Tabou-Transgression-Transcendance (TTT) : « Repenser le Loup » à Malte

TTT 2023 a lieu dans le Palazzo de La Salle à La Valette, Malte. © Malta Society of the Arts

Mettant en avant ses thèmes légendaires de Tabou-Transgression-Transcendance dans l’art et la science, la 5e conférence interdisciplinaire TTT se déroulera du 27 au 29 septembre à l’historique Malta Society of Arts de La Valette, en Grèce. La fondatrice et directrice de TTT Dalila Honorato s’est entretenue avec Makery avant l’ouverture de TTT 2023.

Cherise Fong

Makery : Vous réjouissez-vous d’organiser à nouveau la conférence TTT, très axée sur la performance, dans l’espace réel, et pour la première fois à Malte ?

Dalila Honorato : Malte est un lieu mythologique, il y a beaucoup de liens avec l’Odyssée et avec les chevaliers. Il y a une sorte de dimension symbolique. En même temps, la période post-coloniale est très récente, car Malte n’est un État indépendant que depuis les années 1960.

Mais c’est aussi un endroit où les mots Tabou-Transgression-Transcendance ont été réunis pour la première fois. J’étais à Malte en 2015 pour mon congé sabbatique, et c’est là que la conférence a été conçue. C’est donc presque un acte maternel. Je me sens comme le saumon qui remonte la rivière.

Lorsque la conférence a lieu, j’ai l’impression qu’il y a une différence dans la gravitation de la Terre, comme des constellations d’étoiles qui se rejoignent. C’est un groupe magnifique de personnes bizarres – très fières, très sensibles, très fortes – avec une énorme capacité à s’ouvrir et à révéler toutes ces choses. Nous essayons donc de ne pas avoir de caméras vidéo, nous essayons de préserver l’intimité pendant les discussions/performances, afin que les gens puissent faire ce qu’ils veulent.

Makery : Comment allez-vous occuper le bâtiment historique du Palazzo de La Salle au cœur de La Valette ?

Dalila Honorato : C’est un espace incroyable avec une histoire très intéressante ; on se perd dans les détails. Il a été donné à la Société maltaise des arts [la plus ancienne institution de Malte pour la promotion des arts et de l’artisanat, créée en 1852], et nous leur devons donc le respect et aussi la joie de partager l’opportunité d’utiliser leur lieu pour la TTT 2023.

La Sala dei Cavalieri du Palazzo de la Salle, qui date du 18e siècle, a été récemment restaurée. © Malta Society of the Arts

Le Palazzo a différents niveaux, comme cette partie que j’appelle les donjons. C’est dans le sous-sol [Basement Vaults, des caves à vin rénovées] que se tiendra notre exposition. Une exposition sur le bioart et d’autres sujets « futuristes » a vraiment fière allure lorsqu’elle se déroule sous terre. Il y a un lien avec la partie mystérieuse de tout ce qui peut exister. Une fois en sous-sol, on ne sait plus où l’on est, si c’est dans le passé ou dans le futur !

Makery : Qu’est-ce qui a inspiré le thème de l’exposition « RawCookedRotten » ?

Dalila Honorato : De nombreuses propositions pour l’exposition d’art étaient très liées à la nourriture. Il s’agissait aussi d’avoir quelques anthropologues de prédilection qui avaient de grands concepts qui pouvaient être assemblés de manière plus ou moins cohérente. « RawCookedRotten » sont également des mots qui sonnent très bien, comme le mot RAW – vous ne savez pas si ce n’est pas cuit ou presque comme le rugissement (ROAR) d’un lion !

Dalila Honorato, la directrice de la conférence TTT. © Dalila Honorato

Cette opposition, ce lien entre le fait d’être ensemble autour d’une table, de manger devant quelqu’un et d’oser accepter qu’il existe d’autres options en matière de nourriture, de réfléchir à la composition à la fin… et aussi de réfléchir à qui mange quoi ? C’est l’une des principales questions. Est-ce qu’on mange, est-ce qu’on est mangé, est-ce qu’on fait les deux en même temps ?

J’espère que l’exposition donnera aux gens l’occasion de réfléchir un peu plus à cela : sortir de la pandémie, réfléchir à notre propre microbiome, réfléchir à ce qui est en nous, qui contrôle qui… Nous pouvons en parler pendant longtemps. Mais je suis heureuse que nous ayons inclus Claude Lévi-Strauss dans la conversation.

Makery : Y aura-t-il également des performances autour de la nourriture ?

Dalila Honorato : Les deux derniers jours, nous avons des performances à l’heure du déjeuner qui remettent en question votre déjeuner, l’action de manger, soit en apportant de la nourriture épicée à la table qui se trouve devant vous (Chili Pepper Pleasure : Performative Tasting Meditation) ou en interrogeant ce qui se mange en rapport avec les fleurs et le dégoût (Performing devouring politics de Marko Marković). Il est donc peut-être déconseillé aux personnes les plus sensibles de s’y rendre.

 

 
 
 
 
 
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Nous essayons de remettre en question votre alimentation, et ce chevauchement n’est peut-être pas la meilleure chose pour la digestion. Nous proposerons un déjeuner et une pause-café à nos participants. Nous essayons de proposer quelque chose pour que les gens restent avec nous pendant ce temps limité et observent ce qui se fait, tout en ayant leur propre nourriture et peut-être une sorte d’activité dysfonctionnelle, parce que vous serez probablement en train de regarder quelque chose et de manger quelque chose d’autre.

La cour du Palazzo de la Salle, où se dérouleront les performances à l’heure du déjeuner. © Malta Society of the Arts

Makery : Comment la conférence TTT et les TTTlabs BioFeral.BeachCamps se complètent-ils ?

Dalila Honorato : On a commencé comme une conférence en 2016, les sujets étaient toujours à la limite de ce qu’est l’art et la science, et quelles sont toutes les transgressions que l’on peut faire dès que l’on parle d’auto-expérimentation, ce genre de choses. Ce n’est pas très éloigné de cette période des Feral Labs.

Nous avons eu à la fois les TTT labs et les TTT fellows avec des invités. Pour nous, il s’agit plutôt d’une méthode scientifique, avec différentes étapes qui aboutissent à des résultats, c’est-à-dire à une sorte d’observation et de conclusion. Les feral camps sont donc l’occasion de travailler plus en détail et servent d’études de cas pour tout ce que nous explorons pendant les conférences TTT.

Les sujets sont identiques, puisque cette série est très orientée vers la reproduction artificielle. Mais nous pourrions réfléchir à des sujets impliquant TTT tels que le recyclage, le post-humanisme, ce qu’est l’éco-mort, d’autres étapes de la vie en dehors de la reproduction. Ce sujet est très lié à ce sur quoi travaille Adam Zaretsky, car il est le directeur artistique après tout, et il a cette capacité de défier les gens et de les pousser vers ces espaces liminaux.

Adam Zaretsky et Kalan Sherrard (la créature) lors d’une performance sur la plage. © Elsa Ferreira

Ce que nous avons trouvé dans la conférence, et que nous avons également eu l’occasion de trouver dans les camps, c’est cette réunion entre les artistes visuels et les artistes performeurs. Nous avons eu un groupe de 12 personnes qui ont été mises à rude épreuve. En tant que jeu de rôle, quelles sont les possibilités ? Qui pouvez-vous être si vous avez une semaine pour repenser la vie ? Repenser à ce qui serait possible pour vous si vous étiez quelqu’un d’autre, si vous aviez la chance d’expérimenter la vie avec un groupe de personnes aussi extraordinaires que celles qui ont participé à ce camp ?

Makery : Comment le concept de « Tabou-Transgression-Transcendance » a-t-il évolué depuis que vous avez lancé la conférence TTT en 2016 ?

Dalila Honorato : Il y a toujours ce point d’interrogation sur ce que peut être la transcendance. Certaines personnes ne reconnaissent tout simplement pas la possibilité d’une transcendance, mais c’est autre chose. Je suppose que c’est leur propre tabou. Cela a été considéré comme un cycle de choses, comme si vous commenciez avec quelque chose de tabou qui pourrait être transgressé, et si c’est adopté par un plus grand nombre de personnes, cela pourrait apporter une sorte de transcendance de ce tabou, et ensuite vous allez à un autre cycle d’un nouveau tabou, d’un nouveau besoin de transgression, d’une nouvelle transcendance, d’un nouveau tabou.

S’agit-il d’un sujet dont nous parlons encore ? Oui. Il semble que nous ayons besoin de tabous pour assurer une certaine stabilité dans la vie. On nous dit qu’il y a des choses à ne pas faire. Bien sûr, dans un laps de temps donné, cela peut avoir du sens, mais lorsque nous repensons à toutes nos alternatives, nous sommes tous des Petits Chaperons Rouges – nous sommes peut-être simplement en train de repenser le Loup. Quel est le chemin dans ce bois, et devons-nous nous écarter du chemin, de ce chemin unique ? Bien sûr, oui. Sinon, on ne fait rien de nouveau.

La Société maltaise des arts siège au Palazzo de la Salle depuis 1923. © Malta Society of the Arts

Makery : Quels sont les tabous actuels ?

Dalila Honorato : Quand nous avons commencé en 2016, nous étions plus dans des sujets de monstruosité d’une manière très romantique et gothique, des sujets autour de la machine, ajouter des parties à votre propre corps, remettre en question le concept du corps comme quelque chose qui peut être plus fort, réfléchir également sur le code génétique. Bien que nous ayons fait des allusions dans le passé à ce qui est propre, ce qui est sale, nous sommes passés par ce trou appelé Pandémie et nous avons dû repenser à ce qu’est cette vie à l’intérieur de nous-mêmes. Elle existait déjà : le microbiome, qu’est-ce que le parasite… ?

À chaque fois, nous essayons de nous concentrer sur des sujets qui sont probablement un peu plus liés à ce que nous voyons cette année-là, ou qui peuvent devenir plus intéressants pour la réflexion. Je ne pense pas que nous soyons très éloignés de ce qui existait en 2016, mais je pense que nous sommes plus conscients du monde microscopique, de la fragilité de notre société, de la rapidité avec laquelle l’idéologie peut changer, et aussi du fait que nous oublions tous les changements qui peuvent se produire. S’il y a un grand tabou à l’heure actuelle, c’est probablement celui de la mémoire.

Lire l’article de Makery sur le TTTlabs BioFeral.BeachCamp 2023 à Corfou, en Grèce

Lire la série de cinq textes spéculatifs d’Adam Zaretsky sur les questions éthiques et philosophiques concernant la recherche biologique contemporaine, écrits pour Makery en 2021

Au festival Scopitone, voyage dans l’imaginaire numérique

Sur le thème de l’aller/retour, Scopitone nous embarquait du 13 au 17 septembre dans une exposition où l’art numérique s’imbrique dans des supports plus traditionnels pour nous faire penser l’exploration, les mobilités et la façon dont on conserve nos souvenirs.

Elsa Ferreira

Pour cette déambulation numérique, Stereolux a invité Mathieu Vabre, commissaire d’exposition et directeur artistique de la Biennale CHRONIQUES Aix-Marseille, pour concevoir cette édition. Sur le thème de l’aller-retour, le parcours se déroule en trois chapitres. 

Chapitre 1 : artistes explorateurs

Puisque nous partons en voyage, bienvenue au bout du monde. Sébastien Robert, artiste et chercheur interdisciplinaire français, nous emmène avec The Lights Which Can Be Heard au nord de la Norvège sur l’île d’Andøya pour écouter le son des aurores boréales. L’artiste explique que le sujet est encore débattu par la communauté scientifique occidentale – ces phénomènes lumineux produisent-ils vraiment des sons ? -; pourtant, les populations autochtones du Canada, de Norvège et de Russie témoignent toutes de ces sons, à des moments et des endroits différents, mais avec des descriptions similaires. Sébastien Robert a compilé ces récits pour les inclure dans ce corpus d’œuvres, façon de donner la voix à ces communautés de l’Arctique.

