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Imprimer le monde, matérialiser la pensée, au Centre Pompidou

Détail de "Grotto II" de Michael Hansmeyer et Benjamin Dillenburger. © Collection Centre Pompidou

“Material Speculation: ISIS, Lamassu”, 3D-printed reproduction. © Morehshin Allahyari

Quelles relations au machines ?

Extrait choisi de la contribution de Sophie Fétro au catalogue :

« La démocratisation des machines a élargi sans aucun doute le spectre des utilisateurs et des “acteurs du processus de production”, éveillant l’intentionnalité et nourrissant “l’impulsion créatrice” de tout un chacun. Indubitablement la réplication numérique offre de nombreuses possibilités : capacité à traiter des demandes particulières, redéploiement d’une industrie locale de proximité, suppression d’une logique de stockage et d’écoulement des marchandises, rapidité d’exécution, etc. pourtant, malgré les nombreuses promesses portées par ceux qui la soutiennent, il s’avère trop souvent que l’impression 3D n’est pas sollicitée à sa juste mesure au regard de ses nombreuses possibilités. Finalement, c’est à la marge, et dans des proportions très déséquilibrées, que la fabrication additive et plus largement la réplication numérique sont interrogées pour leurs propriétés esthétiques spécifiques et leurs potentialités créatives. Si ses principes généraux sont posés, il n’en demeure pas moins que certains objets peuvent apparaître comme décevants pâtissant d’un stade d’évolution technique encore en devenir et de sollicitations peu aventureuses. Internet, les réseaux sociaux, ont généré des modes de participation singuliers auxquels l’impression numérique se couple, offrant de nombreuses perspectives, mais aussi de possibles dérives (réplication d’armes à feu). Malgré l’engouement que l’impression 3D suscite tant du point de vue des créatifs que de l’industrie et du public, des nœuds problématiques demeurent : confirmation sur le long terme d’une production solidaire et de partage, dépassement d’un modèle économique hégémonique auquel le public adhère faute de mieux, mise en place d’un mode de production plus respectueux de l’environnement, etc. Si l’impression 3D permet d’esquisser les contours d’une relation amicale et humainement soutenable aux machines, le caractère créatif et profondément innovant de la réplication numérique demeure fragile et suspendu à sa condition d’indépendance afin que les promesses et perspectives portées à travers elle ne se retournent pas contre ceux qui l’encouragent et la plébiscitent, et qu’un rapport plus direct, spontané et créatif aux machines puisse avoir lieu. »

L’exposition Ross Lovegrove se poursuit jusqu’à début juillet. Ici les “Corolised Chairs” (2012) qui font partie d’un processus de recherche sur l’impression 3D soumise à une évolution génétique inspirée des tissus humains © Ewen Chardronnet

Encombrer le monde

Christian Girard, quant à lui, dans « Penser, imprimer, repenser », met en perspective critique le fantasme « socialiste » du « faire » souvent défendu par le milieu des fablabs. Il s’appuie pour cela sur une logique de la robotisation intégrale que l’on pourrait qualifier d’accélérationniste pour constater l’émergence d’une pensée matérialisante : « Alors qu’une pensée matérialiste reste confinée dans son champ du mental, de l’idéation, de l’idéal, de l’esprit diront certain(e)s, s’annonce la possibilité d’une pensée matérialisante, qui a directement et sans délai une conséquence matérielle, objective, dans le monde des objets, des artefacts, des productions humaines. S’il n’y a plus de labeur dans la conception et fabrication des objets, disparaissent des notions jusqu’à présent inébranlées au premier rang desquelles l’artisanat, le craft – l’idée de digital craft, quelque peu surestimée, n’y échappant pas plus -, le fabriquer, le faire. »
Une pensée matérialisante dont il perçoit déjà les excès : « Avec l’arrivée possible, probable, de l’objet pensé-fabriqué en temps réel, à volonté et à coût de moins en moins élevé, grâce au recyclage de matières et à l’automatisation et la robotisation intégrale, imprimer le monde deviendra synonyme d’encombrer le monde. Une invasion d’objets, une saturation sans fin de l’espace et des territoires par des objets que chacun produirait avec la même facilité avec laquelle chacun pense ou croit penser, n’aurait pas forcément belle allure. »

A méditer.

Expositions « Imprimer le monde », jusqu’au 19 juin et Ross Lovegrove jusqu’au 3 juillet 2017.