistique était difficile, mais l’auto-organisation a une fois de plus fait ses preuves. Fidèle au nom du camp, tout a été préparé et maintenu par les participants, y compris la cuisine et le ménage. Nous avons pu déguster les spécialités de chefs qui nous ont servi des dîners algériens, indiens, slovènes ou japonais.

Hacklab dans la maison forestière
Sous le bâtiment principal, presque caché par des arbres imposants, un escalier qui semble interminable mène au Waldhaus, la « maison de la forêt », où tous les musiciens et de nombreux hackers s’affairent à installer leur repaire.


Je suis très contente de revoir Quentin Aurat — un artiste multidisciplinaire français avec son instrument à ressort DIY, Poutr, dont j’avais adoré la performance à ArtLabo Retreat. Son travail oscille entre l’art et la technologie, disséquant les protocoles de transmission, les dispositifs médiatiques humains et l’étrange poésie de leurs artefacts. Musicien autodidacte, Aurat s’appuie sur l’improvisation dans sa pratique, comme en témoigne sa performance à HomeMade.

Tard dans la nuit, à mi-chemin, une installation lumineuse et fumigène de Charon Obulus transperce les ombres obscures. Je pénètre dans une tente translucide qui enveloppe une piscine gonflable autoportée. Aussi fascinant que cela puisse être, c’est une nuit chaude, parfaite pour une baignade nocturne. Je jette un coup d’œil à droite, puis à gauche, et après m’être assurée qu’il n’y a personne, je saute dans la piscine. Je ne suis ni la première ni la dernière à adopter une approche opportuniste de cette œuvre d’art.

Le lendemain matin, le Waldhaus s’était transformé en paradis du DIY, chaque centimètre carré recouvert d’appareils électroniques, où la soudure ne s’arrêtait jamais. Une pièce plus calme à l’arrière avait été aménagée en studio de radio pour les interviews.

Ecoutez la session de Paula Pin & Alfonso Millán Omil (online et retransmis en FM à Mulhouse) :
En 2007, Claude a construit sa première Atari Punk Console à SGMK. C’est là qu’il a été contaminé par le virus du DIY électronique. Depuis, il construit ses propres synthétiseurs aux oscillations inhabituelles et s’intéresse de plus en plus au circuit bending. C’est ainsi qu’il a développé son projet actuel, FlipFloater.
Ecoutez la session de Flip Floater pour p-node radio (online et retransmis en FM à Mulhouse) :
De la même manière, le musicien suisse Oliver Jäggi, alias Omega Attraktor, fabrique ses propres instruments, particulièrement dédiés à l’improvisation.

Une fois par jour (ou plus !), et avec une certaine réticence, les hackers du Waldhaus gravissaient l’escalier gigantesque qui menait à la maison principale pour le dîner. L’effort était encore plus grand après avoir profité des jam sessions nocturnes.

Parlez-vous Braille?
Hugues Aubin, invité par le projet Archipelago Synergies, défenseur des fablabs et de l’esprit maker, vêtu d’une tunique cousue main, a présenté ForgeCC, une plateforme permettant le partage de compétences via les fablabs et les outils open source de la base vers le sommet. L’idée est simple : proposer un workshop, le faire approuver, le réaliser, le documenter. Pas de bureaucratie, juste des manuels et des connaissances partagées. En un an, plus de 30 workshops ont vu le jour dans 11 pays.

L’un des projets présentés les plus intéressants a été la BrailleRAP. Le braille est une forme d’écriture destinée aux personnes aveugles, dans laquelle les caractères sont représentés par des motifs de points en relief que l’on peut sentir du bout des doigts.

L’accès aux appareils électroniques braille (afficheurs braille actualisables) et aux imprimantes braille peut être très coûteux, ce qui constitue un obstacle financier pour de nombreuses personnes aveugles et éducateurs qui doivent préparer de petits lots de textes pour leurs élèves. BrailleRAP est une imprimante braille open source que tout le monde peut construire, partager ou même vendre. Cette machine réduit les coûts et permet à tout le monde de convertir du texte en braille, puis de l’imprimer sur papier, ou même sur des feuilles métalliques, (par exemple en recyclant des canettes de soda en aluminium).
Presentation de la BrailleRAP, une embosseuse Braille DIY open source (2023) :
La beauté de la présentation d’Hugues Aubin résidait dans son alignement avec la création d’un nouveau conseil d’administration pour l’association Friends of Linux University, fondée par Michel Pauli et Chanceline Ngainku Pauli au Cameroun. Ce projet enseigne la programmation et la technologie solaire appliquée dans une école rurale, où les élèves apprennent à coder des pages web, à explorer la robotique et à construire des pompes à eau solaires, entre autres compétences. Friends of Linux accueille également une résidence d’artistes et de makers, qui a déjà reçu des visiteurs tels que Miranda Moss et Urs Gaudenz du Gaudi Lab (lire l’article de Miranda Moss publié en 2024 dans Makery).


Pour les enfants et les adultes
Chaque jour, tout le monde s’affaire à travailler sur ses projets ou participe à des workshops planifiés ou improvisés, ou encore à des entretiens radiophoniques. Je ne fais pas exception : je continue à travailler sur mon roman graphique Fluffy. Les discussions que j’ai avec tout le monde tard le soir m’aident dans mon processus créatif.

À midi, certains d’entre nous se rendent au lac. La plupart profitent d’une longue baignade relaxante, mais d’autres travaillent sur leurs projets « aéronautiques » en faisant voler leurs avions artisanaux sur les rives du lac de Constance. Une fois, l’un des avions a failli atterrir sur ma tête. Pendant un instant, l’idée paradoxale de mourir dans un accident d’avion pendant que je nageais m’a traversé l’esprit.

Il serait injuste d’oublier de mentionner que HomeMade est un événement adapté aux enfants, et que de nombreux parents ont fait preuve d’une grande imagination pour leur proposer des ateliers ludiques.

Beaucoup de musiciens, beaucoup d’esprits
Alors que la semaine touche à sa fin, le dernier événement se déroule : des concerts qui durent du début de l’après-midi jusqu’au lendemain matin. Monica Pocrnjić, notre chef cuisinière pour la soirée de clôture, surnomme le plat « thérapie traumatologique », car nous nous réunissons pour hacher sans pitié 22 kilos d’oignons. Les larmes coulent parmi les rires ; ce n’est pas un travail pour une seule personne, c’est pourquoi chaque équipe de cuisine comptait cinq membres, plus quelques volontaires spontanés.
Il n’y a pas de scène fixe pour les concerts ; nous déambulons dans la forêt et entre les deux maisons, guidés par le programme. Chaque musicien a construit son propre dispositif, transformant chaque coin en une nouvelle scène.




Certains disent que la semaine HomeMade est la plus courte de l’année, mais même les dix jours du Supercamp semblent bien trop courts pour beaucoup d’entre nous. Alors que nos valises s’empilent devant le Gasthaus Wartburg, nous ne pouvons nous empêcher de nous sentir un peu… HOMELESSMADE.
En fin de compte, il s’agit de fabriquer des circuits imprimés, pas de faire la guerre.


En savoir plus sur HomeMade et le Archipelago Tour.