Plusieurs hypothèses sont avancées pour expliquer ce phénomène sonore des aurores boréales. Sébastien Robert en retient une : les ondes des aurores boréales émettent de très basses fréquences (en anglais very low frequency, VLF), que l’humain peut percevoir. Sur l’île norvégienne, il place des antennes et enregistre ces signaux radio. Il se rend alors compte que non seulement il les perçoit, mais que celles-ci sont polluées de toutes parts – du côté bas par les signaux électriques de l’île, du côté haut par les signaux radio militaires, très présents en Arctique. Dans son installation, il transmet ces signaux et les transforme via un quartz. « Ce minéral est très utilisé dans nos technologies actuelles pour transformer un signal en un autre », explique-t-il. Pour montrer qu’il « est facile de passer d’une énergie à une autre », il projette donc le signal radio sous forme lumineuse, avant de la transformer en signal sonore grâce au quartz.

Sébastien ROBERT, The Lights Which Can Be Heard, recherche sur le terrain © Sébastien Robert

Grand Nord toujours avec Paul Duncombe et son projet Manicouagan. L’artiste numérique et une équipe multidisciplinaire – exploratrice, géomaticien, écrivain, poète, documentariste – se sont rendus pour une expédition scientifique et artistique dans ce cratère d’une centaine de kilomètres, créé il y a 214 millions d’années par une météorite de 5 kilomètres. Pour ne pas contaminer cette réserve mondiale de la biosphère, territoire ancestral du peuple innu et l’un des plus gros réservoirs du monde, le groupe doit suivre un protocole quasi militaire, explique l’artiste. « On suivait le mantra de leave no trace, retrace-t-il. Pour donner un exemple, l’eau qui sert à se laver, doit aussi servir à faire la vaisselle, à se brosser les dents, puis il faut la boire. » De cette expédition unique, il tire un corpus d’œuvres qui présente cet espace sanctuarisé du point de vue des machines : le cratère apparaît sous forme de pixels tels que perçus par un lidar, tandis qu’un projet sonore propose de lire les reliefs sous-marins du cratère comme une partition.

Paul DUNCOMBE, Manicouagan, 2023, installation art et science © Paul Duncombe, Adagp Paris 2023 – Photo: planet for the planet – skysat and rapideye

Plus loin, Magalie Mobetie nous emmène dans une exploration plus intime et personnelle avec Anba tè, adan kò. Grâce à une installation en réalité augmentée, le public part en Guadeloupe, à la rencontre de la famille de l’artiste, à la recherche des souvenirs ancestraux enfouis autour de la traite négrière. A travers l’écran, des silhouettes fantomatiques apparaissent pour briser un silence générationnel.

Magalie MOBETIE, Anba tè, adan kò, 2021, installation interactive et réalité augmentée. Production Le Fresnoy – Studio national des arts contemporains © Magalie Mobetie

Chapitre 2 : Voyages et mobilités

Pour amorcer le volet du voyage et des mobilités, l’autrice et réalisatrice Anne de Giafferri et l’artiste et enseignant-chercheur Christian Delecluse présentent Cargo, une œuvre immersive à la rencontre de 14 voyageur·euses. « Nous voulions déconstruire la figure du migrant, très chargée et très connotée, dans le positif comme dans le négatif », présentent les artistes. Réalisée en collaboration avec des chercheurs en sciences humaines et sociales, l’œuvre propose une série de portraits sonores pour remettre en cause les imaginaires liés à la migration. Dans leurs langues d’origine traduites ensuite en français, Negafas (habilleuses traditionnelles lors des mariages) marocaines, patients venus du maghreb ou de l’Afrique de l’ouest pour se faire soigner en Tunisie ou encore étudiants racontent leurs migrations méditerranéennes.

Plus loin, l’artiste plasticienne et cinéaste belgo-micronésienne Stéphanie Roland nous envoie avec Science-Fiction Postcards des cartes-postales du futur, venant d’île qui risquent d’être englouties par la montée des eaux. En face d’elle, Émilie Brout et Maxime Marion s’invitent sur les photos de vacances d’inconnus qui se photographient devant des bâtiments iconiques avec Ghosts of your Souvenir. Les artistes écument ensuite les réseaux sociaux à la recherche des clichés. Avec leurs selfies photobomb, le duo interroge avec humour le tourisme de masse où une certaine uniformisation s’installe. Le réalisateur et artiste hollandais Gabriel Lester imagine un cinéma ultra low tech en ombre chinoise grâce à un mécanisme de tapis roulant avec Conveyor-belt Series. De son côté, David Bowen propose avec tele-present water une sculpture cinétique qui reproduit le mouvement d’une vague entre Hawaï et Honolulu comme capté par une bouée de l’Agence américaine d’observation océanique et atmosphérique. Une téléprésence aquatique qui nous connecte en temps réel à l’autre bout du monde.

Émilie BROUT & Maxime MARION, Ghosts of Your Souvenir, 2014-2016, installation photographique © Émilie Brout & Maxime Marion – Courtesy 22,48 m², Paris

Chapitre 3 : Carnet de voyage et cabinets de curiosité

Comment retranscrire voyage et découvertes ? Pour le troisième volet de ce récit artistique et numérique sur l’aller-retour, le studio italien Fuse* revisite les dessins botaniques dans Artificial Botany, une œuvre méditative où la nature passe par le prisme de modèles antagonistes génératifs (GAN). Les Britanniques Alistair McClymont et John Fass interrogent quant à eux le regard de la machine en créant un cabinet de curiosité d’objet du 21ème siècle avec Of machines learning to see lemon. Dans une classification humaine des objets qui ressemblent du moins au plus à un citron, ils se mettent à la place de la machine essayant de prédire la probabilité qu’un objet soit un citron. Une façon de démystifier et décomplexifier le sujet de l’intelligence artificielle, explique le duo. Dans une œuvre connexe, ils ont développé un filtre en réalité augmenté afin de voir les prédictions de la machine.

Ultime cabinet de curiosité, l’artiste transmédia spécialiste des « fictions biologiques » Golnaz Behrouznia et l’artiste plasticienne et ancienne chercheuse en physique Dominique Peysson imaginent avec Phylogenèse inverse un muséum du futur qui nous projette dans le passé. Dans une installation poétique et ambitieuse, elles imaginent des créatures étranges et extravagantes, dont le processus d’évolution n’aurait pas sélectionné les attributs les plus fonctionnels ou les plus robustes. Au gré des déambulations entre les dispositifs, on découvre des « insectinoïdes », eucaryotes multicellulaires capables de s’augmenter par biomimétisme, des « flos exultant lusibus », qui se servent de l’humain comme pollinisateur ou encore le bizarre « germina lisima », capable de se réparer continuellement et mis en scène dans un formidable ersatz de fossile. Un voyage imaginaire curieux et poétique.  

Dominique PEYSSON, Insectinoïdes, insectes chamaniques augmentés, dispositif du parcours scénographique art et science Phylogenèse inverse, 2022 © Dominique Peysson

En savoir plus sur Scopitone 2023

Electronic Textile Camp : arts textiles et l’électronique DIY réunis dans un ancien moulin dans le Michigan

L’ETC s'installe à l'intérieur de The Mill à Vicksburg, Michigan, États-Unis.

Du 15 au 24 septembre 2023, l’Electronic Textile Camp se réinstalle dans la ville historique de Vicksburg, dans le Michigan, aux États-Unis. Lara Grant, artiste et co-organisatrice, s’est entretenue avec Makery au sujet des camps et projets eTextiles passés et présents.

Cherise Fong

C’est un moment spécial pour tou-te-s celles et ceux qui viennent à l’Electronic Textile Camp (ETC) organisé à la Prairie Ronde Artist Residency à Vicksburg, dans le Michigan. Les organisatrices et les participant-e-s apportent des outils et des matériaux de tout le pays pour des ateliers programmés, des échanges improvisés et des séances de brainstorming. C’est l’occasion pour chaque résident-e d’apprendre et d’enseigner, de fabriquer et de coder, de se rencontrer et de créer. Ici, on partage des repas en commun dans les maisons des résidents, on expose publiquement des travaux en cours, on expérimente avec divers textiles et bricole avec l’électronique dans le vaste espace ouvert de l’ancienne papeterie restaurée de Vicksburg.

Le vieux moulin de Vicksburg au crépuscule. © ETC

Inspirée à l’origine par eTextiles Summer Camp aux Moulins de Paillard en France, la résidence Electronic Textile Camp, basée aux États-Unis et dirigée par des artistes, a été inaugurée en tant que eTextiles Spring Break en 2017, à une époque où « la wearable technology n’était qu’un buzzword », selon Lara Grant, praticienne de longue date de l’e-textile. Ces dernières années, cependant, il semble que les arts de la fibre (re)gagnent une reconnaissance officielle, et les « soft circuits » sont de plus en plus demandés : « Il y a plus de laboratoires qui y sont consacrés dans les universités, les gens qui travaillent dans le domaine du design d’interaction veulent un cours sur le sujet, les gens sont conscients de l’existence de cette discipline et s’y intéressent de plus en plus – surtout si vous vous passionnez pour les textiles d’une manière ou d’une autre », explique Lara. Nous avons demandé à l’artiste, designer, bricoleuse et enseignante des e-textiles de nous en dire plus.

Makery : Qu’est-ce qui vous a incité à lancer une résidence d’artistes consacrée à l’e-textile aux États-Unis ?

Lara Grant : Liza Stark, Sacha de Koninck et moi [trois des organisateurs initiaux, avec Nicole Yi Messier], nous avons tous participé au camp d’été d’eTextile en France pendant plusieurs années. Sacha avait également l’habitude d’organiser des activités avec eux. Le camp lui-même est énergisant et inspirant. C’était aussi un excellent moyen de consolider une communauté, tout en dépassant ses limites individuelles et en collaborant avec de nouvelles personnes.

 

 
 
 
 
 
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La communauté est vraiment axée sur le open source, le partage des compétences, la participation des gens, les conversations, la créativité. Nous avons pensé que c’était un excellent moyen de rapprocher physiquement l’événement à un grand nombre de personnes qui normalement n’ont pas les moyens de se rendre en France rurale. Nous disons toujours que nous sommes un camp jumelé au eTextile Summer Camp français. Nous faisons également un lien vers Tribe Against the Machine, un autre camp d’eTextile qui se tient à Taïwan.

Makery : Qu’est-ce que c’est que d’expérimenter l’électronique et le textile à l’intérieur d’un moulin historique ?

Lara Grant : C’est toujours dans les vieux moulins que ça se passe. Le moulin de Vicksburg est l’endroit où se déroule notre camp d’été, à l’intérieur d’une ancienne papeterie. A Wassaic, où nous avons organisé le Spring Break d’eTextile à New York, c’était également à l’intérieur d’un ancien moulin à grains. Le moulin de Vicksburg est donc extrêmement brut et industriel, ce que nous adorons. Cet espace est également offert aux artistes en résidence [accueillis par Prairie Ronde]. Le moulin est vraiment un lieu central où l’on peut aller pour s’inspirer et installer des pièces minuscules ou énormes, parce qu’il y a un plafond voûté. C’est un espace gigantesque.

La moitié de l’espace de travail ETC installé à l’intérieur du moulin de Vicksburg en 2022 : couture, découpe CNC, stations de repassage, tables remplies de matériel communautaire et d’espaces de travail personnels. © ETC

La première année où nous sommes allés à Vicksburg, en 2022, nous avons installé nos stations de laboratoire. Nous avions une zone de soudure, une zone de tissage, une zone de sérigraphie, une station de repassage, une station de couture, etc. Ensuite, des tables ont été installées pour que les artistes puissent disposer de leur propre espace. Tout cela se trouve dans une immense salle du moulin. On marche sur des planchers en bois, il faut donc faire très attention. Nous devions porter des gilets de sécurité et des casques. C’était assez délirant !

L’artiste Linh My Truong installe une chaîne unique sur un métier à tisser de table pour que les autres puissent l’utiliser et l’expérimenter, après son workshop sur les modèles de tissage, en 2022. © ETC

Il y a également un autre espace à côté. L’année dernière, le mois d’octobre était très proche d’Halloween et certaines participantes ont décidé de projeter un film d’horreur. Elles ont mis un drap blanc, nous avons trouvé un projecteur dans l’espace communautaire du village et nous avons installé des chaises. Il y a tout cet espace ouvert que vous pouvez utiliser comme bon vous semble.

Projection improvisée de films d’horreur en octobre 2022. © ETC

Makery : Quels sont les autres espaces disponibles aux participants du ETC ?

Lara Grant : Les particpants sont logés dans des maisons. Ils ont leurs propres petites familles, mais tous les soirs, nous nous retrouvons tous ensemble dans une maison pour dîner. C’est notre moment de détente communautaire.

