Makery

Vers un avenir symbiotique : Une intervention, les arts comme catalyseurs

Vivek Vilasini, Secret of Shadows (1996); Wood & Terracotta

Lors de Soil Assembly – du 1er au 5 février 2023 à la Biennale de Kochi-Muziris – la table ronde sur les communautés vivantes a présenté plusieurs initiatives d’art et d’agriculture en Inde et au-delà. L’artiste Vivek Vilasini revient sur l’émergence de son intervention en permaculture dans les collines de Munnar, dans les Ghats occidentaux du Kerala.

Au début des années 1990, les suicides d’agriculteurs se sont multipliés et le changement climatique a suscité des inquiétudes croissantes. Avec le recul, ces suicides auraient pu être des indicateurs précoces du changement climatique. En tant qu’artiste, j’ai été profondément affecté par ces événements, et mon œuvre « Secret of Shadows », exposée dans le cadre du musée de Sharjah en 1996, reflétait ma réaction.

En 2000, à mon retour après avoir passé cinq ans aux Émirats arabes unis, Delhi a été déclarée capitale la plus polluée. Ayant vécu à Delhi pendant huit ans, j’ai été alarmé par ce fait et mon travail « Capital Dust Breeding » a porté sur la collecte de la pollution atmosphérique qui s’est abattue sur la ville. Pour ce projet, j’ai placé 31 feuilles de papier de riz tibétain extrêmement fines et fragiles sur le toit d’un immeuble de banlieue. Chaque jour, je retirais une feuille et utilisais un fixateur pour capturer la pollution sur le papier. J’ai poursuivi ce processus pendant 31 jours au cours du mois de mai, et l’œuvre qui en a résulté a été exposée en tant que mois calendaire de mai 2000. Les feuilles de papier montraient une progression du gris au noir, représentant l’augmentation des niveaux de pollution au fil des jours. L’œuvre a été répétée en 2017 et a fait partie de l’exposition Art Basel, Hongkong.

Capital Dust Breeding 2000/ City the fifth Investigation/2017. Papier de riz tibétain et pollution environnementale de Delhi

La question de la sécurité alimentaire était une préoccupation majeure en Inde après l’obtention de l’indépendance. Le pays était impatient d’expérimenter de nouvelles variétés de semences, d’engrais, de pesticides et d’irrigation dans le cadre de ce que l’on a appelé la Révolution verte. Cependant, l’utilisation excessive d’engrais et de pesticides a entraîné la contamination des eaux souterraines dans plusieurs endroits, en particulier au Pendjab, qui était l’un des principaux participants à la Révolution verte. Cette contamination a entraîné une augmentation des cas de cancer et d’autres maladies mortelles. En 2018, j’ai créé une œuvre intitulée « Too Many Fables on the Rails (Cancer Express) » en réponse à des articles de presse sur un train chargé de transporter des patients du Pendjab vers un hôpital caritatif spécialisé dans le cancer au Rajasthan. Le gouvernement autorisait le transport gratuit des patients et ne faisait payer que 25 % aux autres passagers. Mon travail sur ce train a attiré l’attention sur l’impact dévastateur de la contamination sur la santé publique.

Cancer Express, Encre d’archives sur papier d’archives Hahnemühle

Marx a mis en garde contre la rupture métabolique causée par la séparation des êtres humains de la nature, et contre l’impact destructeur du capitalisme sur l’environnement. Il affirme que l’agriculture capitaliste endommage le sol et perturbe le cycle naturel des nutriments, ce qui affecte en fin de compte la santé et le bien-être de l’humanité (à ce sujet lire La Nature contre le capital: L’écologie de Marx dans sa critique inachevée du capital de Kohei Saïto aux éditions Syllepse, ndlr).

Au cours de mes recherches, je suis tombé sur Robert Hart du Royaume-Uni, qui avait visité le Kerala en Inde, et avait été inspiré par les fermes biodiversifiées qu’il y avait vues. C’est lui qui a inventé le terme de « forêt nourricière (food forest) ».

Pour un habitant du Kerala qui possédait des terres dans la région, ce fut une révélation. J’ai également été inspiré par La Révolution d’un seul brin de paille de Masanobu Fukuoka et par l’étude des méthodes de permaculture introduites par des penseurs et scientifiques agricoles tels que Bill Mollison et David Holmgren, Payman (Australie), Sepp Holzer (Autriche) et Ruth Stout (États-Unis), qui m’ont fait prendre conscience de l’importance de s’adapter à l’évolution rapide de notre époque. En 1986, j’ai également rencontré Gopalkrishnan et sa femme, qui s’inspiraient de la philosophie de Fukuoka et avaient commencé à créer une forêt sur une petite colline près d’une zone déboisée. Leur histoire a changé ma vie.

UDUMBANCHOLA INITIATIVE : Projet de forêt nourricière

En 2008, l’artiste que je suis s’est lancé dans la création d’une food forest à Munnar, sous le nom d' »Initiative Udumbanchola », d’après le nom de la région. Munnar est une région pittoresque située dans les Ghats occidentaux du Kerala, célèbre pour ses plantations de thé et ses forêts de cardamome. Cependant, la région a également connu d’importants changements dans l’utilisation des terres en raison de la déforestation, de l’érosion des sols et des pratiques agricoles de monoculture, qui ont perturbé l’équilibre naturel de l’écosystème. Les zones de peuplement, qui n’occupaient qu’un maigre 0,73 % de la région en 1910, se sont étendues à 30,57 % en 1997, entraînant une grave dégradation des sols, les terres dégradées représentant aujourd’hui environ 14,12 % de la zone géographique totale. Les conditions agro-climatiques favorables, qui étaient autrefois propices aux cultures sensibles telles que le thé et la cardamome, ont également subi des changements en raison de modifications à grande échelle de l’utilisation des terres.

C’est avec l’objectif fondamental de cultiver un sol sain pour créer un paysage comestible que le projet de forêt nourricière a vu le jour. Un sol sain est essentiel à nos systèmes de production alimentaire et joue un rôle crucial dans le maintien d’une eau propre et d’écosystèmes diversifiés, dans la préservation des traditions culturelles, dans le renforcement de la résilience climatique et dans la mise en place des fondements de notre croissance économique et de notre bien-être. Le projet prévoyait un écosystème autonome qui non seulement répondrait aux besoins alimentaires de la communauté locale, mais contribuerait également à rétablir l’équilibre écologique de la région.

Pour y parvenir, j’ai cherché à collaborer avec les membres de la communauté locale et à établir un réseau d’agriculteurs et d’exploitants locaux afin de cultiver une gamme variée de plantes, d’arbres et d’arbustes, de fruits, de légumes, de plantes médicinales et d’épices. Tous ces éléments travaillent ensemble en harmonie pour créer un écosystème prospère qui encourage les pratiques de vie durables et soutient toute une série d’espèces terrestres : oiseaux, insectes et petits mammifères.

Mohammed Ahmed Ibrahim et Vivek Vilasini (à droite) plantent un groseillier indien en l’honneur de l’artiste Hassan Sharif, 16 décembre 2016.
Notes from the Food Forest 2021. Encre d’archives sur papier d’archives Hahnemühle

Entretien avec Vivek Vilasini par Ewen Chardronnet & Maya Minder de Makery, janvier 2023 (en anglais):

Food Forest: Encounter with Vivek Vilasini from Ewen Chardronnet on Vimeo.

Lisez notre rapport complet et nos articles sur la Soil Assembly.