Pour nos workshops, nous utilisons une maison aménagée d’une immense cuisine et de nombreux comptoirs si nous organisons un atelier de teinture, par exemple, mais nous nous installons dans d’autres espaces selon leur aménagement.

L’espace d’exposition est toujours séparé du laboratoire et de l’espace de travail. L’exposition nous permet d’inviter les gens du village à voir ce que nous faisons, à nous rencontrer et à discuter avec nous.

L’artiste Joah Lui discute avec une visiteuse devant son Copper Circle : Inter-cultural Learning Experience, avec la participante Kate Hartman qui interagit avec l’œuvre, en 2022. © ETC

Makery : Les habitants de Vicksburg sont-ils curieux de découvrir les projets de l’ETC ?

Lara Grant : En fait à Vicksburg il existe une communauté artisanale très solide. Il s’agit d’un groupe de pratiquants du tissage, d’artisanat et d’arts de la fibre. L’année dernière, nous avons emprunté trop de métiers à tisser, nous n’avons même pas pu les utiliser tous, mais nous étions trop enthousiastes parce qu’ils nous les avaient proposés. Nous avons donc obtenu quatre ou cinq métiers à tisser différents, que nous avons mis à la disposition de nos participants. Ils ont été très gentils, nous avons donc dîné avec eux pour les remercier, et ils ont apporté des desserts faits maison. J’ai mangé le meilleur gâteau aux carottes que j’aie jamais mangé de ma vie !

La village est si tranquille, c’est un excellent moyen de parler aux gens et de les connaître un peu. Ce sont tous des gens créatifs et amicaux, et ils veulent nous connaître aussi.

Makery : Quelles sont les applications eTextile les plus courantes ?

Lara Grant : Les textiles électroniques étant multidisciplinaires, ils se déclinent en plusieurs catégories. Certaines personnes sont plus orientées vers la mode, elles construisent des pièces robotiques très complexes qui sont également wearable, ou elles impriment en 3D une robe complète. La mode conceptuelle est donc une catégorie à part entière. Ensuite, il y a les pièces basées sur la performance : la musique interprétée par des artistes du son ou du bruit, des musiciens classiques qui se fabriquent des costumes qui réagissent ou détectent leurs mouvements pendant qu’ils jouent du piano…

Une œuvres d’Ahree, participante de l’ETC 2022, qui explore la manière dont les circuits peuvent être tissés directement dans le tissu. Il s’agit d’une breadboard textile tissée avec un LilyPad Arduino intégré et des fils conducteurs qui peuvent être attachés à des composants pour le prototypage. © ETC

Il y a aussi des gens qui s’intéressent à ce que j’appelle les circuits souples (soft circuitry) : fabriquer des antennes, des composants électroniques durs à partir de matériaux souples, les expérimenter et les placer dans toutes sortes de contextes. Le sans-fil en fait partie. Je pense aux différentes disciplines dans lesquelles ils travaillent, comme le design de mode ou la performance, et je les associe également à des concepts. Les concepts que je vois souvent sont les textiles dynamiques, les textiles qui se transforment ou qui changent, quelque chose que l’on peut voir visuellement réagir à quelque chose que l’on reçoit. Les structures gonflables font également partie des textiles dynamiques et intéressent toujours les gens.

Les artistes Kathleen McDermott et Becca Ricks gonflent une forme suivant un atelier sur les textiles gonflables en 2022. © ETC

Ensuite, il y a la vie publique contre la vie privée, quelque chose qui créera un espace privé pour quelqu’un, ou quelque chose qui réagira à quelqu’un qui entre dans son espace privé, ou quelque chose qui créera davantage une communauté ouverte au public. Les gens aiment jouer avec cette juxtaposition, ou même avec l’exploration physique et matérielle.

Makery : Et les biomatériaux ? Il semble que cette année, au moins une participante a fabriqué une breadboard fongique ?

Lara Grant : Oui, tout ce qui est biomatériel, qu’il s’agisse de bioplastique ou de mycologie. Les matières fongiques peuvent être utilisées de multiples façons. Il existe plusieurs manières de fabriquer des matériaux biodégradables.

Tout le monde s’intéresse de près à la durabilité, mais en réalité nous fabriquons des objets qui combinent des fibres et du métal. Une fois qu’elles sont fusionnées, il est impossible de les démonter, elles ne sont donc pas recyclables. Il est assez triste que les matériaux renouvelables ou biodégradables soient encore en phase de recherche, car il n’y a pas encore assez d’argent provenant des grandes entreprises et des personnes qui ont le pouvoir de faire bouger les choses pour les financer. Mais nous réfléchissons beaucoup à comment utiliser des matériaux durables, et les gens conçoivent des produits en fonction de ces critères. Tout cela nous préoccupe en tant que praticiens du textile électronique.

Les échantillons de Liza Stark montrent des capteurs faits à la main, des connexions courantes et d’autres techniques e-textiles. © ETC

Makery : Quels sont vos espoirs pour ETC 2023 ?

Lara Grant : J’espère toujours que les gens pourront prendre le temps dont ils ont besoin, un temps agréable et inspirant. J’espère que les gens repartent avec quelque chose de nouveau, qu’il s’agisse d’un lien, d’une amitié ou d’une découverte d’un nouveau programme de doctorat.

Nous constatons aussi des tendances. Lorsque nous passons en revue les candidatures et ce que les gens souhaitent apprendre, chaque année il y a toujours une chose. Cette année, c’est le JS5 (p5.js), un nouveau langage de programmation visuelle qui, je suppose, prend la relève de Processing. Nous avons donc veillé à ce que quelqu’un soit en mesure de donner un cours sur ce sujet.

Sinon, les choses se passent de manière très organique. J’ai toujours peur qu’une catastrophe se produise, mais j’ai aussi l’impression que tout ira bien à moins qu’une catastrophe ne se produise en effet. Parce que nous ne faisons que rassembler des personnes créatives avec des outils à leur disposition, des matériaux et un espace pour créer. Elles se lancent toutes dans l’aventure, chacune à sa manière.

L’Electronic Textile Camp à Vicksburg, Michigan, USA est co-organisé par Lara Grant, Liza Stark, Sasha De Koninck, Nicole Yi Messier et Victoria Manganiello.

Summer school à Cultivamos Cultura : prendre le temps d’habiter l’Alentejo sauvage du Portugal

© Cultivamos Cultura

La 11e université d’été de Cultivamos Cultura s’est tenue du 4 au 22 juillet 2023 dans le village côtier de São Luís et ses environs, juste au nord du vaste parc naturel du Sudoeste Alentejano et de la Costa Vicentina, au Portugal.

Cherise Fong

Cultivamos Cultura’s Diana Aires a partagé avec Makery quelques réflexions sur la manière dont les participants à l’université d’été de cette année ont exploré le riche écosystème de la région, ainsi que le thème Expanse and Water, à travers la gastronomie, les microscopes, les milieux de culture, les cyanotypes, et les oursins.

Makery : En quoi l’université d’été de Cultivamos Cultura est-elle un « feral lab » ?

Diana Aires : L’université d’été de Cultivamos Cultura a créé des espaces de création et d’apprentissage où se rencontrent différentes pratiques artistiques. Ces espaces peuvent être interprétés comme des laboratoires – des espaces de partage et d’exploration des méthodologies qui naissent à l’intersection des sciences naturelles et environnementales, de l’art et de la technologie. Ces dynamiques d’échange sont redéfinies chaque année par un ensemble différent d’artistes et de chercheurs, par les participants, mais aussi par le contexte socioculturel de la vie et de l’existence à São Luís.

Ce groupe de personnes co-crée un ensemble spécifique de connaissances, sur la base des antécédents, de l’expérience et des volontés qui leur sont propres. Il leur est demandé de partager leurs propres sujets d’intérêt et de préoccupation, en laissant la place à des opportunités d’apprentissage et d’enseignement informels, dans le cadre de leur propre pratique. Progressivement, à partir d’un entrelacement de compétences théoriques et pratiques, avec des voix et des mains différentes, l’université d’été laisse place à l’interdisciplinarité, mue par le désir d’explorer les manières les plus variées de croiser les disciplines, en acquérant de nouveaux contours qui explorent les processus créatifs, le dialogue et le partage de la connaissance. C’est ainsi qu’elle est toujours indomptable, et donc Feral !

© Cultivamos Cultura

Comment l’université d’été a-t-elle évolué ces dernières années ?

Chaque année, nous rencontrons de nouveaux contextes de recherche et de partage. Ces nouvelles expériences consolident la perspective d’un regard exercé, sensible à différents sujets, créant les opportunités de discuter de grandes et solides références, mais aussi d’une chaîne de pensée embryonnaire, revisitant et construisant sur différentes logiques de pensée.

Au fil du temps, cet ensemble de connaissances a été documenté, acquérant différentes formes expérimentales et contaminant diverses lignes de dialogue. Cependant, nous nous sommes efforcés d’atteindre sa porosité indomptée, ce qui rend impossible sa transformation en un processus stable et prévisible. Nous avons établi quelques activités de base, qui sont revisitées à chaque édition, et qui encouragent différentes approches entre ce groupe de personnes et le territoire, à mesure que leur pratique se familiarise avec de nouvelles méthodologies et de nouveaux lieux, à leur propre rythme. L’idée est de permettre à ces réalités de se rencontrer, en créant de nouveaux environnements pour la production artistique. Cependant, ces intersections sont souvent le résultat de processus d’apprentissage et de réappropriation sinueux, abrupts et surprenants.

Quel est le rôle de São Luís pendant les trois semaines du camp ?

Cultivamos Cultura rassemble plusieurs époques dans un même espace. Non seulement en raison de son infrastructure, qui remonte à une série de pratiques rurales – il est clair que cet espace était autrefois une ferme -, mais aussi en raison de la façon de vivre et de se sentir dans l’Alentejo même, que l’on peut découvrir au-delà de nos portes.

Sudoeste Alentejano e Costa Vicentina Nature Park CC BY-SA 4.0 Serge Fenenko

Ici, le temps a le temps d’exister. Il nous incombe donc de remettre en question les réalités présentées par chacun des participants et leur vie quotidienne. La journée commence lorsque nous attendons le pain, et plus tard, alors que nous discutons du processus d’affinage du fromage, la confiture se refroidit. La gastronomie est l’un des moyens de favoriser ces rencontres : tous ces produits sont intrinsèquement associés à un échange de connaissances, de mots et de rituels, inspirant les pratiques culturelles les plus variées. Ces manières d’être et de faire se précisent à travers des gestes et des récits, perceptibles à travers un dialogue assidu et attentif.

Au cours des dernières années, le village de São Luís, isolé et rural, s’est imposé comme un centre culturel prospère qui allie la préservation et la réinvention de ses traditions à la contemporanéité, grâce à un environnement communautaire très dynamique. Le paysage de cette région est protégé par le Sudoeste Alentejano e Costa Vicentina Nature Park, en raison de ses caractéristiques biophysiques et écologiques uniques dans un contexte européen, que nous cherchons à explorer à l’aide de différentes techniques issues des sciences naturelles et environnementales.

Quels ont été les projets et les points forts de l’édition de cette année ?

Cette année, les explorations visuelles liées à la technique du cyanotype et au son ont été prédominantes. Cependant, ces laboratoires ont un point commun à tous les autres : les interconnexions entre les domaines des sciences naturelles et environnementales, de l’art et de la technologie, qui donnent lieu à des discussions sur l’éthique, l’esthétique et la pertinence de ces pratiques indisciplinées.

Cyanotype © Cultivamos Cultura

En invitant les participants à créer leur propre milieu de culture et à explorer les micro-organismes présents dans les objets et les éléments les plus divers, à l’intérieur d’une boîte de Pétri, ils sont amenés à réfléchir à l’échelle, aux répercussions des actions et aux soins inter-espèces. En observant leur évolution au microscope, les formes d’observation et les chronologies non linéaires sont abordées. En photographiant ces aperçus, une imagerie commune est progressivement créée et ensuite placée sur des surfaces sensibilisées à l’intervention de la lumière du soleil. Dans l’entre-deux de cette révélation, les concepts de suivi, de cartographie et de sons clés sont discutés – quels sont les sons qui décrivent le caractère de ce lieu particulier ? Comment puis-je disséquer le paysage sonore qui m’entoure afin de communiquer et de collecter les sons qui me touchent et qui touchent également ce territoire ?

Cyanotype © Cultivamos Cultura

Ainsi, pour revenir aux résultats de l’université d’été de cette année, certaines techniques se distinguent, tout en étant habitées par les intérêts de ce groupe de personnes. La technique du cyanotype a rapidement mobilisé un ensemble de connaissances inhérentes au processus d’extraction et de teinture avec des pigments naturels. Curieusement, plusieurs des résidences artistiques que nous avons accueillies depuis la summer school 2022 se sont concentrées sur ce thème, de sorte que ce savoir a réémergé, se présentant à ce même espace, dans des conditions différentes définies par des mains, des voix et des calendriers différents.

Comment avez-vous exploré le thème de l’étendue et de l’eau de cette année, en particulier à la lumière de la grave sécheresse et de la pénurie d’eau que connaît le Portugal, sans parler de la canicule ?

Le soleil, la température et l’humidité interfèrent avec notre vie quotidienne. Ce sont peut-être là quelques-uns des facteurs qui expliquent pourquoi le temps a le temps d’exister. Il était impensable de travailler directement après le déjeuner. Les températures élevées ne le permettaient pas. Il fallait avoir du temps.

Outre les ateliers sonores qui nous invitaient à déambuler dans l’espace public et les cyanotypes qui dépendaient de l’intervention de l’eau dans leur processus, nous avons répété l’une des activités principales du programme de l’université d’été : la fertilisation des oursins. Cet effort collectif a débuté sur la plage de Carreiro da Fazenda, dans l’océan Atlantique. Parmi les mares et les rochers, nous extrayons soigneusement les oursins et une grande quantité d’eau salée. Plusieurs œufs fécondés seront déversés dans cette eau, alimentant ainsi l’écosystème avec une nouvelle génération d’oursins.

Fécondation des oursins © Cultivamos Cultura

D’innombrables actions cycliques se déroulent simultanément autour de nous. Ces activités visent à nous ralentir pour que nous en remarquions certaines. Elles constituent également des espaces propices à la prise de conscience de nos interactions avec cet écosystème. Au Portugal, nous devons parler de la sécheresse, encourager les économies d’eau et une répartition équitable des ressources. Ici, il n’est pas difficile de considérer l’eau comme une entité. Tout le territoire est entouré par le fleuve Mira, qui est distribué avec des abondances et des rythmes différents. L’eau est le lien entre les différentes réalités, fondamentale pour la vie, la croissance et la transformation grâce à sa structure élémentaire.

Cultivamos Cultura Summer School fait partie du réseau Feral Labs et du projet coopératif Rewilding Cultures cofinancé par le programme Creative Europe de l’Union européenne.

Algo-Rhythmic Ideation Assembly à Ljubljana : un jeu de rôle pour habiter le futur

Protectorama toxica pendant le workshop de clôture à ARIA, photo de Marijn

Du 21 au 25 août, Projekt Atol a accueilli le Omsk Social Club et un programme de workshops et de conférences pour les 18 participants qui se sont réunis à Ljubljana, lors d’un jeu de rôle visant à construire et à habiter un monde alternatif dans le contexte d’une écologie planétaire en mutation.

Klara Debeljak
Participant à ARIA, photo de Aleksandra Vajd

Bienvenue à ARIA, un monde qui se superpose et se déploie parallèlement à notre réalité de base, dans un avenir indéterminé et alternatif. Il s’agit d’un espace de possibilités et d’une ambiance, qui existait avant notre arrivée, mais qui s’est adapté à notre contribution et à nos besoins, et qui possède un potentiel idéologique et architectural malléable. ARIA est l’acronyme de Algo-Rhythmic Ideation Assembly (assemblée d’idéation algo-rythmique). Une description plus tangible a été développée au cours d’un programme d’université d’été d’une semaine qui s’est déroulé à Ljubljana, pendant la canicule de la dernière semaine d’août 2023, facilité par Projekt Atol et développé par Tjaša Pogačar et Brandon Rosenbluth.

Les deux descriptions sont correctes. ARIA a consisté en un workshop à huis clos, et un programme accessible au public sous la forme d’une série de conférences et de panels de deux jours qui ont eu lieu à Cukrarna, une usine de sucre réaffectée en un espace d’art contemporain de premier plan à Ljubljana. Le programme public était une plongée théorique dans la possibilité de construire un monde et de faire de l’anthropoformage, à travers la présentation des pratiques artistiques et des recherches des conférenciers invités. Les projets présentés étaient divers et avaient pour thème principal l’ajustement du récit anthropocentrique de l’expression artistique par le biais de la construction spéculative du monde et de la science-fiction performative. La plupart des artistes présents se sont inspirés des logiques organisationnelles des technologies de réseau contemporaines, souvent en dialogue avec des espèces végétales ou des environnements naturels, intégrant des perspectives alternatives dans leurs stratégies de création de mondes.

Question d’une participante à ARIA pendant la conférence publique à Cukrarna, photo de Zupanov

L’exemple le plus évident était peut-être celui de l’unique représentante slovène, Špela Petrič, artiste media ayant une formation en sciences naturelles et qui travaille essentiellement sur la matière organique. Elle a parlé de ses ethnographies performatives et de son travail sur les relations multi-espèces, présentant au public le terme « perspective multi-corps ». Sa pratique est basée sur la réalisation d’œuvres d’art qui s’adressent soit à des espèces végétales, soit à une population future spéculative, en se réappropriant la méthodologie scientifique, et en sortant de la notion d' »art génératif » où « rien n’est réellement remis en question ». Ses œuvres parlent du « désir de transformation, de poursuite de l’acte de jeu en tant que transformation du réel – un désir de devenir avec et de devenir autrement« .

La méthodologie de Petrič a été questionnée par l’artiste performeur et activiste roumain Florin Flueras, un mentor d’ARIA et conférencier, qui se distingue par l’absence de dimension numérique dans son travail. Il s’est demandé si les projets de Petrič, qui utilisent l’IA pour jouer avec les plantes, qui intègrent et s’occupent de la matière végétale plutôt que des corps humains, ne torturaient pas les plantes exposées et récoltées pour obtenir des données biométriques. L’utilisation de logiciels issus de l’agriculture de précision semble subvertir la « perspective multi-corps » que Petrič abordait, en s’éloignant potentiellement de la notion initiale de culture de l’empathie et de la parenté pour la multitude de corps non-humains, mais en se concentrant plutôt sur la partie qui re-contextualise les méthodologies scientifiques. Malgré le doute jeté sur les effets sur les sujets visés, l' »IA guidée par la curiosité » qui s’applique à la danse des plantes plutôt que l’IA guidée par la surveillance quantitative transcende le recadrage sémantique.

Lívia Nolasco-Rózsás, curatrice d’expositions spatiales et chercheuse sur la « condition virtuelle », serait certainement d’accord lorsqu’elle décrit les algorithmes qui s’assurent de la « co-curation » et de l’adaptation des expositions en ligne en fonction des œuvres d’art qui plairaient et intrigueraient le plus les visiteurs individuels. Dans ce cas, un algorithme de personnalisation serait appliqué différemment, en dehors de ses utilisations habituelles. Ces projets montrent la réappropriation des algorithmes et la recontextualisation des corps comme « un jeu ontologique, échappant à un ensemble de règles fixes ».

Les corps pendant la projection de Ningwasum, photo de Zupanov

Dans l’esprit de la recontextualisation des corps, revenons à Flueras et à un concept et une pratique qui ont également été développés dans le but de libérer le corps des clichés et des automatismes, permettant un type différent de construction du monde et un ensemble flottant de règles. Il s’agit du « corps rêveur » ou du « second corps », un duplicata hypothétique du corps physique, qui cultive un autre type d’expérience. Ouvrir un autre regard et remettre en question la « hiérarchie des réalités » n’est pas loin de l’objectif de Špela et Lívias, quel que soit le support. Il a parlé d’une série de performances développées avec la regrettée Alina Popa, intitulée Unsorcery, dont l’objectif est d’ouvrir le monde et de se détacher de la notion préconçue de l’espace artistique, de l’art de la performance, du corps de base et des sens. Selon Flueras, que le corps à travers lequel vous expérimentez et affectez la réalité soit votre corps principal ou votre « corps de rêve », il s’agit toujours d’un corps humain.

Flueras lui-même a été critiqué en tant que mentor pour ne pas avoir transcendé la vision anthropocentrique ; lors d’une discussion à huis clos, il n’a pas été en mesure d’affirmer que les humains peuvent en fin de compte percevoir à travers un modèle cognitif non humain (umwelt), quel que soit le nombre de projets consacrés à l’art pour les yeux de poissons, les algues ou les tiges de haricots qui sont développés. Ce qui va à l’encontre de l’idéologie de la plupart des participants qui se sont intéressés à ARIA en premier lieu. Mais nous voilà immédiatement confrontés à la question classique lorsque l’on tente de déformer la réalité par des pratiques corporelles (la performance) et cognitives (la théorie spéculative et la science-fiction) – la question de l’immersion complète jusqu’au point de transcendance et du « bleed » qui inhibe cette potentialité.

Pal, photo de Aleksandra Vajd

Le bleed est un terme qui se réfère au débordement des traits, de la physicalité et des valeurs du joueur ou du corps de base vers le personnage de l’avatar et vice-versa. Le bleed est généralement défini et utilisé de manière très littérale dans le contexte du gameplay, mais je pense qu’il peut également être utilisé de manière plus abstraite, comme un obstacle à la possibilité d’aller au-delà de notre matérialité et de nos perceptions humaines. Pouvons-nous éliminer le bleed (saignement au sens littéral – NDT) anthropocentrique en formant une société qui intègre une variété de consciences plus qu’humaines, y compris technologiques, dans la compréhension de la cosmologie future ?
Au cours du programme privé d’ARIA, le bleed littéral s’est avéré plus problématique, car un futur abstrait zoomé était plus facile à incarner que les avatars de notre choix. Le programme privé et l’atelier à huis clos étaient l’envers des présentations théoriques, le processus réel de construction du monde donnant vie à ARIA, ancré dans le jeu de rôle en direct, l’immersion expérientielle et la collaboration : LARPing (LARP est l’acronyme de Live Action Role Play, jeu de rôle en direct dans le réel – NDT). Il m’a été difficile d’expliquer à mes amis et à ma famille pourquoi quelqu’un pourrait vouloir participer à une telle expérience ; dans notre réalité de base, s’engager dans de tels exercices performatifs est considéré comme absurde, inutile et peut-être même complaisant. En pratique, l’activité du Real Game Play devrait transcender l’étiquette de passe-temps ou de pratique expérimentale d’art contemporain dans la mesure où elle contribue à résoudre la « crise de l’imagination et de l’écologie ». Ou résoudre d’abord la crise de l’imagination, potentiellement suivie par la crise de l’écologie. Désinvestissement et construction du monde sont donc des phases nécessaires d’un même processus. La construction d’ARIA était basée sur le désapprentissage et le découplage des structures enracinées de nos perceptions cognitives actuelles de la réalité dans laquelle cet article est écrit, afin d’ouvrir la voie à quelque chose de différent.

Nous – les 18 participants au jeu de rôle en direct – venions de localités et d’horizons divers, dont les détails étaient inconnus des personnages qui vivaient pendant l’ARIA. Les participants sont venus à ARIA dans le rôle de nos personnages intuitivement préconçus, idéalement avec des objets, des accessoires et des souvenirs qui enracinent l’existence de notre personnage. Notre expérience a été facilitée par le collectif berlinois Omsk Social Club, dont le travail consiste à créer des espaces où se déroule un Real Game Play immersif et durable, parfois dans un large format. Real Game Play est une méthodologie développée par le collectif Omsk, basé à Berlin, en tant que processus d’élaboration d’un monde spéculatif par le biais d’une immersion collective. Grâce à cette activité, un portail est construit dans une réalité fictive ou un futur non encore vécu, dans le but d’habiter le monde de l’autre côté.

Participants in play, ARIA, photo by Marijn Degenaar
Participants au jeu, ARIA, photo de Aleksandra Vajd

Les membres d’ARIA ont inventé des rituels, des traditions, une histoire et des façons d’entrer en relation les uns avec les autres qui existaient au-delà des archétypes et des habitudes acquises, et nos personnages ont tenté de les mettre en œuvre et de les encourager en douceur. De nombreux rituels étaient physiques, basés sur la proximité, le toucher et l’expression sonore. Certains joueurs ont été propulsés hors de leur zone de confort habituelle, mais ont rapidement trouvé leur voie sur cette nouvelle terre. Les membres d’ARIA allaient d’une « myrtille » (Blue Berrymore) piégée dans le corps d’une femme blanche piégée dans le corps d’un homme arabe, appelée Myrrh ou parfois Blue Berrymore, au volcan Tunupa qui a été injustement cloué à la terre et est devenu un lac de son propre lait maternel non consommé et de ses larmes, en passant par Vora qui a une mémoire endommagée et des tendances cannibales non partagées, et une créature faite de terre, de sang, de sueur, de minéraux de terres rares, de silicone et de lumière, appelée tout simplement M. Il n’y avait pratiquement pas d’humains dans ARIA, un fait remarquable et inattendu, a déclaré l’un des initiateurs du programme. Mais c’est ce que je veux dire en disant que le futur abstrait est beaucoup plus facile à incarner et que les problèmes surgissent lorsque l’on essaie d’éliminer le bleed avec nos réalités de base du présent. Pour approfondir notre expérience et notre vie en tant que membre d’ARIA, nous avons essayé de désapprendre les attentes, les projections et les sens de notre corps de base en interagissant en tant que ces consciences autres qu’humaines, en voulant (et en échouant) rester si profondément dans le personnage et immergé que le bleed n’existe plus, pour ne faire plus qu’un avec notre nouvel esprit, en sentant le corps suivre en synchronisation. Certains des artistes qui ont présenté leur pratique à Cukrarna ont également animé des ateliers pendant le programme à huis clos d’ARIA, nous guidant à travers différents exercices pour faire avancer le projet ARIA.

L’un de ces mentors, un artiste qui intègre pleinement le bleed, est JP Raether avec son projet aLifveForms, une performance continue qui dure depuis plus de dix ans et qui consiste en trois alter identités ou self-sisters actives, qui tissent la recherche, le langage et la « techno-alchimie ». La tribu de sorcières à laquelle il prête son corps forme un arbre généalogique qui peut être suivi sur un site web, un exploit archivistique qui fait partie intégrante de la performance, avec des géolocalisations et des photographies documentant les apparitions des avatars. Les avatars apparaissent dans des espaces tels qu’un Ikea en Allemagne, un sommet de montagne en Écosse ou une rue de Johannesburg, dans l’acte de « comuneering », créant une communauté tout en montrant que dans toute réalité commune, une autre réalité est toujours présente. Le terme de « sorcière de substitution » résonne avec l’idée du « corps de rêve ». L’apparition de la « sorcière de substitution », en l’occurrence Protectorama toxica, la SelfSister qui a honoré ARIA, et son intégration dans notre perception commune de la réalité est une expérience intense. JP Raether peut discuter de Protectorama toxica, et Protectorama toxica peut se référer à JP Reather et aux autres SelfSisters. Il ne semble pas y avoir beaucoup de jeu d’acteur, le channeling serait une meilleure description, et il y a un bleed évident au niveau littéral comme au niveau abstrait, ce qui, contrairement aux attentes, rend la rotation continue des performances réelle et efficace. Le maquillage, les accessoires et les avatars en tant que technologies de transformation sociale constituent une puissante rêverie conceptuelle et optique, ou plutôt « une rêverie qui tient compte de la matérialité ». La réalité de base et cette autre réalité spéculative sont également présentes, s’enchevêtrant et même s’accentuant l’une l’autre.

Berrymore bleue et deux objets rituels, photo by Aleksandra Vajd

Cette boucle nous ramène à la partie la plus efficace et la plus agréable de l’univers ARIA, l’action du rituel. Tous les rituels que nous avons conçus nous ont rassemblés et ont rendu ARIA réel, et notre communauté tangible. Le rituel pouvait consister à boire une concoction spéciale d’ARIA, à lier les doigts et à se fondre dans une masse de corps, à bourdonner si près les uns des autres que nous pouvions ressentir nos vibrations collectives. Enfin, le rituel le plus puissant à consisté à lire nos bénédictions secrètes, dédiées à nous-mêmes, à notre personnage, à notre corps de base ou à quelqu’un que nous aimons. La partie bénédiction nous a été présentée comme un « rituel psychosocial » et a été initiée par notre mentor et orateur du programme public, l’artiste vidéo Subash Thebe Limbu. Il a présenté son documentaire de science-fiction Ningwasum à Cukrarna, puis une partie du film en privé. Le film parle de voyage dans le temps, d’entrelacs de temporalités multiples, de résistance et de rituel. Il mêle les connaissances ancestrales aux technologies du futur, formant une manière étrangement relatable de relier le passé, le futur et le présent, si instables et distants et incroyablement bizarres. Son intervention et les bénédictions que nous avons jetées, d’abord par écrit, puis lues à haute voix devant une salle silencieuse et concentrée de membres d’ARIA, ont montré à quel point il est essentiel de concevoir de nouveaux rituels, destinés à préparer le terrain pour un monde que nous voulons construire – même si ce processus peut être désordonné et déroutant.

Pendant le workshop AR de Simon Speisers, photo de Marijn Degenaar

ARIA a été conçu et développé par Tjaša Pogačar et Brandon Rosenbluth, et organisé dans le cadre du projet More-than-Planet

PIFcamp : reportage dessiné sur notre summer camp slovène favori

Roger Pibernat dessine son reportage.

Nous sommes au début du mois d’août. Toute l’Europe est en vacances. Toute ? Non ! Le petit village de Soča, en Slovénie, est pris d’assaut par les hackers, makers, artistes et autres techno-explorateurs.

Roger Pibernat

Ils ne craignent qu’une chose : que le ciel leur tombe sur la tête. C’est ce qui a failli se produire. Pendant cette semaine au PIFcamp, le reste de la Slovénie a été inondé et a subi de fortes pluies. Soča a également été touchée par des orages continus, mais l’environnement alpin a laissé l’eau s’écouler vers la rivière qui coulait à flot.

Les conditions météorologiques ont obligé certains artistes à modifier ou à adapter leurs projets en conséquence. Les compétences en détournement de la communauté se sont avérées très utiles pour rendre le camp plus confortable dans de telles conditions. Une grande flaque d’eau s’est formée en plein milieu de l’arrière-cour, obstruant le chemin vers la tente située de l’autre côté, où certains artistes avaient installé leurs ateliers. Les organisateurs Luka Frelih, Jani Pirnat, Marko Peljhan et quelques autres ont rempli un tuyau d’eau et en ont plongé une extrémité dans la flaque. Ils ont fait passer le tuyau dans le couloir principal de la maison et l’ont fait ressortir de l’autre côté par la porte principale. Puis ils l’ont reposé. La pression de l’air sur la flaque a poussé l’eau dans le vide du tuyau qui l’a aspirée et recrachée de l’autre côté, sur la route.

Dans la tente, de petits canaux ont été improvisés sur le sol pour permettre à l’eau de s’écouler sous les tables, afin d’éviter que la tente entière ne soit inondée. Des bâtons et des marteaux ont dû être utilisés pour les creuser, faute d’outils adéquats.

Dome

Pendant ce temps, Blaž Pavlica a installé une version améliorée de son dôme sonore de l’année dernière. Blaž est un codeur et un DJ de Ljubljana qui vient de quitter les Pays-Bas où il vivait depuis trois ans. Le dôme était à l’origine fait de barres d’acier, ce qui le rendait lourd à transporter et dangereux à monter – une cicatrice est encore visible sur le front de Blaž suite à un petit accident qu’il a eu en montant le dôme l’année dernière au PIFcamp.

La nouvelle version est composée de tuyaux en PVC plus légers qui sont assemblés à l’aide de joints imprimés en 3D conçus par Staš Vrenko, artiste, musicien électronique et concepteur d’instruments. Trois anneaux de fil de fer permettent de resserrer l’ensemble et de lui donner une solidité supplémentaire. 16 haut-parleurs et un caisson de basse ont ensuite été placés autour du dôme. Lors de son atelier sur la conception de sons multicanaux, Blaž a expliqué que les basses fréquences sont difficiles à localiser dans l’espace, et qu’il n’est donc pas vraiment important de savoir où placer le caisson de basse. Les hautes fréquences, en revanche, sont celles que nous repérons dans l’espace grâce à notre ouïe, et c’est à cela que servent les autres enceintes.

Le concert a été programmé pour le jeudi soir, afin que les artistes puissent s’entraîner dans le dôme pendant quelques jours, malgré les pluies incessantes. Les prévisions météorologiques s’aggravaient de jour en jour. Finalement, l’équipe a décidé de démonter le dôme et de déplacer l’installation multi-enceintes dans la salle à manger de l’école et de l’adapter dans un format moins ambitieux de 8 enceintes et d’un subwoofer. Le samedi après-midi, ils ont enfin pu se produire. Les auditeurs se sont assis ou allongés à l’intérieur de l’anneau de haut-parleurs et ont écouté les différentes performances, en commençant par la pièce d’Ivan Paz.

Ivan est un live codeur du Mexique, basé à Barcelone. C’était son deuxième PIFcamp. L’année dernière, il a été frappé par COVID pendant le camp et avait dû être confiné dans l’école le troisième jour et pour le reste de la semaine. Il s’est à nouveau inscrit cette année, espérant vivre l’expérience complète du camp – selon l’organisateur du camp, Uroš Veber, ils ne pouvaient pas le refuser. Ivan est un expert en IA, impliqué dans plusieurs projets artistiques utilisant cette technologie. Au PIFcamp, il a entrainé un modèle aux sons de la rivière Soča, qu’il a utilisé pour synthétiser de nouveaux sons de rivière.

Suivait la prestation de Oriol Parés. Oriol est un musicien de Tarragone, en Espagne, avec un parcours de saxophoniste dans la musique classique. Il a sonifié la flore de la rivière Soča avec son synthé modulaire. Pendant la semaine, il a capturé des données sur les plantes à l’aide de capteurs qu’il a lui-même construits, et il a utilisé ces données comme modulateurs pour son synthé dans la configuration multicanal.

Lina Bautista, une compositrice et live codeuse colombienne basée à Barcelone, qui en était à son deuxième PIFcamp, a joué avec des échantillons de voix au legato très court, avec TidalCycles. Cela donne des sons très percussifs et très agréables à l’oreille. Elle a également utilisé de la FM pour compléter son morceau et remplir le spectre de fréquences et l’espace.

Lan Štukelj Wu est un jeune artiste sonore slovène qui travaille principalement avec Max et Ableton Live. Il a enregistré des rochers qui tombent et roulent et a utilisé ces sources comme base pour sa pièce. En utilisant quelques contrôleurs MIDI, il a spatialisé les différentes pistes d’enregistrement en direct.

Dans sa performance, Blaž a piraté l’algorithme FFT pour générer des rythmes. La FFT est une technique utilisée pour extraire les fréquences qui forment le timbre d’un son. Au lieu de lui fournir un fichier audio, Blaž a transmis à l’algorithme une liste de 0 et de 1 représentant un rythme. Il a ensuite modifié de petites parties des fréquences obtenues et les a reconverties en rythme. En utilisant ces variations rythmiques simples et subtiles sur différents paramètres d’un synthétiseur FM, il a créé une pièce étonnamment belle.

Niklas Reppel est un programmeur, live codeur et artiste sonore allemand, actuellement basé à Barcelone. Il a créé son propre langage de codage en direct Mégra, et l’a utilisé lors du concert. Pour son deuxième PIFcamp, il a construit des oreilles artificielles à partir de différents matériaux, tels que l’argile et la mousse, qui peuvent accueillir des microphones binauraux. Il les a placées sur des objets inanimés autour du camp et a enregistré ce que les objets « entendaient ». C’est ce matériau sonore qu’il a utilisé lors du concert, en le spatialisant avec Mégra tout en projetant des photos des objets « entendants » sur un mur de la salle.

Robbie Hopper, artiste sonore originaire d’Écosse mais basée en Slovénie, a spatialisé en direct six pistes d’enregistrements sonores de roches qu’elle avait ramassées pendant la semaine avec l’aide d’une autre artiste Nastja Ambrožič, dans une forme électroacoustique plus classique.

Enfin, Alicia Champlin et Julia Múgica ont joué avec les battements de cœur du public. Alicia est une artiste et une live codeuse américaine basée à Barcelone, où elle a rencontré Julia, une artiste, live codeuse et experte du comportement collectif originaire du Mexique. Julia avait également été touchée par le COVID lors de l’édition de l’année dernière. Elles ont conçu un dispositif pour tracer le rythme cardiaque avec un microcontrôleur ESP32 connecté sans fil qui enverrait l’information sur le réseau. Après avoir organisé un atelier de construction, elles ont utilisé les appareils pour scanner les battements de cœur des participants au concert, en les répartissant dans l’anneau de haut-parleurs. Elles s’attendaient à synchroniser les battements de cœur de tout le monde, un peu comme dans le Poème Symphonique de Ligeti, mais cela n’a pas fonctionné comme prévu. Heureusement, le PIFcamp est fait pour cela : prendre des risques, qui ne doivent pas forcément être couronnés de succès. Malgré les problèmes techniques et le bruit des données, elles ont finalement obtenu un très bon résultat.

PIFconcert et Algorave à Fort Kluže

Mercredi soir, certains des artistes du PIFcamp se sont produits au PIFconcert et Algorave, à Fort Kluže. Le concert était organisé par Jani Pirnat, artiste et curateur au musée et aux galeries de Ljubljana, ainsi que par Luka Frelih et Katja Pahor, coorganisateurs du PIFcamp.

La forteresse est située à un endroit stratégique entre les empires. Ses origines remontent au XVe siècle et elle a été démolie et reconstruite à plusieurs reprises. Le bâtiment actuel a été construit par l’empire austro-hongrois après que l’armée napoléonienne l’a détruit à la fin des années 1790. Il a finalement été ravagé pendant la Première Guerre mondiale. Il abrite actuellement un musée sur sa propre histoire.

« Après neuf éditions du PIFcamp, il était temps d’organiser un événement à l’extérieur du camp », explique Jani. « Nous voulions que les habitants de la région sachent ce qui se passe dans le camp, afin qu’ils puissent également profiter de certaines activités et apprécier ce qui est fait ici ». Jani fait partie du PIFcamp depuis le début et a développé plusieurs projets artistiques. Cette année, il a donné une conférence sur son projet de l’année dernière, une sculpture en forme de résistance électronique pour commémorer la résistance paysanne de Tolmin.

Le concert a eu lieu dans la cour de la forteresse, où les artistes et les organisateurs ont installé un écran et un système de sonorisation pendant que le reste des campeurs montait vers le lac Krn. Le clou de la soirée a été le spectacle laser de l’artiste autrichien Jerobeam Fenderson et du programmeur Hansi3D. Ils ont présenté un spectacle qu’ils perfectionnent depuis 10 ans, en projetant un oscilloscope laser sur le flanc de la montagne derrière la forteresse. Ils utilisent des formes d’ondes à la fois esthétiques et sonores, rendant des objets et des graphiques en 3D avec du son en utilisant leur propre logiciel.

Mais avant cela, le spectacle a commencé par une performance des artistes sonores écossais et irlandais basés en Slovénie Robbie Hopper et Rob Canning, accompagnés par la visualiste Julia Múgica. Robbie a joué avec des échantillons qu’elle avait enregistrés autour du camp (les mêmes qu’elle a utilisés dans l’installation du dôme à enceintes multiples), et Rob a joué d’instruments fabriqués sur mesure à l’aide d’un gong, de LED et de capteurs capacitifs qui déclenchent des échantillons. Il a donné un atelier sur cette technologie plus tard dans la semaine et a organisé une jam avec les participants le samedi soir. Julia a codé en direct ses propres systèmes de particules comportementales avec P5live.

Linalab (Lina Bautista) et Tilen Sepič ont suivi avec un duo modulaire-synthé, elle codant en direct le synthé avec Mercury pour la première fois. Tilen a utilisé son système alimenté par batterie. À la moitié du spectacle, Lina a « live codé » un laser et projeté quelques lumières sur les murs de la cour, en guise de première au spectacle laser qui allait suivre.

Après l’Oscilloscope Music, Manu Retamero et son synthé modulaire ont fait équipe avec le système no-input de l’artiste allemande Tina Tonagel, et la visualiste ukrainienne basée aux Pays-Bas Sophia Bulgakova. Sophia a créé des textures renvoyant un mélangeur vidéo, tout comme Tina le faisait avec le mélangeur sonore, tandis que Manu remplissait l’arrière-plan sonore avec des grognements de basses profondes.

Ensuite, Niklas Reppel, Iván Paz et moi-même sommes montés sur scène pour coder ensemble. Niklas a joué des rythmes avec son langage Mégra, tandis qu’Iván a fait des bourdonnements avec son synthé SuperCollider AI. J’ai animé le spectacle avec Animatron, le système que je développe pour jouer et improviser en direct avec des animations 2D.

Le spectacle s’est terminé avec la prestation de Laurent Malys. Il s’agit d’un live codeur français qui se produisait pour la première fois devant un public. Nous ne l’aurions jamais deviné, car son spectacle était impressionnant : il codait en direct les images et le son avec le langage python Foxdot. Pendant le camp, Laurent a travaillé sur un clavier performatif qui peut être attaché aux bras, permettant à l’artiste de s’éloigner de son bureau. Il utilise ensuite des algorithmes de vision par ordinateur pour capturer les mesures du corps et les utiliser pour contrôler le son et les images d’une manière plus expressive que le code seul pourrait le faire.

L’électronique portable de Meta Canning

L’un des aspects les plus intéressants de PIFcamp est sa capacité à accueillir des artistes de toutes conditions et de tous âges. La plus jeune artiste de cette édition était Meta Canning, la fille de Rob, âgée de 11 ans. Ils vivent avec leur famille près de Maribor, dans le nord-est de la Slovénie, et ont déjà participé à plusieurs éditions du PIFcamp. Elle s’intéresse à toutes sortes de bricolages et a organisé un atelier très réussi de construction d’une épingle à linge à LED clignotantes. Il suffisait de regarder autour de soi pour savoir combien de personnes avaient participé à l’atelier et combien d’entre elles portaient une épingle à linge clignotante. La technologie utilisée était très basique et sans soudure, bien que Meta se soit avérée très douée pour souder dans d’autres ateliers auxquels elle a participé. Elle a fourni à chaque participant une pile bouton et au moins une diode électroluminescente. Elle a précisé que « le fil le plus long de la LED doit toucher le côté lisse de la pile, et le plus court le côté rugueux ». Elle a ensuite montré comment assembler le tout avec du ruban adhésif. Elle a proposé des perles, des petits miroirs, du fil et d’autres objets qui pouvaient être collés à l’extérieur de l’ensemble pile-témoin-ruban adhésif et fixés à une épingle à linge. À la fin du camp, le dimanche, la plupart des diodes électroluminescentes avaient clignoté sans interruption depuis l’atelier et étaient toujours allumées.

Nina Sever

Les artistes ont besoin de se nourrir, surtout lorsqu’ils se réveillent après avoir fait la fête jusque tard dans la nuit. L’équipe de cuisine de PIFcamp est organisée par repas, et Nina Sever fait partie de l’équipe du petit-déjeuner, avec Polona Torkar et Tamara Mihalič. Chaque matin, elles se lèvent avant 6 heures pour préparer le petit-déjeuner de tout le monde, sauf le jeudi matin, où Nina peut prendre sa matinée et dormir à sa guise. Cette corvée matinale ne l’empêche pas de participer aux jams et aux danses du soir. « Je ne peux pas m’en empêcher, j’entends de la musique et je me mets à danser. Je danse même quand j’entends de la musique dans ma tête », dit Nina. Le premier soir, alors qu’elle et les autres cuisiniers attendaient que le pain soit cuit, ils ont improvisé une piste de danse dans le couloir, juste devant la cuisine. Elle est éducatrice dans un établissement d’enseignement spécialisé à Ljubljana, où elle s’occupe d’enfants ayant des besoins éducatifs particuliers. Nina déclare : « Je ressens toujours le besoin d’aider les autres, même lorsque je suis en vacances. C’est pourquoi je viens aider à PIFcamp, cela me rend heureuse, même si c’est un travail difficile et très fatigant ». Elle dit que c’est probablement son dernier PIFcamp, car elle sent qu’elle a besoin de se retirer et de se reposer. Elle a une passion pour la musique, c’est en elle, et a pris des cours de piano à l’âge adulte. Elle aime essayer de nouvelles choses. Au PIFcamp, elle a participé à l’atelier de live coding de Lina Bautista avec MiniTidal (un sous-ensemble de TidalCycles qui peut être joué sur le web), et a découvert qu’elle aimait vraiment cela : « Je peux jouer la musique que j’entends dans ma tête sans avoir à recourir à la technique physique qui exige des années d’entraînement pour les instruments acoustiques ». Elle affirme qu’elle va certainement continuer à faire du live coding. Espérons qu’elle rejoindra la nouvelle communauté slovène Toplap et que nous la verrons bientôt sur scène.

Texte et dessins de Roger Pibernat.

le site du PIFcamp

PIFcamp fait partie de Feral Labs et du projet coopératif Rewilding Cultures, co-financé par le programme Creative Europe de l’Union Européenne.

 

Makery présente la lauréate de sa bourse mobilité 2023 du programme Rewilding Cultures

En avril, Makery et ses partenaires de Rewilding Cultures ont entamé une conversation pour repenser la mobilité et l’échange culturel et proposer des bourses. Trois mois plus tard, Makery a trouvé sa lauréate !

Elsa Ferreira

Taylor Alaina Liebenstein Smith est une artiste visuelle actuellement basée à Oslo, en Norvège, et qui travaille entre Oslo et Paris. Elle a participé à plusieurs expositions et résidences en France, en Finlande, en Allemagne, en Espagne et aux États-Unis. Elle est également membre de la Bioart Society (Helsinki), partenaire de Makery dans le réseau Rewilding Cultures.

Grâce à la bourse de mobilité, l’artiste finance un voyage lent (slow travel) d’Oslo à Concarneau puis à Paris, afin de mener à bien le projet « A familiar Veil », en collaboration avec le Muséum national d’histoire naturelle (MNHN) de Paris. Le projet révèle les relations complexes entre les micro-organismes photosensibles (microalgues et bactéries) et les mémoires humaines qui habitent collectivement les paysages ruraux européens. Commencé à Concarneau, grâce à une collaboration avec le microbiologiste Cédric Hubas, il s’est maintenant déplacé à Kilpisjärvi, en Finlande, à Strückhausen, en Allemagne, et à Sandøya, en Norvège. Dans chaque lieu, des mémoires humaines (sous forme de texte ou d’image) sont collectées auprès des habitants puis « révélées » sous forme photographique vivante via les micro-organismes photosensibles prélevés dans ces mêmes lieux.

Depuis 2014, la collaboration avec l’autre – chercheurs scientifiques, poètes, jardiniers, et autres êtres vivants – est devenue essentielle à la pratique de Taylor Smith. Nous nous réjouissons de faire partie de cette conversation !

Visiter le site internet de Taylor Alaina Liebenstein Smith. 

Photo reportage : à Electric Wonderland, construire un dôme géodésique dans les montagnes de Croatie

Building a geodesic dome. © Tomislav Tukša

À la cinquième édition du Summer Camp Electric Wonderland, dans les montagnes croates, les participants ont été invités à construire un dôme géodésique. Photo reportage.

Tomislav Tukša

Du 22 au 28 juillet, le makerspace croate Radiona a organisé Electric Wonderland 2023, la cinquième édition du camp international de hackers, makers et artistes en résidence dans les montagnes Velebit. Electric Wonderland mêle art, technologie, culture et science avec l’esprit DIY, DIWO (do-it-with-others) et DITO (do-it-together). Invités internationaux et nationaux sont invités à enseigner, collaborer ou tenir une résidence, mais aussi à prendre part à des ateliers, tenir des labs dans la nature, guider une randonnée ou toute autre activité qu’ils pensent intéressante pour le groupe.

L’activité principale de cette année a été de construire un dôme géodésique permanent sur le site du camping Velebit. Il sera ensuite utilisé comme espace d’atelier pour les prochaines éditions d’Electric Wonderland. En dehors de ça, les participants ont soudé des générateurs de sons, imprimé des tee-shirts, créé des visuels abstraits grâce à du matériel vidéo analogue ou encore construit un projecteur laser DIY.

Mislav Cvetko, de Peron 8, une association qui développe et encourage la connaissance, l’innovation et la mise en œuvre pratique dans le design, l’art et l’architecture. Il fait partie de ceux qui dirigent l’atelier pour construire le dôme géodésique.

Les participants traitent les poutres en bois avec du répulsif à insectes. Cela empêche les larves de compromettre les propriétés mécaniques des poutres.

Les poutres sont légères et la plupart des gens peuvent les porter facilement.

Les participants raccordent les poutres avec des éléments en forme d’étoile. Ils utilisent de gros écrous et boulons qui sont serrés à l’aide d’une clé, mais laissent un peu de jeu pour laisser une marge d’erreur. Quand la construction sera finie, les boulons seront serrés avec une visseuse électrique.

Les participants élèvent la première rangée de triangles. Certains sont venus au camp en famille et même les enfants donnent un coup de main.

La première rangée a été montée en moins d’une heure !

Les derniers éléments en bois sont fixés ; le cadre du dôme est achevé !

Milan et Ivan, deux participants d’Electric Wonderland, utilisent une lamelleuse pour fabriquer de larges triangles en contre-plaqué.

Mislav, Lenart et Iva taillent une isolation en polystyrène avec un fil chaud et la colle aux panneaux en contre-plaqué. Cela servira d’isolation thermique, nécessaire dans le climat des montagnes Velebit.

Les panneaux en contre-plaqué sont vissés aux poutres. Les espaces entre les panneaux sont comblés avec de la mousse de polyuréthane.

Presque fini ! Les fenêtres sont faites de plaques polycarbonates, qui agissent aussi comme isolation thermique.

La construction terminée du dôme, illuminée temporairement par des LED. Nous avons invités les autres résidents du camping à voir le dôme.

La fête d’inauguration du dôme, avec des lasers ! L’extérieur du dôme n’est pas terminé, il faudra encore le couvrir de plâtre, ce qui le protègera des intempéries et en fera une structure permanente.

Texte et photos par Tomislav Tukša.

Le site d’Electric Wonderland.

Electric Wonderland fait partie du réseau Feral Labs et du projet coopératif Rewilding Cultures cofinancé par le programme Europe Creative de l’Union européenne.

La communauté Aerocene se réunit au Hangar Y et réclame l’accès à l’air

Sculptures aérosolaires vue depuis l'intérieur du Hangar Y;

Vendredi 14 juillet, le Hangar Y de Meudon près de Paris a ouvert ses portes et son ciel au public afin d’accueillir Aerocene pour une expérience collaborative et artistique unique. Au programme de cette journée festive et écologique : des performances de sculptures solaires, une exposition Aerocene, une frise historique participative sur l’histoire des vols bas-carbone, un atelier de fabrication de masques pour les enfants, un photocall rétro et une parade dans le parc, de la musique solaire, et une conversation pour libérer l’air. Aperçu des événements de la journée.

Ewen Chardronnet

Aerocene st une communauté interdisciplinaire qui rassemble divers artistes, activistes, géographes, philosophes, scientifiques spéculatifs, aérostiers, technologues, penseurs et rêveurs du monde entier pour des performances collectives en faveur de la justice éco-sociale. Ses membres cherchent à concevoir des modes collaboratifs de sensibilité écologique, à sensibiliser le public à la circulation des ressources mondiales et à réactiver un imaginaire commun en vue d’une collaboration éthique avec l’environnement et l’atmosphère. Grâce à une éthique DITO (Do-It-Together) et open-source, la communauté tente de surmonter les pratiques extractives abusives, telles que l’exploitation du pétrole, du gaz et du lithium, entre autres, que certains humains ont imposées aux paysages, aux écosystèmes, aux communautés et à d’autres espèces.

Lancée à Paris en 2015 lors de la 21e Conférence des Nations unies sur le changement climatique, la Aerocene Foundation met l’accent sur l’interconnexion des questions environnementales, de la justice sociale et du bien-être de toutes les espèces. Elle s’oppose au racisme environnemental, reconnaît les impacts des crises climatiques et s’efforce d’instaurer la justice climatique par l’action collective et l’autonomisation des mouvements de base. Conçue en 2004, l’idée d’une communauté internationale Aerocene a pris forme au fil des ans à travers une série de réunions, d’expériences et de présentations. Aerocene est une atmosphère, dans l’air et au sol, avec une pratique en constante expansion. C’est un environnement et une collaboration éthique, une communauté interdisciplinaire et indisciplinée, un mouvement écosocial qui rassemble des artistes, des activistes, des philosophes, des aérostiers, des rêveurs, des oiseaux et des araignées. Aerocene est actif dans l’espace aérien de 146 sites dans le monde, 33 pays, 6 continents : La communauté Aerocene ne connaît pas de frontières.

En France, des événements Aerocene ont eu lieu à l’Atelier Calder à Saché en 2010 ; avec le philosophe Bruno Latour lors du projet Anthropocene Monument à Toulouse en 2012 ; en résidence au CNES autour de montgolfières infrarouges (MIR) ; au Grand Palais en 2015 pour la COP21 ; en 2018 au Palais de Tokyo et à La Villette pour le Fab City Summit, pour ne citer que les plus grands événements. De cet élan est née une association française pour soutenir l’effort international. Le 14 juillet, avec le soutien du programme Mondes Nouveaux, la communauté Aerocene s’est réunie au Hangar Y, site historique de l’aérostation.

Le Hangar Y est un ancien hangar à dirigeables situé à Meudon, au sud-ouest de Paris. Le Hangar Y a été construit pour l’Exposition universelle de Paris en 1878 (Galerie des Machines) par Henri de Dion. Il a ensuite été entièrement démonté et remonté brique par brique sur son site actuel en 1879. Il a été baptisé ainsi car le terrain était marqué de la lettre Y sur les plans militaires. Premier hangar à dirigeables, il est aussi l’un des plus grands au monde et l’un des seuls encore debout. Classé monument historique en 2000 et inscrit sur la liste indicative française du patrimoine mondial de l’UNESCO, il a été restauré et est devenu un centre culturel en 2023.

Sculptures Aerosolaires devant le Hangar Y le 14 juillet.
Le 25 janvier 2020, 32 records du monde, reconnus par la Fédération Aéronautique Internationale (FAI), ont été établis par Aerocene avec Leticia Noemi Marques, volant avec le message « L’eau et la vie valent plus que le lithium » écrit avec les communautés de Salinas Grandes, Jujuy, Argentine. Il s’agit du vol le plus durable de l’histoire de l’humanité. Fly with Aerocene Pacha, un projet de Tomás Saraceno pour une ère Aerocene, a été produit par la Fondation Aerocene et le Studio Tomás Saraceno. Soutenu par Connect, BTS, sous la direction de DaeHyung Lee. Avec l’aimable autorisation de la Fondation Aerocene. Photographie par Studio Tomás Saraceno.

Fly with Pacha, into the Aerocene

L’exposition présentait pour la première fois en France le nouveau film Fly with Pacha, into the Aerocene, en présence de Maximiliano Laina, coréalisateur avec Tomás Saraceno. Le film est coproduit par la Serpentine Gallery de Londres et y est actuellement présenté dans l’exposition Saraceno.

En janvier 2020, Aerocene Pacha, une montgolfière sans carburant, a soulevé en toute sécurité la pilote argentine d’Aerocene, Leticia Noemi Marques, dans le ciel et a atterri sur Terre, en utilisant uniquement la puissance du soleil et de l’air. Ce moment a été organisé par la Fondation Aerocene en collaboration avec des représentants des 33 communautés indigènes du bassin des Salinas Grandes et de la Laguna de Guayatayoc, dans le nord de l’Argentine. Le lancement d’Aerocene Pacha a attiré l’attention sur les effets dévastateurs de l’extraction du lithium sur les écosystèmes humains et supra-humains de la région, tout en proposant des engagements environnementaux et éthiques à l’égard de la planète et de ses habitants. Synthèse de l’art, de la science et de l’activisme environnemental, et aboutissement de plus de 20 ans de travail expérimental et collaboratif, Fly with Aerocene Pacha a établi 32 records mondiaux pour le premier vol solaire humain certifié par la Fédération Aéronautique Internationale.

Projection de « Aerocene launches at White Sands », avec l’aimable autorisation du Studio Tomas Saraceno (2015).
Projection de « Fly with Pacha, into the Aerocene », avec l’aimable autorisation du Studio Tomas Saraceno (2023).

Avec la participation d’un groupe varié d’artistes, d’avocats, d’écrivains, de musiciens et de poètes, Verónica Chávez, Maristella Svampa, Claudia Aboaf, Melisa Argento, Gabriela Cabezón Cámara, Alicia Chalabe, Bruno Fornillo, Inés Katzenstein, Pía Marchegiani, Graciela Speranza, Joaquín Ezcurra, Gastón Chillier, Lucas Quipildor et Enrique Viale se sont réunis pour donner naissance à cette nouvelle œuvre audiovisuelle qui intègre certaines des discussions les plus importantes sur la manière de garantir les droits de l’homme et de l’environnement dans la région. Dans le cadre de cette rencontre, les communautés ont déclaré leur territoire comme sujet de droits et ont lancé une pétition publique en ligne pour demander que leur voix soit entendue et que leurs territoires ancestraux soient reconnus par la Cour interaméricaine des droits de l’homme.

Aerocene journal, numéro 2 (2023).

L’exposition présentait également Aerocene II, le dernier journal publié en mai dernier, qui rassemble une multitude de voix pour discuter de questions socio-écologiques vitales. Grâce à cette publication, les lecteurs peuvent en apprendre davantage sur la communauté Aerocene et lire plusieurs essais critiques qui traitent des luttes actuelles des communautés indigènes de Salinas Grandes et de Laguna de Guayatatoc, qui continuent courageusement à défendre leurs droits ancestraux et leur écologie unique contre l’avancée de l’exploitation minière industrielle du lithium.

Aerocene soutient la mise en œuvre du droit des communautés à une consultation préalable, libre, informée et consensuelle sur leurs territoires, en utilisant des processus juridiques, des activations artistiques et des déclarations pour sensibiliser et défendre les droits de ces communautés. Aerocene met l’accent sur l’interconnexion des questions environnementales, de la justice sociale et du bien-être de toutes les espèces. Il s’oppose au racisme environnemental, reconnaît l’impact des crises climatiques et s’efforce d’instaurer la justice climatique par l’action collective et l’autonomisation des mouvements de base.

Découvrez les paléo-héros

Soutenu par le Hangar Y, Makery et More-Than-Planet, un programme financé par l’Union européenne, l’Atelier du Hangar Y accueillait également une exposition Paléo-aero du collectif Paleo-énergétique sur l’histoire de l’aéronautique et de l’aérospatiale à faible émission de carbone.

Ce programme de recherche participatif s’est penché sur l’histoire des pionniers oubliés de l’aéronautique à faible émission de carbone. La recherche a été traduite en un site web, une exposition itinérante et une chronologie des événements. Pour inspirer l’aéronautique de demain, Paléo-aero s’appuie sur l’intelligence collective du domaine public.

Atelier de fabrication de masques.

Petits et grands ont pu découper leurs masques, choisir des objets rétro et se placer devant la fresque conçue par l’Atelier 21 en hommage au Hangar Y, aux pionniers des dirigeables et de l’aéronautique et à l’imagination des grandes expositions universelles du 19e siècle.

© Bruzklyn Labz

Les visiteurs pouvaient repartir avec leur propre photo 10x15cm prise par une version rétro-futuriste de l’appareil photo à soufflet en bois des années 1900. La démarche de Bruzklyn Labz (Thibaut Piel) s’apparente à celle d’un magicien, d’un alchimiste voyageant avec ses vieux appareils et une ancienne technique de représentation.

Le Solar Sound System fait le tour du bassin.
Défilé près de la guinguette.

La parade a fait le tour du parc avec certains des participants de l’atelier paléo-héros. Les participants et les spectateurs ont pu apprécier la parade au son du Solar Sound System.

Sasha Engelmann.
Maximiliano Laina.
Une audience réceptive.

Après la parade, une discussion a été organisée sur le Solar Sound System, installé devant le Hangar principal, avec Sasha Engelmann, géographe, autrice de Sensing Art in the Atmosphere: Elemental Lures and Aerosolar Practices (Routledge, 2021); Maximiliano Laina, cinéaste, activiste, co-auteur de Fly with Pacha, Into the Aerocene (2017 – en cours); Cédric Carles, designer, director of Atelier 21, co-author of Retrofutur (Buchet-Chastel, 2018); Ewen Chardronnet, votre rédacteur en chef de Makery.info, auteur de Mojave Epiphanie (Inculte, 2016), et co-éditeur de Space Without Rockets (UV Editions, 2022).

Sasha Engelmann a décrit ses nombreuses années d’aventures avec la communauté Aerocene alors qu’elle préparait sa thèse de géographie. Sasha Engelmann travaille également avec la communauté argentine sur des projets open source visant à mesurer la pollution de l’air dans les zones problématiques du pays. Elle a ensuite présenté son projet Open Weather une expérience féministe d’imagerie et d’imagination de la Terre et de ses systèmes météorologiques à l’aide d’outils communautaires DIY. Codirigé par Sophie Dyer et Sasha Engelmann, Open Weather comprend une série de guides pratiques, de cadres critiques et d’ateliers publics sur la réception d’images satellites à l’aide de technologies radio amateurs gratuites ou peu coûteuses. Sasha Engelmann a prévenu que 2024 pourrait être la première année à franchir le seuil de 1,5°C de réchauffement climatique, et que ces projets étaient d’autant plus nécessaires.

Ewen Chardronnet a présenté Space Without Rockets, une publication collective sur l’impact environnemental de l’industrie des fusées et les moyens alternatifs d’aller dans l’espace. Cette publication, soutenue par le programme More Than Planet, avait déjà été lancée au Hangar Y en septembre 2022. Maximiliano Laina a parlé de son film et a développé les luttes intenses actuelles contre l’extraction du lithium à Jujuy, en Argentine, une extraction qui draine l’eau des communautés locales. Cédric Carles a terminé les interventions en présentant les recherches de Paléo-aéro et leur collectif Paleo-énergétique.

En conclusion, la Fondation Aerocene demande ces questions : « Dans le contexte de la crise environnementale et de la nécessité d’une transition énergétique juste et éco-sociale, la techno-diversité et la biodiversité peuvent-elles interagir différemment ? Les systèmes de pouvoir peuvent-ils dépasser les inégalités du capitalisme et la reproduction de l’extractivisme néocolonial des minerais et des données ? Peut-on dépasser le privilège des mémoires numériques sur les mémoires ancestrales ? Comment pouvons-nous nous libérer des combustibles fossiles ? La communauté Aerocene exprime l’importance environnementale et sociale de notre relation avec l’air et les êtres vivants qui le partagent, à travers des initiatives communautaires ouvertes, participatives et artistiques qui donnent un sens à ce nom appelant au changement : une ère dans laquelle vivre, respirer et se déplacer, sans combustibles fossiles. »

Photos : Malo Chardronnet.

En savoir plus Aerocene.

Explorez Paleo-aero et More-Than-Planet.

Mycopoétique : incarner la régénération et les moyens de « composter les toxines de l’Anthropocène ».

Somatic arrival to “Myco-Meditations”. © Katharina Geist

Pendant cinq jours en juin, des artistes, des théoriciens, des scientifiques, des artistes et des chercheurs se sont réunis à Berlin pour la troisième édition de (Re-)Gaining Ecological Futures (un évènenement organisé par Floating University) sur le thème de la mycopoétique. Le festival s’est inspiré des modes de relation, de pensée et d’action de l’univers mycélien pour se confronter et réfléchir de manière critique aux nombreuses crises sociales, écologiques et politiques qui frappent le monde.

Lyndsey Walsh

L’Université flottante a ouvert la troisième édition de son festival (Re-)Gaining Ecological Futures on Mycopoetics, en nous plongeant dans des réseaux complexes et le monde du mycélium. La programmation du festival de quatre jours s’est déroulée entre le 22 et le 25 juin et une journée de pré-festival a eu lieu le 17 juin. La myriade d’activités proposées a permis de s’immerger profondément dans les nombreuses connexions et enchevêtrements du monde mycélien et de les explorer.

Outre les nombreux événements proposés tout au long du festival, un extrait du livre Entangled Life du biologiste et spécialiste des champignons Merlin Sheldrake, acclamé par la critique, a été partagé en ligne dans le cadre du pré-festival, ce qui a constitué un appel à l’action en faveur de la pensée et de la relation fongiques, qui a servi de cadre pour les événements du festival et les pratiques des animateurs. Merlin Sheldrake écrit dans cet extrait : « De nombreuses symbioses se sont formées en temps de crise. L’algue partenaire d’un lichen ne peut pas vivre sur une roche nue sans établir une relation avec un champignon. Se pourrait-il que nous ne puissions pas nous adapter à la vie sur une planète endommagée sans cultiver de nouvelles relations avec des champignons ?

Berit Fischer fait une introduction initiale. © Katharina Geist

Berit Fischer, curatrice et fondatrice de (Re-)Gaining Ecological Futures, a également lancé un appel à l’action pour trouver des moyens de continuer à vivre sur une planète endommagée grâce aux relations avec les champignons, lors de l’ouverture et de la présentation de Vera Meyer, la principale oratrice de l’inauguration. Mme Meyer, qui est professeur et directrice du département de microbiologie appliquée et moléculaire à la Technische Universität Berlin, a donné un aperçu de ses recherches sur les champignons et de ses projets de collaboration interdisciplinaire affiliés à MY-CO-X, un collectif qu’elle a cofondé avec l’architecte Sven Pfeiffer. Répondant à l’appel de Sheldrake en imaginant un avenir où nos bâtiments et nos maisons pourraient être cultivés à partir de mycélium, Mme Meyer a partagé ses idées sur la manière dont les réseaux fongiques peuvent informer la technologie et le design pour faire face aux questions relatives à la durabilité et à l’innovation axée sur l’environnement.

Chaga, les adaptations fongiques et les écologies changeantes

Le programme du festival s’est ouvert sur une journée entière d’ateliers animés par l’artiste et éducatrice transdisciplinaire Shelly Etkins et par l’artiste visuelle et de danse Olive Bieringa, qui a une formation en thérapie somatique du mouvement. Shelly Etkins a dirigé les participants dans son workshop « Adaptations », qui explore les parallèles et les intersections entre la « fonctionnalité » corporelle et l’adaptabilité fongique vers la résilience.

Etkins a commencé l’atelier par une consommation méditative d’un thé glacé au chaga et au bouleau, tout en révélant la relation complexe entre le champignon et son hôte, le bouleau. Cette relation est généralement décrite comme parasitaire, car elle donne lieu à la maladie de la pourriture blanche chez les bouleaux. Ces tensions entre le chaga et le bouleau ont été explorées de manière plus approfondie dans le cadre d’une activité de groupe consistant à créer une décoction de chaga et une huile infusée de bouleau, suivie d’une méditation sur les réponses adaptatives du corps au chaga, qui a incité les participants à réfléchir et à examiner de manière critique leur corps, leur santé et leur identité dans le contexte de l’évolution des écologies.

Fabrication d’huile infusée de bouleau avec Shelly Etkins. © Katharina Geist

Le chaga, l’un des nombreux mycéliums du festival, a été présent de manière récurrente, comme boisson à consommer et à servir dans de nombreux workshops et sessions du festival. Connu scientifiquement sous le nom d’Inonotus obliquus, le nom familier du champignon chaga est dérivé de la langue du peuple Komi-Permyak du bassin de la rivière Kama, dont l’indépendance a été abolie par les puissances russes en 1505 pour faire partie de ce qui est aujourd’hui connu sous le nom de Fédération de Russie.

Le champignon lui-même a des utilisations culturelles significatives, des liens sacrés et un rôle important dans les pratiques rituelles de nombreux groupes de peuples autochtones de l’hémisphère nord et des régions arctiques, notamment les Ainus, les Samis, les Kanty, les Mansi, les Nenets et bien d’autres. Dans les études ethnographiques sur la culture des peuples indigènes Ob-Ugric, le chaga est souvent mentionné comme étant brûlé traditionnellement et cérémoniellement pour créer une fumée purifiante et infusé sous forme de thé pour ses propriétés médicinales.

« Répéter les connexions » avec le groupe de travail sur les mycéliums

Le chaga est réapparu lors de la session du Mycelial Workgroup « Dives into Mycology » où Dani Bershan, artiste, chercheur indépendant et initiateur du Mycelial Workgroup, a tenu une session exploratoire sur l’observation naturaliste et l’expérience des mycéliums dans l’esprit de l’érudition érotique. Bershan a introduit la session en expliquant sa pratique de « répétition des connexions », qui considère la connexion avec les autres humains et non-humains comme un acte continu qui ne peut jamais être définitivement affirmé ou supposé.

Introduction à la répétition de des connexions mycellaires par Mycelial Workgroup. © Katharina Geist

S’inspirant des travaux d’Audrey Lorde, Mme Bershan a dirigé la séance en adoptant une approche sensorielle, axée sur l’expérience et l’exploration du mycélium en utilisant les sens. Les participants à la session ont été encouragés à explorer différentes espèces de mycéliums par le toucher, le goût, l’odorat, le son et la vue, et ont reçu de petites loupes pour faciliter l’expérience. L’exploration a conduit à une discussion collective sur les notions de responsabilité, d’agencement et de soins dans les enchevêtrements inter-espèces.

Expériences sensorielles et recherches sur le mycélium. © Katharina Geist

Cette discussion a pris une tournure concrète lorsque le festival a connu une inondation collective. Les participants et les animateurs ont remarqué que les araignées résidentes du site avaient senti l’urgence de chercher un terrain plus élevé lorsqu’elles ont soudainement et simultanément émergé en masse de sous le plancher, quelques instants seulement avant que les niveaux inférieurs de l’université flottante ne soient submergés par la montée des eaux de pluie.

Résistance fongique et régénération

Ces notions de connexions inter-espèces et de perception lors de la session « Dives in Mycology » se sont de nouveau matérialisées dans le discours du festival lors de l’atelier de Berit Fischer « Myco-Meditations : Les champignons ne sont pas un sujet facile pour le capitalisme ». Mme Fischer a planté le décor de son workshop en expliquant que sa pratique était post-représentationnelle dans la mesure où elle s’éloignait de la priorité donnée au visuel pour s’orienter vers une sorte d’interrelation incarnée.

Les participants ont été guidés dans plusieurs exercices visant à déconstruire le séparatisme et l’hyperindividualisme auxquels nous nous sommes habitués dans un monde néolibéral globalisé, qui a été rompu par ce que Fischer identifie comme des agendas politiques d’exploitation. En utilisant le mode de vie fongique comme symbole directeur de la pratique, chaque activité de l’atelier a permis d’explorer les notions d’unité, d’intimité des étrangers, d’aide et de bénéfice mutuels, et d’expériences communautaires.

Cette approche critique des questions contemporaines de mondialisation et d’hyper-individualisme est également apparue dans l’atelier d’Alistair Alexander intitulé « Regenerative Social Networks : Apprendre des champignons et du Wood Wide Web ». Le travail d’Alexander porte sur l’impact écologique et social de la technologie. Dans le contexte de la mycopoétique, Alexander a établi un lien avec le Wood Wide Web en analysant de manière critique nos propres réseaux sociaux.

Discussion avec Allistair Alexander. © Katharina Geist

Utilisant le Wood Wide Web comme cadre d’exploration et d’inspiration, Alexander a guidé les participants à travers une présentation et une série d’activités sur les façons dont nous nous connectons, à la fois en ligne et hors ligne. Il a été reconnu que ces réseaux ne peuvent pas être considérés comme entièrement négatifs ou positifs, car les mécanismes par lesquels nous établissons des liens et des relations avec les autres sont beaucoup plus complexes, tout comme les réseaux inter-espèces du Wood Wide Web.

Cartographie des réseaux de questions sociales et numériques. © Katharina Geist

Ces offres, ainsi que de nombreux autres événements et programmes, s’inscrivent dans le cadre de (Re-)Gaining Ecological Futures : Mycopoetics a remis en question les notions de symbiose et la manière dont nous formons des liens et des enchevêtrements avec d’autres êtres humains et non humains. En incarnant une éthique régénératrice, le festival a créé un terrain fertile pour commencer et continuer à chercher des réponses sur la manière dont nous pouvons apprendre des champignons pour « composter les toxines de l’Anthropocène ».

En savoir plus sur (Re-)Gaining Ecological Futures et Floating University.